Le couperet est tombé après de multiples rebondissements. Le Festival international de la bande dessinée (FIBD) d’Angoulême pourrait ne pas avoir lieu en 2026. Les maisons d’édition ont annoncé qu’elles ne s’y rendraient pas à la suite d’un communiqué publié le 18 novembre, dans lequel syndicats et collectifs d’artistes ont réaffirmé leur détermination à boycotter cette édition. La gérance de la société organisatrice 9e Art+ est sous le feu des critiques, ainsi que son manque de transparence après le licenciement en 2024 d’une salariée ayant déposé plainte pour viol.
Dans une pétition en ligne #MeTooBD, intitulée « Désertons le FIBD d’Angoulême », les signataires écrivent : « Depuis plusieurs mois, nous, professionnel·les de la bande dessinée, auteur·ices et autres travailleur·euses du milieu, interpellons l’Association du FIBD d’Angoulême sur la nocivité du contrat qui la lie avec la société 9e Art+, depuis près de 20 ans. Une société dont les pratiques managériales ont été questionnées dans plusieurs articles de presse, dont une enquête de L’Humanité magazine qui révèle notamment le licenciement d’une employée après qu’elle a dénoncé un viol lors de la 51e édition. Lors de la dernière réunion de l’ADBDA du 3 avril, l’Association du FIBD a évoqué la possibilité de dénoncer le contrat qui la lie avec la société 9e Art+, mais elle n’a pas manifesté le souhait de soumettre la gestion du festival à un appel à projets impartial. Elle semble au contraire vouloir concrétiser son projet de fusion en SAS avec 9e Art+, qui deviendrait, de fait, gérant illimité du festival. Nous voulons rappeler très fermement à l’Association du FIBD que si en plus de 50 ans d’existence, le festival d’Angoulême est devenu un événement incontournable de la BD, c’est grâce aux acteur·ices qui le font vivre et qui l’animent : travailleur·euses de la BD, auteur·ices, éditeur·ices, traducteur·ices, journalistes et critiques… et bien entendu les lecteur·ices, par leur fidélité à cet événement. Celui-ci appartient désormais à la collectivité et, à ce titre, il est devenu un événement d’intérêt public pour la survie de notre medium. Il serait donc inadmissible de le corseter d’intérêts personnels ou de choix autoritaires. Il serait inacceptable que la gérance de cet événement soit à nouveau confiée pour une décennie supplémentaire, voire plus, et sans consultation des parties qui font sa vitalité et sa diversité, à une entreprise qui soulève de nombreuses interrogations sur ses prérogatives. Face à cet aveuglement et à cette obstination, face à cette appropriation insupportable et face au mépris affiché à l’égard de nos interpellations répétées, NOUS, travailleur·euses de la BD, informons l’Association du FIBD, ainsi que tous ses partenaires, publics et privés, que si elle ne se décide pas à dénoncer ce contrat en bonne et due forme et à faire un appel à projets pour la gestion du festival, nous appellerons à boycotter massivement la prochaine édition du festival en 2026. Sans nous, cette édition sera une coquille vide ! »
Le Syndicat national des auteurs et compositeurs (SNAC) a déclaré refuser « d’être une caution morale et syndicale, qui n’aurait pour objet que d’étouffer la légitime colère. Ou pis encore ! De faire le jeu d’agendas électoraux imposant des initiatives décidées en urgence et sans aucune garantie avérée. » « Compte tenu de ce mouvement de grande ampleur qu’ils comprennent, les éditeurs estiment que l’édition 2026 ne pourra plus se tenir », a déclaré dans un communiqué le Syndicat national de l’édition (SNE).
Dès le 10 novembre, plusieurs acteurs clés du secteur – Dupuis, Dargaud, le Lombard, Kana et Urban Comics – ont annoncé leur boycott de l’événement lors d’une réunion d’urgence en visioconférence organisée par Xavier Bonnefont, maire d’Angoulême, et Frédéric Vilcocq, conseiller culture à la région Nouvelle-Aquitaine. D’autres éditeurs majeurs, parmi lesquels Casterman, Delcourt et Glénat, estimaient également que les conditions n’étaient pas réunies pour participer à cette édition. Un ultimatum a été lancé aux pouvoirs publics jusqu’à ce début de semaine pour maintenir l’organisation de l’événement, rapporte le journal Libération sur son site, ce mercredi 19 novembre.
Hier, la ministre de la Culture, Rachida Dati, interpellée à l’Assemblée nationale sur l’avenir du festival, a appelé les auteurs, les éditeurs, les passionnés de BD à être au rendez-vous de l’édition 2026 « fortement critiquée en raison du choix fait par les organisateurs, les responsables du festival, d’une association mise en cause pour des problèmes de transparence financière d’une part et de transparence dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes », tout en annonçant une réduction de plus de 60 % de la subvention accordée à l’association. En réalité, ce n’est pas l’association du Festival de la BD qui touche une subvention mais la société 9e Art+, dirigée par Franck Bondoux et organisatrice de l’événement depuis 2007, rectifie La Charente Libre, qui précise que son montant se répartit entre les 200 000 euros de l’État, les 140 000 euros de la Direction régionale des affaires culturelles Nouvelle-Aquitaine et les 200 000 euros du Centre national du livre.
Face au risque de « naufrage » du festival, l’agglomération, le département et la région ont annoncé le 17 novembre un changement de structure organisatrice à compter de 2028. « Le président de l’association a accepté de se mettre en retrait de l’organisation pour éviter d’entraver l’édition 2026 et les auteurs d’une pétition appelant au boycott seront reçus au ministère de la Culture », a conclu dans son allocution la locatrice de la Rue de Valois. Sauf nouveau rebondissement, ces propos éviteront-ils le scénario annoncé de l’annulation de la prochaine édition ?
« Une rumeur démentie par l’organisation du festival », écrit le quotidien Ouest-France. Dans un communiqué publié ce 19 novembre, les organisateurs du FIBD « formulent l’espérance que les discussions en cours pourront permettre de trouver une solution afin que se tienne l’édition 2026, dans l’intérêt même de l’écosystème de la bande dessinée et par respect pour un public de passionné·e·s de cette forme unique de lecture. […] Pour l’heure, s’étant exprimée et ayant agi pour faciliter la mise en place de solutions afin de préserver l’intégrité et la pérennité de l’événement, l’organisation du festival est en attente des évolutions qui peuvent intervenir et reste elle-même ouverte à toute forme d’échanges ».
« L’horizon n’a jamais semblé aussi apocalyptique, s’est alarmé Fausto Fasulo, l’un des deux directeurs artistiques du festival, contacté par Libération. Le festival a beau avoir le cuir dur, cette annulation de l’édition 2026 pourrait bien signifier sa disparition définitive. »
