Le 14ᵉ Prix Jean-François Prat a été décerné à l’artiste britannique Toby Ziegler, lors d’une cérémonie organisée à Paris et animée par Frédéric Brière, directeur du Fonds de dotation Bredin Prat, aux côtés de l’historien de l’art Chris Dercon, parrain de cette édition. Cette année, le prix mettait en lumière la peinture abstraite, un médium que Frédéric Brière estime avoir été « relégué dans l’ombre [du prix] ces cinq dernières années, au point que cela en devenait une anomalie ».
Trois artistes étaient en lice : l’Américaine Lisa Jo, l’Indonésien Syaiful Aulia Garibaldi et l’Anglais Toby Ziegler. Leur sélection avait été assurée par un comité composé de Marie-Aline Prat, collectionneuse ; Anaël Pigeat, editor-at-large de The Art Newspaper Édition française ; Odile Burluraux, conservatrice au musée d’Art moderne de Paris ; Frédéric Brière ; et Frédéric Bonnet, critique d’art et commissaire indépendant.
Tous ont pleinement conscience de la situation paradoxale dans laquelle se trouve aujourd’hui la peinture abstraite. « Aucun artiste ne prétend plus vraiment à "la fin de la peinture", a rappelé Chris Dercon. Il existe une multitude de voies que les peintres peuvent explorer ». Chacun des finalistes s’en empare à sa manière. Et le parrain de nuancer : « Certaines options, évidemment, s’avèrent plus pertinentes que d’autres ».

Toby Ziegler, Blind men exploring the skin of an elephant, 2023, huile et jet d’encre sur toile, 200 x 250 cm. Courtesy de l’artiste et de la galerie Max Hetzler Berlin / Paris / Londres / Marfa
De fait, les trois artistes en lice ne relèvent pas d’une abstraction radicale. Tous développent un langage visuel composite, où l’abstraction cohabite avec des formes empruntées au réel, souvent à peine voilées. Chris Dercon l’a d’ailleurs souligné avec une pointe d’ironie lors de la cérémonie, évoquant une prochaine édition consacrée à une peinture dépassant la dichotomie abstraction/figuration. Mais cette fusion des registres n’est-elle pas déjà à l’œuvre ?
Cette approche renouvelée de l’abstraction a visiblement su convaincre le jury. Le lauréat, Toby Ziegler, soutenu par Marc Donnadieu, conservateur et commissaire d’exposition indépendant (et contributeur de notre mensuel), en incarne une expression particulièrement convaincante. L’artiste affirme vouloir « rendre lisible le visible » dans un monde dominé par le numérique, un environnement omniprésent mais aux contours flous et fuyants. Ses toiles mettent en scène des espaces en perspective, recouverts de formes diffuses, souvent quadrillées, qui suggèrent des volumes abstraits tout en structurant la surface. De ces compositions, où le vide joue un rôle central, émerge parfois une silhouette humaine, réintroduisant l’œil dans le registre du sensible. Ainsi, la figuration n’est jamais très loin.

Syaiful Aulia Garibaldi, Porculen Microorganism #8.2, 2023, acrylic sur toile 200 x 170 cm. Courtesy de l’artiste et ROH Projects (Djakarta)
Les deux autres artistes finalistes se sont, eux aussi, exprimés sur l’état actuel de la peinture abstraite. Syaiful Aulia Garibaldi, défendu par Juliette Lecorne, conservatrice à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, propose une abstraction plus prononcée. Inspiré par les dynamiques de prolifération du vivant – champignons, bactéries, organismes microscopiques –, il développe une peinture où l’esthétique du « foisonnement » rejoint une iconographie quasi scientifique. Cette abstraction organique est traversée par le vivant.

Lisa Jo, New Confessions, 2024, huile sur lin, 165 x 172 cm. Courtesy de l’artiste et de la galerie Molitor (Berlin)
Enfin, Lisa Jo, soutenue par l’historien de l’art, commissaire d’exposition et critique suisse Fabrice Stroun, présente une peinture que son rapporteur a qualifiée de « résolument non narrative ». Plutôt que d’énoncer un discours compréhensible, son travail s’attache à transmettre une sensation. L’artiste découpe des personnages féminins issus de la bande dessinée – un médium où ces figures sont souvent réduites à l’état d’objets, façonnées par le male gaze [regard masculin] et stéréotypées au point de refléter une violence symbolique contre le corps féminin. À partir de ces motifs, Lisa Jo compose ses toiles pour faire émerger une douleur profonde, témoignant de cette détresse corporelle imposée par un regard masculin normatif.
L’exposition du Prix Jean-François Prat et de la collection du Fonds de dotation Bredin Prat se visitent en accès public gratuit au 53 quai d’Orsay à Paris (8 e arrondissement). Réservation ici.
