Formé en 2011 par un trio d’artistes férus d’arts numériques, les frères Youness et Zouheir Atbane ainsi qu’Omar Sabrou, un spécialiste de la 3D, le Collectif Pixylone se concevait initialement comme un simple laboratoire expérimental.
Du hacking au mapping
Le Collectif Pixylone organise d’abord, dans des espaces privés ou publics, des actions qu’il assimile à une forme de « hacking artistique » et collabore avec des festivals, dont Mawazine, dédié aux musiques du monde et localisé depuis 2001 à Rabat. « Le Collectif s’est développé ensuite sur la base d’une synergie entre la danse et les arts numériques », rappelle Youness Atbane, à la fois chorégraphe et artiste visuel. En 2014, le trio se tourne vers l’art contemporain et réalise sa première œuvre collective, 9aoulab, constituée de pains de sucre et de mapping vidéo. Elle fera partie de la première exposition du musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain (MMVI), à Rabat. Suivront plusieurs installations, dont une conçue pour l’aéroport de Fès-Saïss – laquelle sera en partie vandalisée.
Youness Atbane réfléchit encore aujourd’hui à l’opportunité des arts numériques dans le contexte identitaire marocain. « Dès le départ, les peuples du Sud ont intégré la révolution numérique, même s’ils n’en ont pas créé les outils, constate-t-il. Il y a eu une appropriation immédiate qui nous a placés d’emblée dans une dynamique. » Nonobstant, l’artiste pointe « le classicisme du marché marocain » qui constitue, selon lui, un frein au développement de ce médium.
Une dizaine d’années plus tard, les mentalités ont évolué. À l’occasion de son accrochage permanent intitulé « Horizon(s) en mouvement. Cent ans de quêtes artistiques au Maroc, 1920-2020» et présentant non plus des prêts de collectionneurs privés, mais des œuvres appartenant à sa collection, le MMVI leur a commandé un mapping vidéo d’une quinzaine de minutes retraçant le parcours des artistes emblématiques de l’histoire de l’art moderne et contemporain marocain (de Chaïbia Talal à Farid Belkahia en passant par Mohamed Melehi ou encore Fouad Bellamine). « Souvent, dans nos régions, la logique muséale ne repose pas sur un statut d’écriture de l’histoire, mais sur une légitimation du pouvoir, comme on peut le voir à Abou Dhabi ou au Caire, commente Youness Atbane. Ce qui nous a intéressés dans la proposition du MMVI est que leur exposition écrit une histoire possible de l’art au Maroc. »
En parallèle de leurs créations, les membres du Collectif Pixylone poursuivent une carrière solo et enseignent l’usage des outils numériques en milieu universitaire.

Youness Atbane, Immortal Object of a Dead Artist, performance au tak, Berlin, 2021.
© Photo Youness Atbane
Le musée de demain
En 2021, dans le cadre de la Biennale de la danse qui se tient alors à Marrakech, Youness Atbane présente le spectacle Untitled 14 km dans lequel il s’interroge, non sans humour, sur la place du musée dans les pays de la région MENA (Middle East and North Africa). Sur le ton de la satire, il met en scène une commissaire d’exposition internationale, un directeur de musée et un artiste contemporain pratiquant l’art de l’autoanalyse. En collaboration avec le dramaturge et metteur en scène Henri Jules Julien, il produit simultanément le manifeste Horiezontalisme, dans lequel il questionne les ressorts d’un discours critique postcolonial en provenance d’Occident. « Lorsque l’on évoque les rapports Nord/Sud dans le milieu de l’art contemporain, c’est toujours à travers le filtre de la crédibilité académique », remarque-t-il, ajoutant que le discours postcolonial « parle davantage à l’université occidentale qu’aux pays concernés ». Regrettant une forme de « néo-orientalisme » pratiquée par certains artistes contemporains marocains, il en appelle à « dépasser le piège multiséculaire de l’orientalisme [qui] nous est étranger ».
Pour l’heure, accompagné du Collectif Pixylone, Youness Atbane prépare un nouveau spectacle, The Golden Museum of Crisis, qui sera programmé en fin d’année à l’Institut français de Casablanca. Dans le prolongement d’une performance antérieure, The Waterproofed Artist, présentée en 2024 au tak – Theater Aufbau Kreuzberg, à Berlin, il imagine un pavillon flottant du Sud global et de la région MENA lors de l’édition 2048 d’une Biennale de Venise submergée par les eaux. Dans cette création en cours, ce pavillon accosterait sur une île appelée New Palestine et instituée avec l’aide des pays du Golfe, à quelques kilomètres d’Israël, où se concevra le musée de demain. « Les musées m’intéressent beaucoup, explique Youness Atbane. Ce sont des espaces sacrés, de nouveaux bunkers. Le musée que j’imagine sera peut-être le dernier espace vivable sur cette terre, que tous les artistes rêveront d’intégrer. » Entre utopie militante et expérimentation visuelle, le Collectif Pixylone a le mérite de penser à la possibilité d’un monde artistique et muséal un peu meilleur.
