Entré par dation dans les collections nationales en 2003 et reconstitué depuis dans le parcours permanent du musée national d’Art moderne, à Paris, le mur d’objets déposés au fil du temps, derrière le bureau qu’occupait André Breton rue Fontaine, dans le 9e arrondissement parisien, est autant un portrait du poète qu’un résumé de l’histoire du surréalisme et une image de sa géographie et de ses mécanismes mentaux. Formée par et pour la curiosité, cette collection dans la collection en interroge les principes mêmes : les rapprochements qui y sont opérés suivent en effet une logique propre à l’esprit qui les a orchestrés mais aussi accueillis ; quant au sens, celui-ci a tantôt cherché à le voir, tantôt se l’est vu imposer, à la faveur de trouvailles fortuites et de révélations.
Les "mondes" d'André Breton
Avec une équipe de chercheurs de profils variés – conservateurs ou universitaires, historiens d’art, anthropologues, spécialistes de minéralogie ou de littérature –, Aurélie Verdier, conservatrice au Centre Pompidou, a mis au point une sorte de guide pour qui voudrait partir à la rencontre des « mondes » qui se croisent dans ce mur, qui en est un lui-même, en rac- courci et ne demandant qu’à se redéployer. Les près de 350 pièces composant cet ensemble se trouvent ainsi dûment indexés, répertoriés, identifiés et resitués dans leur contexte d’origine, dans un volume organisé suivant sept rubriques, qui rappellent celles figurant dans le catalogue de l’Exposition surréaliste d’objets de 1936 : « Océanie », « Amériques », « Objets naturels », « Objets usuels », « Art moderne », « Art populaire » et « Varia ». Dans cette liste et la diversité de ses registres, où l’absence d’ordre et de hiérarchie semble régner, le jeu de piste se substitue au classement. Et c’est heureux, tant André Breton a recherché le choc, le frottement, la surprise plutôt que la rationalité épistémologique : « Jusqu’à nouvel ordre, écrivait-il dans “La Confession dédaigneuse” en 1923, tout ce qui peut retarder le classement des êtres, des idées, en un mot entretenir l’équivoque, a mon approbation. » Et si chaque objet regagne, par ce travail, une identité propre, c’est pour mieux donner à supposer les réseaux souterrains et les courants invisibles qui circulent de l’un à l’autre ; pour mieux laisser en suspens aussi les raisons de leur choix et ce qui motive leur place dans l’ensemble. Autour de la fascinante roue ovale qui y figure, Jean-Pierre Criqui tisse un écheveau passionnant de références et de résonances, comme un échantillon des ramifications infinies que lancent ces objets, tous des pièces du « puzzle inachevable de la curiosité moderne » en acte dans le mur.
Aurélie Verdier, L’Atelier d’André Breton. Mur Mondes, 2024, Paris, Éditions Centre Pompidou, 400 pages, 69 euros.