La réapparition d’une œuvre rare d’un artiste majeur est toujours un événement. Tel est le cas avec cette toute première réédition des Européens d’Henri Cartier-Bresson à l’initiative de la Fondation Henri Cartier-Bresson, 70 ans après sa sortie.
Publié chez Verve en 1955, Les Européens rassemble 114 photographies prises par le maître de « l’instant décisif » entre 1950 et 1955 dans dix pays d’Europe. Ces images, tirées de reportages pour des titres de presse – Harper’s Bazaar, Life, Holiday ou Paris Match – constituent un témoignage exceptionnel de l’Europe d’après-guerre en pleine reconstruction et composent le portrait vibrant des habitants d’un continent alors en pleine mutation.
« Le photographe ne fait que montrer les aiguilles de l’horloge, mais il choisit son instant, écrit Henri Cartier-Bresson dans sa préface. “J’étais là et voilà la vie à ce moment telle que je l’ai vue”. Ces hommes qui y participent, ici des Européens, peuvent à première vue tous se ressembler pour un paysan Hottentot ou Chinois, mais, si l’on comparaît nos territoires kilomètre carré par kilomètre carré, c’est ici probablement que l’on trouverait pour des causes historiques et géographiques la plus grande différenciation. Le besoin de joie et de bonheur des hommes, ou leur férocité se manifeste à travers les facettes des petits détails infiniment nombreux. Ils vous frappent par leur nouveauté mais aussi par leur familiarité, comme s’il y avait réminiscence. On croit les reconnaître au milieu d’impressions générales un peu comme dans un Musée que l’on parcourt pour la première fois, mais dont on connaît cependant déjà certains tableaux par des reproductions. Se trouvant soi-même face à face avec le tableau on éprouve le choc de la surprise, la joie de se mesurer dans une confrontation. »
Ambiances de rues à Athènes ou du Quartier latin à Paris ; funérailles de George VI, à Trafalgar Square, à Londres, le 21 février 1952 ; jeunes hommes à Venise ; couple de personnes âgées dans le village de Timmari, près de Matera ; Hambourg en partie détruite par les bombardements ; bal du 14 juillet place de la Bastille ; ou encore cette image tant vue depuis d’un jeune garçon portant deux bouteilles de vin : Paris. Les provisions le dimanche matin, rue Mouffetard… Chaque photographie est une page d’histoire, le témoignage d’une époque, avec ses douleurs et ses joies retrouvées. Cartier-Bresson pose son regard alerte et humaniste sur ce Vieux Continent qui se reconstruit sur les ruines de la guerre – voyageant d’un pays à l’autre, des villes aux campagnes, immortalisant toutes les classes sociales – pour en saisir les paysages, les visages tantôt pleins d’espoir, tournés vers l’avenir, tantôt marqués par le désastre. Les Européens paraît la même année que l’exposition mythique « The Family of Man » d’Edward Steichen au Museum of Modern Art (MoMA) de New York. « Autrefois, on illustrait la géographie du monde par des reproductions des grands monuments ou des figurations de types ethniques, aujourd’hui les éléments humains livrés par la photographie s’y ajoutent et désaxent cette vue », écrit le photographe.
Paru trois ans après Images à la Sauvette, qui connut un succès retentissant, Les Européens bénéficia d’une couverture réalisée spécialement par Joan Miró, en écho à celle d’Henri Matisse pour le précédent ouvrage, et d’une mise en page tout aussi sobre et élégante. Cette réédition est enrichie d’un texte inédit de Clément Chéroux, historien de la photographie et directeur de la Fondation Henri Cartier-Bresson, qui replace ce travail dans son contexte historique et artistique.
Henri Cartier-Bresson, Les Européens, Fondation Henri Cartier-Bresson, 156 pages, 42 euros. Deux versions disponibles : française et anglaise.
