Ce choix d’un corpus féminin est politique. Il rappelle que les femmes exercent dans des conditions spécifiques de production et sont soumises à des expériences de socialisation qui les marginalisent. L’ouvrage réaffirme aussi l’ambition politique de la performance : faire de l’expérience alternative des corps un matériau de l’art. Il propose de définir le terme « politique » comme l’exercice du mouvement de la liberté : « La disparition de la chose politique est liée à la disparition de la pratique du mouvement en tant que liberté. »
Cette liberté, enracinée dans le mouvement donc, devient politique lorsqu’elle débouche sur des pratiques. Celles-ci exigent des apprentissages, une répétition, doivent être nourries, expérimentées, vécues. Julie Pellegrin rompt ainsi avec l’idée dépassée d’une performance éphémère et non reproductible.
EXPOSER SANS IMPOSER
Politique aussi parce que l’auteure choisit d’endosser son rôle de commissaire d’exposition, plutôt que de critique, en donnant la parole à des artistes sans imposer de discours surplombant. Elle engage un dialogue depuis les processus de création eux-mêmes, qu’elle a eu soin de côtoyer. Elle propose ainsi de « performer » la recherche en faisant des moments partagés (pratiqués) un espace de réflexion : « Parler, se balader, travailler, danser ensemble, suppose de passer du temps à plusieurs. »
Béatrice Balcou, Pauline Curnier Jardin, Yael Davids, Catalina Insignares, Kapwani Kiwanga, Gisèle Vienne, Emily Mast, Loreto Martínez Troncoso, Myriam Lefkowitz ont toutes en commun de faire de l’illisibilité, la non-productivité, la sous-exposition, la dépossession, des stratégies critiques et créatives. En somme d’inventer des refus génératifs.
Non au deal : en anglais juridique, l’expression « non-performance » désigne l’inexécution d’un contrat. Non à la technique académique : « J’aime travailler avec des performeurs au sens de quelqu’un qui a développé sa propre technique. Ce sont toujours des bêtes de scène, ce qui n’empêche pas qu’ils puissent être des amateurs », observe Pauline Curnier Jardin. Enfin, non au pouvoir, car, comme le rappelle le philosophe Alain : « Dès que la tête humaine reprend son antique mouvement de haut en bas, pour dire oui, aussitôt les tyrans reviennent*1. » Alors si penser, c’est dire non, performer, c’est aussi faire ce geste horizontal, de droite à gauche, qui balaye l’horizon et élargit le champ.
*1 Alain, « Le libre jugement », Propos sur les pouvoirs. Éléments d’esthétique politique, Paris, Gallimard, 1985.
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Julie Pellegrin, (Non) Performance. A Daily Practice, Monlet, T&P Publishing, 2024, 224 pages, 22 euros.
