Dans sa lettre de « Mission sur le renforcement de la scène artistique française » datée du 19 mars 2025, Rachida Dati, la ministre de la Culture, demandait à Martin Bethenod, ancien directeur général délégué de la Bourse de commerce – Pinault Collection et chroniqueur dans les pages de The Art Newspaper France, d’ « étudier les conditions de faisabilité et les besoins auxquels répondrait un projet de modèle public-privé d’une fondation nationale pour l’art contemporain dont la Fondation du patrimoine pourrait être une source d’inspiration, sur la base de consultations auprès des acteurs de la scène française des arts visuels ».
Dans l’introduction de son rapport intitulé « Le renforcement de la scène artistique française : panorama et propositions », Martin Bethenod fait le constat « d’un dynamisme, d’une attractivité et d’un rayonnement qu’elle n’avait plus connus depuis les années 1960 ». Paris s’est imposé comme une place importante du marché de l’art au niveau mondial, avec notamment l’arrivée d’acteurs internationaux de premier plan (Art Basel, « méga-galeries » internationales) et l’émergence de figures de collectionneurs français prescripteurs, analyse-t-il. Avant d’ajouter : « Cela tient également à la montée en puissance de l’initiative privée au sein d’un écosystème longtemps marqué par la place quasi exclusive de l’action publique (Fondation Louis Vuitton, Bourse de commerce – Pinault Collection, Fondation Cartier, mais aussi Lafayette Anticipations, Emerige et de nombreux autres exemples…) ».
Toutefois, ce satisfecit appelle plusieurs bémols : le ralentissement du marché de l’art (en baisse de 12 % en 2024 selon le rapport annuel de Clare Mc Andrew), les « fermetures récentes ou prochaines de certaines enseignes réputées, la réduction quasi générale du nombre d’expositions et de la voilure en matière de production ». « 10 % des galeries d’art se déclarent en situation de grande difficulté, rappelle l’auteur. Le même ralentissement concerne l’activité des lieux d’exposition, publics ou privés sans distinction d’échelle : passage progressif d’un rythme dominant de trois temps forts par an à deux par an ; baisse significative du niveau de demandes de prêts qui témoigne d’une décroissance du nombre et de l’ambition des projets à tous les niveaux du secteur ». Autre élément de nuance, « la part des artistes de la scène française reste marginale sur l’aire prescriptrice et le marché directeur que sont les États-Unis ». Enfin, plus largement, « la situation générale de l’écosystème de l’art en France présente des signes persistants de fragilité ou de difficulté ».
Martin Bethenod formule ainsi 15 propositions pour renforcer la scène artistique française : réaffirmer le rôle majeur du Centre Pompidou en inscrivant cette mission dans les textes et en l’assortissant d’objectifs quantitatifs en matière de programmation ; encourager cette institution à faire de la mise en valeur de la scène française l’axe de la programmation de sa constellation d’initiatives de l’année de son Cinquantenaire en 2027 ; recentrer la politique d’acquisitions du Centre national des arts plastiques (CNAP) sur la scène française, en conduisant une expérimentation de cette « exception scène française » pour une durée de trois ans ; renforcer le rôle du Palais de Tokyo en lui confiant le pilotage d’un grand événement dans l’esprit de la Triennale de 2012 ; relancer, au Palais de Tokyo et dans un second lieu en région (Nice ? Bordeaux ?) un programme de résidences / formation / travail de jeunes artistes et commissaires qui renouvelle les expériences de l’Institut des hautes études en art plastique (IHEAP), du Pavillon et de l’École du Magasin ; mettre en place, à destination des écoles d’art, un dispositif d’incitation à l’élargissement international des jurys et un dispositif de soutien à l’invitation de « visiting professors » ; renforcer l’ouverture internationale des Fonds régionaux d’art contemporain (FRAC) et centres d’art avec un dispositif d’incitation à la résidence de commissaires internationaux associés ; proposer un dispositif assoupli et simplifié en direction des réseaux labellisés (Centres d’art et FRAC) d’aide à la production de la scène française, dans le cadre d’un partenariat (itinérance, coproduction…) avec une structure à l’étranger, à la fois pour leur présentation en France et pour leur projection à l’étranger ; repositionner l’information et le service aux professionnels comme une priorité stratégique du CNAP, en renforcer les moyens budgétaires et humains, en renouveler les instruments et les pratiques, remettre la question de l’étude de la scène française au cœur de sa politique de recherche ; mettre en place au sein du CNAP un bureau export, chargé à la fois de l’accueil et de l’information des professionnels étrangers, et du conseil aux professionnels français pour leurs projets internationaux ; poursuivre la réflexion sur l’ajustement permanent des dispositifs de soutien du CNAP : réduction du nombre de commissions, renforcement de la coordination avec les autres dispositifs publics et privés, expérimentation de modalités renouvelées et simplifiées d’attribution des aides ; développer au CNAP, en lien avec le Comité professionnel des galeries d’art (CPGA), une mission d’information et de conseil aux galeries d’art concernant les dispositifs d’avance de production et de soutien aux partenariats internationaux, ainsi qu’aux dispositifs financiers de prêt ou garantie, proposés notamment par l’IFCIC ou la BPI.6 ; lancer un chantier de réflexion sur la question des conditions d’accès à l’immobilier des galeries d’art, à l’instar des dispositifs mis en place par le Centre national du livre (CNL), le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), l’Association pour le Soutien du Théâtre Privé (ASTP), pour les librairies de création, les cinémas d’art & essai et les théâtres, en lien avec les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et les collectivités locales ; en liaison avec l’ADAGP, relayer et accompagner les actions de sensibilisation et de « lobbying » sur certaines questions de droits d’auteur cruciales, comme celles liées à l’usage des images par l’intelligence artificielle (IA) générative, pouvant déboucher sur une fiscalité ad hoc ; enfin, encourager la mise en place, par les structures, de fonds de dotation dédiés au soutien à la scène française, par l’incitation, l’information, la formation et le conseil.
S’agissant de désigner un établissement chef de filât de ce dispositif de soutien à la scène hexagonale, le rapport envisage deux options : le CNAP ou la création d’une fondation public-privé, suggérée par le ministère.
En conclusion, Martin Bethenod insiste sur « l’importance de l’affirmation d’une vision ouverte de la scène française, qui permette d’évacuer toute ambiguïté idéologique quant aux missions du ministère à cet égard : le soutien à un écosystème – à ce qu’on pourrait appeler une filière, si l’on était dans une logique industrielle ou de production – et à ses acteurs souvent fragiles ; le développement du rayonnement culturel international et du soft power d’un pays dont l’identité est précisément fondée sur les valeurs d’accueil et de disponibilité à l’altérité ».
Le scénario du renforcement des missions et des moyens du CNAP est privilégié : « un consensus se dégage quant à la nécessité d’adopter une position pragmatique : s’appuyer sur les atouts de l’existant pour renforcer ce qui marche, recadrer ce qui marche moins bien, expérimenter des actions ciblées et claires, viser la lisibilité. C’est ce qui nous conduit à ne pas envisager de structure nouvelle (ni de nouvel observatoire, dont les rapports de mission raffolent en général), mais à prendre notamment appui sur le CNAP, qui pourrait trouver dans le renforcement de cette mission l’occasion – après 1982, après 2002 – d’une nouvelle phase de son développement et de l’affirmation de sa nécessité ».
Enfin, s’agissant de la stratégie culturelle internationale de l’État, le rapport souligne « l’importance qu’il y aurait à éviter le saupoudrage, à concentrer les soutiens, dans la durée, sur quelques artistes dotés du plus grand potentiel et quelques aires géographiques prescriptrices ».
