Depuis plusieurs années, le Centre des monuments nationaux et le Centre national des arts plastiques (Cnap) unissent leurs forces pour faire dialoguer patrimoine et création contemporaine. En déployant des œuvres phares au sein de sept monuments nationaux à travers la France, la manifestation « Biens venus ! » renforce cette collaboration de longue date et invite à renouveler le regard porté sur les sites historiques. Au Mont-Saint-Michel, cette initiative prend une résonance particulière avec Marulho réalisée en 1991 par Cildo Meireles, figure majeure de l’art conceptuel latino-américain.
Né en 1948 à Rio de Janeiro, Cildo Meireles élabore depuis les années 1960 une œuvre engagée interrogeant les circuits d’échange et les structures du pouvoir. Éloignée de tout minimalisme abstrait, la radicalité de sa démarche relève d’une rigueur formelle qui s’épanouit en d’intenses expériences sensorielles, au sein d’un espace d’exposition où immersion physique et distanciation critique sont étroitement liées.
LA MATIÈRE DU SILENCE
Cette installation acquise par le Cnap en 2001 est emblématique de la pratique de l’artiste. Avec ses quelque 17 000 fascicules ouverts, soigneusement disposés au sol pour former une étendue bleue et ondoyante, Marulho en constitue un exemple abouti. Ici, les pages ne contiennent aucun texte, mais
déploient plutôt une constellation de photographies évoquant la mer – miroitements, reflets, vaguelettes stylisées – qui font de cet archipel éditorial de 300 m2 un paysage de papier traversé de résonances marines. À cette surface silencieuse, dont le visiteur fait l’expérience depuis le ponton qui la surplombe, répond le chuchotement d’un chœur composé d’une centaine de voix, chacune prononçant dans des langues différentes le mot qui désigne l’eau. De cette rumeur polyglotte émerge un grondement hypnotique et enveloppant, semblable au ressac de la mer. « Marulho », terme portugais dont la charge évocatrice résiste à toute traduction, ne désigne-t-il pas la houle et ce murmure diffus qui précède le flux et le reflux ?
Présentée dans le réfectoire des moines de l’abbaye, espace de rituel collectif, l’installation s’accorde alors au diapason avec la dimension spirituelle du lieu. Ce lien ne tient pas seulement à leur commune relation à l’eau, mais également à leur capacité partagée à faire du silence une matière active. Le rapport au sol, au corps, mais aussi au rythme lent du déplacement instille une temporalité méditative qui s’inscrit avec justesse dans le temps long du Mont-Saint-Michel, lieu de pèlerinage et d’élévation articulant depuis dix siècles la fixité de la pierre aux mouvements des marées. On pourrait y voir une métaphore politique de la mondialisation et de la migration, mais l’œuvre, vectrice d’une esthétique relationnelle avant la lettre, refuse les évidences. Mer sans profondeur, livres sans mots, langage sans ancrage dont seule l’oralité maintient l’écho fragile, tout échappe ici à sa fonction attendue. Présentée pour la première fois dans un contexte patrimonial plus de trente ans après sa création, Marulho revêt une signification renouvelée à l’heure d’une nécessaire prise en compte de l’urgence écologique, une des thématiques principales de la saison du Brésil en France en 2025.
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« Cildo Meireles », 26 juin-11 novembre 2025, abbaye du Mont-Saint-Michel, 50170 Le Mont-Saint-Michel.
