Sotheby’s a obtenu deux collections privées majeures pour ses ventes d’automne à New York, une prise significative alors que la maison de ventes enregistre des pertes dans un marché fragilisé. Les 37 œuvres ayant appartenu aux collectionneurs de Chicago Jay et Cindy Pritzker, aujourd’hui disparus, sont évaluées à près de 120 millions de dollars (environ 110 millions d’euros). De son côté, la collection du milliardaire des cosmétiques Leonard Lauder, décédé en juin, forte de 55 œuvres, pourrait atteindre environ 400 millions de dollars (environ 368 millions d’euros).
Une seule pièce concentre plus d’un tiers de cette estimation : le Portrait d’Elisabeth Lederer (1914-1916) de Gustav Klimt, évalué à plus de 150 millions de dollars. Deux paysages de l’artiste, Prairie en fleurs (1906) et Versant boisé à Unterach (1917), sont attendus respectivement entre 80 et 100 millions, et entre 70 et 90 millions de dollars. Parmi les autres lots phares figurent des œuvres de Henri Matisse, Edvard Munch et Agnes Martin.
Jay Pritzker, cofondateur de la chaîne hôtelière Hyatt et membre de la puissante famille Pritzker de Chicago – son neveu JB Pritzker est le gouverneur de l’Illinois – a vécu plus d’un demi-siècle avec son épouse Cindy. Ensemble, ils ont fondé en 1979 le prestigieux prix d’architecture Pritzker, la distinction la plus convoitée dans ce domaine, tout en constituant une remarquable collection d’art. Jay est décédé en 1999, et Cindy s’est éteinte en mars dernier, à l’âge de 101 ans. Parmi les œuvres phares de leur collection promises aux enchères chez Sotheby’s figure Romans Parisiens (Les Livres jaunes)(1887) de Vincent van Gogh, une nature morte représentant une pile de livres, estimée à 40 millions de dollars (environ 37 millions d’euros). Restée dans la famille de l’artiste pendant trois générations après sa mort, le tableau n’était pas réapparu en vente publique depuis 1988. Selon Sotheby’s, les lecteurs du XIXᵉ siècle auraient immédiatement reconnu, dans ces couvertures jaunes, les éditions Charpentier, issues de la maison parisienne pionnière dans l’édition bon marché et à grande diffusion.

Vincent van Gogh, Romans Parisiens (Les Livres jaunes), 1887. Courtesy Sotheby's
La collection Pritzker comprend également des œuvres d’artistes de tout premier plan tels que Paul Gauguin, Wassily Kandinsky, Henri Matisse, Joan Miró, Max Beckmann et Ernst Ludwig Kirchner. D’autres pièces seront dispersées dans diverses vacations de Sotheby’s, notamment une vente du jour d’art moderne où figureront des œuvres de Le Corbusier, Georges Braque, Fernando Botero et Alexander Calder.
Les lots phares des deux collections seront proposés lors des prestigieuses ventes du soir de Sotheby’s, en novembre à New York. Ce sera la première série de vacations organisée dans le nouveau siège de la maison, installé dans le Breuer Building. Un lieu symbolique : Leonard Lauder fut un fidèle soutien du Whitney Museum of American Art, commanditaire et occupant historique du bâtiment, tandis que les Pritzker ont laissé leur nom au prix d’architecture le plus prestigieux. La rénovation de cet édifice brutaliste en vue d’accueillir la maison Sotheby’s a été confiée à Jacques Herzog et Pierre de Meuron, lauréats du prix Pritzker en 2001.
La collection Lauder représente, à ce jour, la consignation la plus prestigieuse annoncée pour les ventes d’automne à New York parmi toutes les grandes maisons. L’enjeu est de taille : selon une étude récente d’ArtTactic, les ventes aux enchères mondiales ont reculé de 6,2 % au premier semestre 2025. La semaine dernière, les résultats publiés par la maison mère de Sotheby’s ont révélé une perte de 248 millions de dollars en 2024, soit plus du double de celle enregistrée l’année précédente. Reste à savoir quelles incitations Sotheby’s a offertes aux héritiers de Lauder et des Pritzker pour s’assurer ces prestigieuses consignations. Par le passé, certaines maisons ont consenti à renoncer à leurs commissions ou à garantir des lots afin de limiter le risque d’invendus devenant « grillés » sur le marché.
Christie’s, principal rival de Sotheby’s, a décroché la collection de la famille Weis, constituée par le défunt magnat des supermarchés Robert F. Weis et son épouse Patricia G. Ross. Robert est décédé en 2015, Patricia l’an dernier ; leurs enfants ont confié 80 œuvres à la maison de ventes, pour une estimation globale de plus de 180 millions de dollars (environ 165 millions d’euros). Parmi les lots phares figurent des pièces de Mark Rothko, Pablo Picasso et Henri Matisse. Selon le New York Times, Christie’s aurait sécurisé cette vente en proposant près de 200 millions de dollars (environ 184 millions d’euros) versés d’avance – une stratégie audacieuse compte tenu du net ralentissement du marché au cours des trois dernières années.
La maison mettra également en vente plus d’une douzaine d’œuvres issues de la collection de la milliardaire Elaine Wynn, récemment disparue, estimée à plus de 75 millions de dollars (environ 69 millions d’euros). Parmi les trophées annoncés figurent The Painter Surprised by a Naked Admirer (2005) de Lucian Freud et Ocean Park #40 (1971) de Richard Diebenkorn, tous deux estimés entre 15 et 25 millions de dollars (soit 14 à 23 millions d’euros).
