Dans la salle du MAM qui lui est réservée, sept grandes peintures de 2,70 mètres de haut plongent le visiteur dans l’univers de Xie Lei. L’artiste d’origine chinoise, né en 1983, représenté notamment par Semiose (Paris), sera à l’affiche du Song Art Museum, à Pékin, en 2026, et de la Green Family Art Foundation, à Dallas (Texas), ainsi que du LaM, à Villeneuve d’Ascq, en 2027. Il confie avoir voulu ici « une exposition immersive, qui laisse parler la peinture », avec un accrochage classique. Une œuvre supplémentaire, à la palette très différente, côtoie le travail des trois autres nommés au prix Marcel- Duchamp dans une sorte d’incipit. « C’est une exposition collective, mais comme un statement [manifeste] pour chacun de nous », souligne l’artiste, qui peint depuis deux décennies, après une formation en Chine et à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris.
Si ce nouvel ensemble peut rappeler, dans sa succession, des paravents chinois, Xie Lei s’est bien gardé de références trop directes à une civilisation ou à une autre, afin de créer des œuvres singulières et atemporelles. La tonalité verte reprend celle de l’œuvre Au-delà, exposée en 2023 à la Fondation Louis-Vuitton, à Paris, mais le thème traité est plutôt inédit. Pour obtenir ce vert aussi puissant que mystérieux, l’artiste a posé sur la toile « une dizaine de bleus et de verts mélangés sans apport ni de noir ni de blanc ». Et de préciser : « Cette couleur est liée à la nature, d’où les motifs de végétation. Elle renvoie à nous, les êtres humains, à notre présence dans la nature, à notre existence. » Comme les personnages, le visiteur baigne dans ce vert « irréel, presque psychédélique, onirique ».
La chute, le grand sujet de cette série, Xie Lei ne l’avait abordée avant que « de façon obsessionnelle et sous d’autres formes ». Ici, il a voulu représenter tout à la fois « la chute physique, son état d’esprit, être en train de tomber... ou de léviter, de flotter. Bref, ce moment ambigu d’entre deux », explique-t-il. Cette chute a lieu non pas dans les territoires célestes ni dans les profondeurs rougeoyantes des enfers, mais dans l’infini aquatique. Des gouttelettes d’eau à la surface de la peinture marquent la progression des corps plongeant lentement dans le monde marin. Ou bien retournent-ils au liquide amniotique de la naissance ? Tour de force de l’artiste, les corps semblent incandescents... sous l’eau. Des corps « spectraux », écrit Florian Gaité dans la récente monographie publiée par Sémiose « qui, comme le toucher, ne se laissent décidément pas saisir ». (Martin Bethenod, Florian Gaité et Claire Staebler, Xie Lei, Paris, Semiose, 2025, 120 pages, 80 illustrations, 29 euros)
« Bien sûr, en tant que visiteur, il est difficile de ne pas penser à des références bibliques ou à la chute d’Icare par exemple », admet l’artiste. Il n’est pas interdit non plus de penser aux migrants morts en mer, un thème amorcé en 2022 avec son tableau Rescue présenté à la Bibliothèque nationale de France, à Paris, dans une exposition plus générale sur l’Apocalypse (« Apocalypse. Hier et demain », 4 février - 8 juin 2025, Bibliothèque nationale de France, Paris). Lors de sa résidence à la Casa de Vélasquez, à Madrid, Xie Lei avait été marqué par l’œuvre de ce dernier, mais aussi celle de Francisco de Zurbarán. Ce nouvel ensemble témoigne de sa fascination pour « les rayons et les ombres », pour citer Victor Hugo, la dualité de l’existence humaine, la chute vers le néant, le sens de la vie... Une violence adoucie par ce vert énigmatique et apaisant qui imprègne longtemps la rétine du regardeur.
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Prix Marcel-Duchamp 2025, du 26 septembre 2025 au 22 février 2026, musée d’Art moderne de Paris, 11, avenue du Président-Wilson, 75116 Paris, mam.paris.fr
