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Entretien

Sophie Lévy choisit L’Apparition de l’ange à saint Joseph de Georges de La Tour

La nouvelle directrice générale du Voyage à Nantes narre, à travers son admiration pour l’une des plus énigmatiques peintures du XVIIe siècle, sa relation à ses œuvres électives.

Propos recueillis par Marc Donnadieu
26 juin 2025
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Sophie Lévy. Photo D.R.

Sophie Lévy. Photo D.R.

L'objet de...

Chaque mois, dans le mensuel The Art Newspaper édition française, des personnalités nous présentent un objet qui leur est cher et nous dévoilent leur relation intime et particulière à cette œuvre d'art.

C’est l’histoire d’un coup de foudre. Dans les années 1994 1995, lors d’une visite au musée des Beaux Arts de Nantes, alors que j’étais en formation à l’École nationale du patrimoine, je suis tombée en arrêt devant cette peinture qui m’a littéra lement saisie. Elle m’a éblouie. Je ne suis pas pour autant revenue tout de suite à Nantes. Sauf une fois, pour y convoyer [depuis Paris] un tableau prêté par le Centre Pompidou. Je l’ai alors revue, et le choc a été aussi puissant. Presque vingt ans plus tard, quand j’ai postulé pour la direction du musée, j’ai compris que ma fascination pour ce tableau avait fondé en partie ma candidature.

Des amis fidèles

Quand j’étais enfant, mes parents allaient très souvent visiter les musées lors de nos voyages fami liaux. Et je les ai toujours trouvés plus heureux, plus ouverts et plus épanouis face aux œuvres que dans l’ordinaire de la vie. Mon père était physicien [Maurice Marc Lévy, 1922 2022]. Au début de sa car rière, il fréquentait les galeries d’art, il a rencontré Michel Tapié, collec tionné la peinture, en particulier autour du dialogue entre sciences et art, physique quantique et espace abstrait. Le musée a donc toujours été pour moi un lieu pacifié et bien faisant. Aussi, au fur et à mesure de ma découverte personnelle des dif férentes institutions, ai je noué des relations quasi amoureuses avec cer tains tableaux.

Pour premier exemple, je cite rai L’Homme au gant [1520 1523, musée du Louvre, Paris] de Titien, auquel je dois presque mon pre mier émoi artistique et sensuel, à l’âge de 9 ou 10 ans : moins pour le visage de trois quarts du jeune homme perdu dans ses pensées que pour la paire de gants gris, usée, tombante, sur une très belle main d’homme, et l’autre main nue, son index bagué pointé vers un invisible hors champ qui trouble le regard. Il y a également ce portrait, autrefois attribué à Rembrandt, Un homme assis et lisant à une table dans une pièce haute, [vers 1628 1630, National Gallery, Londres], avec son clair obscur, son rapport d’échelle et ce jeu stupéfiant d’ombres et lumières de la fenêtre vers le mur. Enfin, je mentionnerai le Carré blanc sur fond blanc [Composition suprématiste : blanc sur blanc, 1918, Museum of Modern Art, New York] de Kasimir Malevitch et son incarnation de ce double état du blanc comme matière. Selon moi, ce n’est pas le symbole de la fin de la peinture, mais peut être bien sa renaissance, sa révélation. Je pense souvent à ces différents tableaux comme à des amis fidèles. Lorsque je suis à Paris, à Londres ou à New York, je leur rends visite, et le sentiment amoureux que je leur porte est chaque fois intact. Il y a parfois une évolution dans le rap port que j’entretiens avec eux, mais la rencontre a toujours la même puissance et la même intensité.

« C’est surtout un tableau sur l’absence : il n’y a que du vide en son centre. Le regard est hypnotisé [...] mais l’essentiel est ailleurs que dans ce qui est représenté. »

Georges de La Tour, L’Apparition de l’Ange à saint Joseph, entre 1628 et 1645, huile sur toile, musée d’Arts de Nantes. © Cécile Clos/Musée d’Arts de Nantes

La transmission du sensible

L’Apparition de l’Ange à saint Joseph, dit aussi Le Songe de saint Joseph, de Georges de La Tour est un tableau singulier à plus d’un égard, puisque nous ne connais sons pas son titre exact ni ce qu’il représente vraiment. Il a même été intitulé au xixe siècle Vieillard saisi par l’hypnose ! Je l’appelle simplement Le Songe de Joseph, car le vieillard n’a pas d’auréole, et la figure plus juvénile n’a pas d’ailes ; nous ne savons même pas vraiment s’il s’agit d’un garçon ou d’une fille... Mais c’est surtout un tableau sur l’absence : il n’y a que du vide en son centre. Le regard est hypnotisé par la simplicité des figures, la déli catesse des couleurs et la subtilité des lumières, mais l’essentiel est ailleurs que dans ce qui est repré senté. Ainsi, l’ange ne pose pas vrai ment les yeux sur le visage de Joseph endormi, il les dirige juste un peu plus haut, là encore vers un hors champ de l’image, un infini au delà de l’espace... Joseph quant à lui dort, mais il y a une toute petite pointe de lumière dans l’entrouverture de sa paupière gauche. Peut être feint il de ne pas voir, de ne pas savoir, de ne pas comprendre. Et la flamme vacillante de la bougie, qui devrait être le centre du tableau, est cachée, pas vraiment invisible, mais dissi mulée par le bras de l’ange, dont la main ne touche même pas le bras de Joseph. Tout s’y frôle, et c’est dans le même temps très « touchant ». Mais si c’est une leçon magnifique sur le voir, c’est également un sym bole de transmission : l’ange délivre à Joseph quelque chose qu’il ne sait pas, qu’il ne voit pas ou qu’il ne comprend pas malgré son âge et son expérience. Cet être très jeune et très lumineux, cet enfant prince, lui révèle dès lors un secret, et le vieillard l’accepte pacifiquement. Je pense souvent, en le contemplant, au vers de René Char qui dit du poème qu’il est « l’amour réalisé du désir demeuré désir ».

J’ai fréquemment relié cette toile à l’œuvre d’Anish Kapoor conservée au musée d’Arts [Sister, 2005], cet infini blanc creusé dans la profondeur d’un mur, quasi invi sible et pourtant toujours présent. D’une certaine manière, elles se répondent, dialoguent d’un bout à l’autre du musée. L’œuvre d’Anish Kapoor, c’est le début, la naissance, la scène primitive ; celle de Georges de La Tour, c’est peut être une fin, mais une fin renaissante, perpé tuellement renouvelée. J’ai vu Sister pour la première fois à l’été 2016, alors que l’institution était fermée pour rénovation. Elle était présentée au musée Dobrée [à Nantes], dans le cadre de l’exposition de Gentil Garçon intitulée « L’Inconnu me dévore », juste à côté d’un sarco phage d’enfant en pierre d’époque mérovingienne.

En quittant le musée d’Arts pour succéder à Jean Blaise et prendre la direction générale du Voyage à Nantes, je souhaitais bifurquer. À l’instar de mon père, lequel, après avoir fait une carrière de physicien et été président du Centre national d’études spatiales, a rédigé le projet de la Cité des sciences et de l’indus trie, à La Villette, dont il est devenu le premier président. Pour lui, il fallait toujours voir plus large, aller plus loin, se sentir plus libre.

Jean Blaise a développé un regard et une approche presque post surréalistes sur Nantes ; je suis, quant à moi, plus attentive à un rapport sensible, universel et intemporel au territoire, à la fluidité des éléments qui le composent : la terre, le fleuve, l’air, la lumière. On prête ici à l’art cette fonction d’ai der la ville à se définir, à trouver son identité. De fait, Nantes est toujours partante pour l’aventure de l’art. Le vent y souffle vers des destinations toujours joyeuses. Cela me donne toutes les autorisations, toutes les légitimités, toutes les libertés. Durant le confinement, les chan teurs professionnels pratiquaient dans leur cuisine ; j’ai, modeste ment, commencé à écrire de petits textes sur LinkedIn, non pas sur ce que je savais de certaines œuvres du musée d’Arts de Nantes, mais sur ce que je ressentais, sur ce qui se pas sait entre elles et moi. Ce fut le début d’une nouvelle compréhension pour moi de ce qui peut constituer la transmission de l’art. Présenter une œuvre à quelqu’un qui ne l’a pas vue, trouver les mots justes et le voir res sentir le même frissonnement, c’est merveilleux ! L’art aide à vivre !

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Le Voyage à Nantes, 28 juin-31 août 2025, divers lieux, 44000 Nantes, levoyageanantes.fr

L'objet deLe Voyage à NantesSophie LévyGeorges de La TourXVIIIe sièclePeinture ancienne
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