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Critique

Sur les traces helvètes de Jean Tinguely

À l’occasion de l’exposition « Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hultén » au Grand Palais*1, à Paris, suivons dans son pays natal la trajectoire du sculpteur dont est célébré le centenaire.

Christian Simenc
23 juin 2025
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Jean Tinguely, Le Retable de l’Abondance occidentale et du Mercantilisme totalitaire, 1989, matériaux variés, Fribourg, Espace Jean Tinguely – Niki de Saint Phalle. Courtesy de l’Espace Jean Tinguely – Niki de Saint Phalle. Photo Pascal Gertschen

Jean Tinguely, Le Retable de l’Abondance occidentale et du Mercantilisme totalitaire, 1989, matériaux variés, Fribourg, Espace Jean Tinguely – Niki de Saint Phalle. Courtesy de l’Espace Jean Tinguely – Niki de Saint Phalle. Photo Pascal Gertschen

Point de départ et passage incontournable de ce voyage d’une centaine de kilomètres : le Museum Tinguely, près du pont de la Forêt-Noire, à Bâle. Quoique Jean Tinguely (1925-1991) naquit à Fribourg, il était âgé de quelques semaines lorsque sa famille s’installa sur la rive droite du Rhin, où se déploie l’institution consacrée à ce pionnier de l’art cinétique. Celle-ci abrite la plus grande collection au monde de ses œuvres : 130 sculptures et 2 000 œuvres sur papier. Le musée a ouvert ses portes en 1996, à la suite du legs conséquent de 50 « sculptures-machines » par l’artiste Niki de Saint Phalle, sa seconde épouse, et fut construit, de surcroît, grâce aux dons du groupe pharmaceutique Hoffmann-La Roche et à Maja Sacher-Stehlin, épouse de l’un de ses dirigeants (Emanuel Hoffmann), admiratrice et collectionneuse du sculpteur.

L’institution abrite des pièces couvrant quatre décennies de travail (1950-1990), depuis les premiers reliefs, tout en finesse, de l’artiste jusqu’à ses sculptures monumentales, machines bruyantes et grossièrement soudées, constituées de roues et d’engrenages gigantesques, dont l’imposante Grosse Méta-Maxi-Maxi-Utopia –17mètres de long sur 8 de haut –, seule œuvre dont l’intérieur est accessible au visiteur. En ville, sur la Theaterplatz, s’anime la fontaine du carnaval, parfois rebaptisée fontaine Tinguely, offerte à la municipalité en 1977 par le groupe alimentaire Migros. Ses dix figures, parmi lesquelles Le Pulvérisateur, Le Flûtiste ou L’Araignée, sont disposées comme sur une scène.

Avant de prendre la direction de Fribourg, les plus passionnés – de conduite et de Jean Tinguely – pourront, s’ils le désirent, faire un détour au bord du lac de Zurich, où est installée l’œuvre qui révéla l’artiste à ses concitoyens : la sculpture Eurêka, conçue pour l’Exposition nationale suisse de Lausanne, en 1964, une grande machine inspirée par le constructiviste russe Vladimir Tatline, toute de noir vêtue.

EN VOITURE À FRIBOURG

La route mène ensuite à Fribourg, ville natale de Jean Tinguely. Le musée d’Art et d’Histoire, dont une partie fut un ancien abattoir, y arbore Le Retable des petites bêtes, doté d’un vantail central et de deux vantaux latéraux à l’image d’un retable médiéval. Assemblée à partir de roues rouillées, crânes d’animaux et soc de charrue en couronne, l’œuvre dissimule aussi quelques symboles enfouis, comme une faucille et un marteau. Le musée fribourgeois gère un autre lieu emblématique sis à deux pas : l’Espace Jean Tinguely – Niki de Saint Phalle, inauguré en 1998, et pour lequel l’artiste française fit également une donation d’œuvres. Cet ancien dépôt de tramways, devenu garage automobile, accueille aujourd’hui Samouraï, Totem n° 3 ou La Cascade, ainsi qu’une pièce maîtresse de Jean Tinguely, Le Retable de l’Abondance occidentale et du Mercantilisme totalitaire, œuvre monumentale aux atours de fête foraine, dans laquelle il tourne en dérision la consommation de masse et l’abondance de choses inutiles. D’après ses propres mots, « l’Occident est le grand spécialiste du superflu ! »

D’après ses propres mots, « l’Occident est le grand spécialiste du superflu ! »

Amoureux de mécanique, l’artiste collectionnait les grosses cylindrées – Ferrari, Mercedes… – et avait même acquis la Lotus du pilote anglais Jim Clark pour l’installer, dit-on, dans sa chambre, preuve de sa fascination pour le sport automobile qui, selon lui, incarnait « la rencontre fondatrice entre l’humain et la machine ». Jean Tinguely peignait par ailleurs les coques des bolides de René Progin – vice-champion d’Europe de side-car devenu son assistant tant il excellait comme soudeur – ainsi que ses combinaisons de course. Il se lia aussi d’amitié avec le pilote suisse Joseph Siffert, prenant soin de ne pas superposer les dates de vernissage de ses expositions et celles des grands prix de Formule 1. Ces coques et combinaisons sont présentées dans le musée. À cet ami mort en course en 1971, sur le circuit anglais de Brands Hatch, Jean Tinguely dédia une fontaine érigée allée des Grand’Places, derrière le théâtre Équilibre et non loin du grand magasin Manor, dont l’artiste a, jadis, décoré les vitrines et même dessiné le logo !

Non loin de l’Espace Jean Tinguely – Niki de Saint Phalle, au numéro 16 de la rue du Pont-Muré, se trouve également le célèbre restaurant du Gothard, une institution dans laquelle Jean Tinguely aimait, paraît-il, faire une halte pour déguster les spécialités fribourgeoises : fondues moitié-moitié, röstis et meringues double-crème de la Gruyère.

À NEYRUZ, LES DERNIERS KILOMÈTRES

Situé à une dizaine de kilomètres de Fribourg, Neyruz est un village de quelque 2 800 habitants. À l’orée des années 1980, Jean Tinguely y achète, route de Fribourg, au numéro 6, un vaste édifice de la fin du XIXe siècle : l’ancienne ferme auberge de l’Aigle noir, laquelle vient de déménager quelques pas plus loin. C’est là qu’il trouve enfin un atelier à son échelle ! Il peut même y suspendre un biplan rapporté d’Espagne – ce dernier est conservé au Tinguely Museum. Une nuit d’août 1986, tandis que les moissons sont rentrées, la foudre s’abat sur la ferme voisine qui prend feu, brûlant jusqu’au bétail. Jean Tinguely fut fortement affecté par cet événement et par l’odeur funeste qui s’en dégagea. L’incendie éteint, il extrait des décombres des poutres calcinées, des crânes d’animaux carbonisés ainsi que quelques carcasses noircies de machines agricoles – un élévateur à foin, une ensileuse à maïs, une moissonneuse-batteuse de la marque suisse Mengele –, avec lesquels il crée l’œuvre impressionnante Mengele-Totentanz (Mengele-Danse macabre) aujourd’hui exposée au musée bâlois, dont les grincements mécaniques tels des gémissements concrétisent l’inexorabilité du destin. La mort le préoccupe de plus en plus, et la fugacité des choses devient désormais centrale dans son travail, même s’il ne cesse de la tourner en dérision.

Ce parcours aurait pu se poursuivre jusqu’à Semsales, village aux confins sud du canton, à une demi-heure de voiture de Fribourg. Là, Jean Tinguely acheta en 1988 une ancienne verrerie du XVIIIe siècle pour y installer un atelier. Son rêve : y aménager un musée ou, plus exactement, un « anti-musée » – « dans lequel, à l’accueil, une “réceptionniste” au chemisier ouvert se ferait les ongles lorsque des visiteurs entreraient, puis formerait des groupes de personnes qui n’auraient rien à voir entre elles et à qui serait fourni un audioguide truffé de blagues sur les œuvres exposées ». Niki de Saint Phalle se montra toutefois en désaccord avec les amis de l’artiste, estimant que seul un musée « classique » permettrait de conserver ses œuvres. Le groupe pharmaceutique Roche proposa de financer le projet, à Bâle, et le songe de l’artiste s’envola définitivement au moment de sa propre disparition, en 1991.

Ce fut à Neyruz, cette année 1991, le 1er août, que l’on chargea Jean Tinguely de faire un discours à l’occasion de la fête nationale suisse et des 700 ans de la naissance de la Confédération. En contrebas du village, route du Moulin, à l’emplacement où se trouve aujourd’hui la déchetterie, Jean Tinguely planta un podium de trois mètres de haut et s’élança. Aux dires des Neyruziens présents en nombre, le discours fut émouvant. En revanche, le feu d’artifice qui suivit, également organisé par l’artiste, fut un fiasco, manquant de blesser les spectateurs. Le 20 de ce même mois d’août, Jean Tinguely est hospitalisé à Berne, des suites d’un infarctus. Il meurt dix jours plus tard, à l’âge de 66 ans. Le 4 septembre, jour des funérailles, plus de 10 000 personnes envahissent les rues de Fribourg pour lui rendre un dernier hommage. Le cortège funèbre pétarade de tracteurs bruyants et de fanfares de carnaval (Guggenmusik). Jean Tinguely est enterré dans le cimetière de Neyruz, au pied de l’entrée de la petite église de l’Immaculée Conception. Sur sa tombe a été installée une sculpture-machine branchée sur un interrupteur. Chaque matin, les enfants de l’école voisine s’y rendent pour l’actionner, mettant en route un joyeux vacarme.

*1 Du 20 juin 2025 au 4 janvier 2026, Grand Palais, 17, avenue du Général-Eisenhower, 75008 Paris.

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« 100 ans Tinguely – Émetteur Poétique », 21 novembre 2025-22 février 2026, musée d’Art et d’Histoire de Fribourg et Espace Jean Tinguely – Niki de Saint Phalle, rue de Morat, 1700 Fribourg, Suisse.


« Scream Machines. Train fantôme par Rebecca Moss et Augustin Rebetez », 22 mai-30 août 2025, Museum Tinguely, Paul Sacher-Anlage 1, 4058 Bâle, Suisse.

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