Vendredi 24 octobre, dans la salle 9 de l’Hôtel Drouot archicomble, le commissaire-priseur Christophe Lucien s’était mis sur son « 31 ». Élégamment vêtu d’une veste tuxedo noire, il portait à la boutonnière un énorme œillet jaune qui rappelait sans équivoque les fleurs qui ornent le chapeau du portrait de Dora Maar peint en 1943 par Pablo Picasso, qu’il s’apprêtait à vendre aux enchères. L’histoire incroyable de ce portrait « oublié » depuis son achat en 1944 n’est pas unique dans les annales du monde des enchères, mais elle marquera sans doute l’une des plus belles pages de celle de Drouot. À 17 heures précise, Christophe Lucien, assisté de ses deux experts Agnès Sevestre-Barbé et Amaury de Louvencourt, ainsi que de six collaborateurs, tous chargés de recueillir les ordres téléphoniques d’acheteurs dûment certifiés, a annoncé le début de la vacation. Au moins six téléphones mobiles se sont aussitôt allumés dans le public, laissant entrevoir une belle bataille d’enchères. L’estimation basse a rapidement été pulvérisée, conformément aux pronostics du commissaire-priseur qui rappelait pendant l’exposition du tableau à Drouot « que les vendeurs, petits-enfants de l’acheteur d’origine, avaient remarquablement joué le jeu en acceptant une estimation particulièrement attractive et en renonçant même à un éventuel prix de réserve ».
La stratégie semblait, en effet, payante, puisqu’à 17 h 10, le portrait atteignait déjà les 20 millions d’euros. Le rythme des enchères a alors marqué une pause. Parmi les différents prétendants à l’achat, un léger avantage allait à un client anglophone en ligne avec l’experte Agnès Sevestre-Barbé, dont la célérité à contrer chaque enchérisseur témoignait de la détermination. Quelques minutes plus tard, à 25 millions d’euros, il tenait toujours la dragée haute à ses deux derniers concurrents, deux collectionneurs étrangers représentés par deux téléphones en salle. Est alors intervenu, assis sur une chaise, le célèbre marchand monégasque David Nahmad, que beaucoup ont aperçu sur son stand à Art Basel Paris, justement consacré à Pablo Picasso. D’emblée, il a repris la main en dictant au commissaire-priseur ses paliers d’enchères, qui sont passés de 100 000 euros à 50 000 euros. Une bataille des nerfs s’est engagée, finalement remportée à 27 millions d’euros sans les frais (soit 32 millions au total) par le galeriste, malgré une belle résistance d’Agnès Sevestre-Barré. Après son ultime coup de marteau à 17 h 35, Christophe Lucien a souligné que cette enchère « représentait la plus haute enchère en France en 2025 ». Soit au-dessus des 18,4 millions d’euros recueillis la veille par Christie’s pour son tableau d’Yves Klein California, ou les 27 millions du Buste d’Elvira d’Amédéo Modigliani dispersé quelques heures auparavant par Sotheby’s !
