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Critique

L'enfance par Jean-Baptiste Greuze

Le Petit Palais, à Paris, rend hommage à cette figure majeure du XVIIIe siècle, à l’occasion du 300e anniversaire de sa naissance, à travers une centaine de tableaux, dessins et estampes sur le thème de l’enfance.

Amandine Rabier
26 novembre 2025
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Jean-Baptiste Greuze, Un enfant qui s’est endormi sur son livre, dit Le Petit paresseux, 1755, huile sur toile, musée Fabre, Montpellier. Courtesy du musée Fabre et de Montpellier Méditerranée Métropole

Jean-Baptiste Greuze, Un enfant qui s’est endormi sur son livre, dit Le Petit paresseux, 1755, huile sur toile, musée Fabre, Montpellier. Courtesy du musée Fabre et de Montpellier Méditerranée Métropole

On réduit trop souvent l’art de Jean-Baptiste Greuze (1725-1805) à une peinture doucereuse. Dès le XIXe siècle, les frères Edmond et Jules de Goncourt ont largement contribué à alimenter ce cliché, lequel persiste encore de nos jours. Dans un chapitre sans concession de L’Art du XVIIIe siècle (1863), les deux critiques dénonçaient une « corruption », des « facilités » dissimulées sous les dehors d’une « peinture littéraire » et d’un « art moralisateur ». Pourtant, Jean- Baptiste Greuze a connu la gloire. Il a triomphé à chaque Salon de 1755 à 1769 et croulait sous les commandes venues de toute l’Europe. Il fut l’un des artistes favoris de Denis Diderot, qui ne cessa d’évoquer son « génie », son « esprit » et sa « délicatesse ». La critique de son temps le décrivait comme le peintre « du sentiment », des émotions fortes et des « passions douces ».

Une intériorité mélancolique

Avant de relayer certaines idées reçues diffusées depuis près de deux siècles, le mieux reste encore de se faire sa propre opinion en allant regarder la peinture de Jean-Baptiste Greuze. Or, les occasions d’admirer son œuvre ont cruellement manqué ces dernières décennies. En France, l’artiste a longtemps été délaissé. Annick Lemoine, aujourd’hui directrice du Petit Palais – musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, lui avait consacré une exposition en 2005, à Tournus (Saône-et-Loire), ville natale du peintre – le seul événement français ayant célébré le bicentenaire de sa mort. Puis, plus rien. Il faut attendre fin 2024 : la galerie Eric Coatalem, à Paris, nous enchantait alors avec l’exposition « Greuze, l’enfance et la famille » – les prêts, d’une grande qualité, offraient un avant-goût de l’accrochage à venir au Petit Palais. À l’été 2025, l’hôtel-Dieu, à Tournus de nouveau, présentait des dessins issus de la collection du musée du Louvre, à Paris.

Pour son tricentenaire, Jean-Baptiste Greuze est enfin célébré comme il se doit grâce à l’exposition proposée par Annick Lemoine, Yuriko Jackall et Mickaël Szanto au Petit Palais. Les trois commissaires se sont attelés à montrer combien sa peinture, loin des artifices faciles, s’inscrit au cœur de la philosophie des Lumières de Jean-Jacques Rousseau, Denis Diderot et Nicolas de Condorcet, et des préoccupations liées aux méthodes d’éducation, à travers une nouvelle place accordée à l’enfant.

Dès la première salle, le parcours invite le visiteur dans le laboratoire créatif de Jean-Baptiste Greuze, où l’intimité familiale s’enchevêtre à son activité de peintre. La notoriété de l’artiste est déjà établie lorsqu’il épouse Anne Gabrielle Baduty, la fille d’un libraire. Ses modèles préférés sont alors ses filles, Anne- Geneviève, dite Caroline, et Louise-Gabrielle. Le portrait de cette dernière en chemise et bonnet de nuit jouant avec son petit chien est, dit-on, « universellement applaudi » au Salon de 1769. Car nul mieux que lui ne sait imiter les carnations, capter l’éclat d’une pupille irisée, dessiner une lèvre ourlée, un petit nez subulé ou des mains potelées. Dans leur univers quotidien, les enfants vus par le peintre désarment par leur tendresse et leur beauté contenues, comme lorsque Caroline, âgée de 4 ans, est représentée assise à une table devant un simple coquetier en faïence émaillée et une coupelle en étain. Le Petit Paresseux, son premier tableau exposé au Salon en 1755 – sans doute l’un des plus beaux portraits d’enfant de l’accrochage –, révèle toute la virtuosité de Jean-Baptiste Greuze, jusque dans les écritures du livre qu’il cisèle dans l’épaisseur de la matière picturale.

L’artiste s’inscrit dans le sillage de Jean Siméon Chardin, dont il prolonge l’inspiration dans Le Petit Écolier (vers 1755-1757). Il s’écarte du stéréotype enfantin en refusant à ses figures l’insouciance généralement associée à leur âge. Il leur insuffle à la place une intériorité mélancolique, suggérant une lucidité singulière de l’enfance. « Prédicateur des bonnes mœurs », le peintre insiste sur le rôle éducatif des parents, se montre hostile à la mise en nourrice et prône l’allaitement maternel considéré dorénavant essentiel à l’équilibre de l’enfant. Pourtant, ce qu’il affirme publiquement s’éloigne de ses choix personnels : ses propres filles sont confiées à une nourrice puis placées dans un couvent pendant plus de dix ans, avant de revenir à Paris, où elles trouvent un couple parental désuni qui finit par divorcer dès que la loi le permet, en 1793.

Dans ses représentations, cependant, le père, tout à tour fédérateur, inflexible ou magnanime, joue un rôle central et exemplaire, au point d’insuffler à ses scènes de genre, une vertu et une dignité habituellement réservée à la peinture d’histoire, comme dans Le Gâteau des rois (1774), La Malédiction paternelle. Le Fils ingrat (1777) ou encore Le Fils puni (1778). Pour Denis Diderot, Jean-Baptiste Greuze fait de ses drames bourgeois une « peinture morale ».

Jean-Baptiste Greuze, Septime Sévère reprochant à son fils Caracalla d’avoir voulu l’assassiner, 1767-1769, huile sur toile, musée du Louvre, Paris.

© GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Michel Urtado

Septime Sévère, l'échec académique

Mais tout bascule en 1769, lorsque Jean-Baptiste Greuze dévoile enfin, après dix ans d’attente, son morceau de réception à l’Académie royale. Il espère être reconnu non plus comme peintre de genre, mais comme peintre d’histoire – le rang suprême dans la hiérarchie académique. Exit donc les scènes domestiques : il choisit un épisode austère de l’histoire romaine, jamais encore représenté : Septime Sévère reprochant à Caracalla d’avoir voulu l’assassiner. C’est un échec retentissant. L’Académie juge la figuration malhabile : main molle pour le père censé incarner la vertu stoïcienne, moue boudeuse d’enfant capricieux pour le fils. Ce qu’on louait hier dans ses scènes de genre devient ici maladresse : son naturel expressif paraît déplacé dans une peinture d’histoire.

Mickaël Szanto explique l’incompréhension dont Jean-Baptiste Greuze a été victime : l’artiste ne peint pas un exemplum virtutis (modèle de vertu), mais la faiblesse d’un père incapable de condamner son fils – c’est cet outrage, en opposition totale avec l’exaltation des vertus propre à la peinture d’histoire, que ses contemporains ne lui ont pas pardonné. L’historien d’art rappelle l’hybridation des genres dans la construction et dans le traitement du sujet et propose d’y lire l’une des œuvres les plus subversives de la peinture, comparable aux grandes compositions de Gustave Courbet.

Notre interprétation diverge sur ce point. Là où Gustave Courbet défiait sciemment les conventions, Jean-Baptiste Greuze semble malgré tout chercher à s’y conformer. Il revendique le genre historique, en nomme le sujet, quand, comme le suggérait Denis Diderot, il aurait pu feindre l’ambiguïté – peindre son sujet d’histoire sans le désigner. C’est ainsi qu’Antoine Watteau ou, plus tard, Gustave Courbet (hors du cadre institutionnel) ont su créer de nouvelles formes esthétiques. Jean-Baptiste Greuze, lui, paraît prisonnier de son ambition en se souciant, d’abord, d’intégrer le sommet de la hiérarchie académique. Envisager cette œuvre comme « subversive » – selon les mots de Mickaël Szanto – nécessite, à notre avis, d’être nuancé. Dans cet épisode, ses stratégies de reconnaissance finissent par éclipser ses réelles tentatives d’innovation, faisant de lui l’artisan paradoxal de son propre échec. D’ailleurs, c’est seulement après cet incident que Jean-Baptiste Greuze, vexé, exposera hors du Salon.

Il n’en reste pas moins que son art atteint, dans ses portraits, une sincérité bouleversante. Denis Diderot rapporte, au Salon de 1763 : « J’ai vu de mes yeux une femme approcher du tableau de [Jean-Baptiste] Greuze, l’envisager, et fondre en larmes... il n’y a point de critique que ces larmes n’effacent. »

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« Jean-Baptiste Greuze. L’enfance en lumière », du 16 septembre au
25 janvier 2025, Petit Palais, avenue Winston-Churchill, 75008 Paris

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