Malgré l’anxiété économique liée à la hausse des frais, les répercussions du Brexit, une politique internationale instable et le retour imminent de la foire concurrente Art Basel Paris au Grand Palais, l’avant-première VIP de Frieze London a été aussi animée que d’habitude l’après-midi du mercredi 9 octobre. Les marchands étaient plutôt optimistes quant aux ventes et généralement satisfaits du nouveau plan de la foire.
« Le marché s’est assagi, mais je pense que qu’il passe quelque chose de spécial à l’intérieur de la tente qui héberge la foire quand les 160 galeries y sont réunies, explique Eva Langret, directrice de Frieze London. C’est un peu une bulle qui obéit à son propre rythme. Jusqu’à présent, nous avons eu des ventes très intéressantes et tout se passe plutôt bien ».
Les ventes les plus importantes enregistrées lors de la journée de vernissage ont toutes été réalisées sur le stand de Hauser & Wirth à Frieze Masters. L’Opaque (1947) d’Arshile Gorky a été vendu pour 8,5 millions de dollars, selon la galerie, tandis qu’une huile sur toile de 1865 d’Édouard Manet, Pelouse du champ de courses à Longchamp, a été vendue pour 4,5 millions d’euros. Elle danse (1948) de Francis Picabia a été cédé pour 4 millions de dollars. David Zwirner a déclaré avoir vendu une peinture de Lisa Yuskavage pour 2,2 millions de dollars et deux peintures de Yayoi Kusama pour 670 000 et 720 000 dollars.
White Cube a vendu la peinture D-Y (1979) de l’artiste américain Al Held pour 450 000 dollars, ainsi que le bronze I wanted more (2016) de Tracey Emin pour 120 000 livres. La galerie a cédé quatre autres œuvres de la série The Doors (2023) de Tracey Emin pour 80 000 livres sterling chacune. Pace indique que l’œuvre la plus chère sur son stand était 25th July-7th August 2021, Rain on the Pond (2021), de David Hockney, mais l’enseigne n’a pas divulgué son prix. La galerie a aussi vendu une sculpture de 2024 d’Alicja Kwade pour 500 000 dollars. Les enseignes de milieu de gamme se sont également déclarées optimistes après les premières transactions.
La galerie londonienne Stephen Friedman a vendu l’ensemble des œuvres sur son stand de Caroline Walker et de Clare Woods, deux artistes britanniques, à des collectionneurs du Royaume-Uni, d’Europe, des États-Unis et d’Asie. Les œuvres de Walker ont été vendues entre 35 000 et 175 000 livres sterling et celles de Woods entre 45 000 et 70 000 livres sterling. « En tant que galerie, nous reconnaissons qu’il y a eu un ralentissement du marché mondial, mais nous essayons de prendre de nombreuses décisions stratégiques pour nous adapter, déclaré Mary Cork, directrice de la galerie. Nous avons été plus qu’agréablement surpris par l’accueil reçu, non seulement à Frieze, mais aussi lors de nos dernières expositions à la galerie. Nous n’allons certainement pas considérer comme acquis ces signes de reprise, mais c’est ce que nous ressentons en tant que galerie indépendante ».
Timothy Taylor, qui possède des espaces à Londres et à New York, propose un stand solo consacré aux peintures de l’artiste new-yorkais Paul Anthony Smith. Les toiles vont de 35 000 à 85 000 dollars et la galerie a réalisé des ventes à tous les niveaux de prix, explique-t-il. « Je ne vais pas dire : "Oh, il faut fermer les écoutilles, c’est vraiment difficile", explique-t-il. Parce qu’en fait, ce n’est pas le cas ? Gérer une galerie est difficile et il faut travailler dur, [dans] les bons comme dans les mauvais moments. »
Adam Green, un conseiller en art basé à Dallas qui travaille principalement avec des clients américains, s’est rendu à Londres pour la Frieze Week. Selon lui, la foire reflète ce qu’il a observé sur le marché de l’art au cours des derniers mois. « Je constate une plus grande sélectivité des œuvres sur lesquelles mes clients – et les collectionneurs en général – se concentrent, explique Adam Green. Les prix sur le premier marché ont beaucoup augmenté ces dernières années, et je pense qu’ils sont plus sélectifs quant aux artistes qu’ils recherchent à ces niveaux de prix plus élevés. Je constate également que les galeries sont un peu plus flexibles, notamment en matière de remises, pour permettre aux ventes de se concrétiser ».
« Le secret pour être heureux aujourd’hui est de réduire ses attentes, déclare le marchand Richard Ingleby. Étant Écossais et ayant passé ma vie à soutenir les équipes de football écossaises, j’ai appris à revoir mes attentes à la baisse ». Sa galerie Ingleby, située à Édimbourg, s’est donné pour mission d’exposer l’art international en Écosse et de représenter l’art écossais à l’étranger. Les œuvres exposées sur le stand s’échelonnent entre 2 500 et 150 000 livres sterling, et la galerie a réalisé de nombreuses ventes dans cette fourchette, explique Richard Ingleby. « Nous avons reçu un accueil très favorable pour toutes les pièces présentées. Certaines années, nous aurions pu nous attendre à tout vendre. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, loin de là, poursuit-il. Mais suffisamment de nos échanges ont abouti à des ventes pour que nous soyons satisfaits ».
Le nouvel aménagement de la foire doit permettre aux visiteurs de mieux l’apprécier et de découvrir de nouvelles choses, tout en rendant l’atmosphère plus « attrayante et accessible », selon Frieze. « L’objectif était de renouveler le plan de la foire. L’année dernière, nous avons célébré notre 20ᵉ anniversaire, il est donc temps de réfléchir à ce que sera la foire pour les 20 prochaines années », explique M. Langret.
Selon la plupart des marchands présents à la foire, les réactions au nouveau plan sont globalement positives, bien qu’un goulot d’étranglement se sont créé au cours des premières heures : encore 30 minutes après l’ouverture de la preview VIP, des marchands tels que David Zwirner et Jay Jopling attendaient toujours sur leurs stands que les collectionneurs arrivent jusqu’à l’extrémité de la foire où se trouvent les stands des galeries de premier ordre.
Le cofondateur de la galerie berlinoise ChertLüdde, Florian Lüdde, estime que le nouveau plan est « très démocratique » et qu’il n’a pas modifié de manière significative les niveaux de fréquentation. Selon lui, les ventes de mercredi ont été « meilleures que prévu », même si la galerie est restée prudente et a prévendu plusieurs œuvres d’Álvaro Urbano et de Monia Ben Hamouda. « Le marché, comme nous le savons tous, a été plutôt ralenti. Mais en fait, je constate une réelle reprise. Les œuvres se vendent bien, il y a beaucoup d’intérêt », déclare Louise Hayward, partenaire de la Lisson Gallery. À Frieze London, Lisson propose un stand solo d’œuvres de Leiko Ikemura, une artiste helvético-japonaise dont les peintures et les sculptures sont proposées entre 50 000 et 168 000 euros. Dix ont déjà été vendues. Le stand de la galerie à Frieze Masters présente quant à lui des œuvres de l’artiste iranienne Shirazeh Houshiary.
La Lisson Gallery participe également à Art Basel Paris, qui débute la semaine prochaine. La foire française fera son retour au Grand Palais, un lieu qui attire l’attention des collectionneurs, selon les marchands. Certains estiment que les acheteurs américains en particulier seront davantage attirés par la foire parisienne et éviteront de se rendre à Frieze London cette année. « J’aime la saine concurrence, déclare M. Hayward. La présence d’Art Basel au Grand Palais [après avoir pris la place de la FIAC, la foire française d’art contemporain] oblige Frieze à se surpasser. Les organisateurs ont radicalement changé le plan du salon ; tout est mieux avec Frieze Masters. Il y a de quoi faire. »
Timothy Taylor rejette également l’idée que les foires de Londres et de Paris ne peuvent pas coexister. « Londres tient bon. Il y a une grande énergie ici et il y a toujours un public cosmopolite sérieux, affirme-t-il. [Les collectionneurs] ne vivent peut-être pas ici, en partie à cause des taxes britanniques, mais ils s’y plaisent. Ils viennent passer du temps à Londres, et Frieze y est toujours pour quelque chose ».