Sous le titre Femmes derrière l’objectif. Photographes majeures de 1840 à nos jours, les Éditions de La Martinière mettent en lumière près de soixante artistes internationales qui ont marqué l’histoire du médium, des cyanotypes de la pionnière de la photographie scientifique Anna Atkins à l’œuvre de la militante Zanele Muholi. Pour l’auteur de cette anthologie, Boris Friedewald : « Depuis les débuts de la photographie, il y a presque deux siècles, les femmes utilisent ce médium comme un moyen d’expression, voire de provocation ou de remise en question des codes artistiques, sociaux et politiques. Leurs regards sont multiples; leur genre, parfois revendiqué. Elles sont photographes avant tout. »
Gisèle Freund est l’une d’elles qui témoignaient ainsi de son activité en 1977 : « Dans une profession comme celle-ci, être une femme est à la fois un avantage et un inconvénient […]. J’ai souvent réussi à prendre des photos là où mes collègues masculins avaient échoué […]. Peu de femmes travaillent comme photojournalistes, un métier qui requiert une santé de fer, une bonne dose de patience et de curiosité, ainsi qu’une ouverture d’esprit, des compétences et du courage dans des situations totalement imprévisibles – autant de qualités que possèdent les femmes. »
UNE MULTIPLICITÉ DE PRATIQUES
Aussi le parti pris éditorial n’a-t-il pas été celui du temps historique, mais celui de l’ordre alphabétique. L’avantage de ce dernier est, en effet, d’être antihiérarchique et de ne privilégier aucune approche, ni esthétique ni documentaire, mais de permettre à chaque photographe de s’exprimer pour elle-même et par elle-même, à travers citations, textes biographique et analytique, et reproductions d’œuvres très soigneusement choisies.
La difficulté, à l’heure du bicentenaire de la photographie, est de ne pas apporter les repères temporels nécessaires à la bonne compréhension de l’évolution du médium. Il faut donc se laisser aller, au fil de plus de 230 pages, au hasard de la découverte, afin de réaliser sa propre approche vis-à-vis de la multiplicité des pratiques photographiques. « Pour Sarah Moon, il s’agit d’un métier; pour Shirana Shahbazi et Annette Kelm, c’est un art; et lorsqu’on lui a posé la question, Evelyn Hofer a répondu : “Je ne fais que mon travail.” […] Quant à Eve Arnold, elle estimait qu’une description genrée était restrictive : “Je ne voulais pas être une ‘femme photographe’. Cela m’aurait limitée. Je voulais être ‘photographe’, et il se trouve que j’étais une femme, prête à saisir le monde entier dans mon appareil photo” », tient à souligner Boris Friedewald.
Et si aujourd’hui Berenice Abbott, Dorothea Lange, Margaret Bourke-White, Julia Margaret Cameron, Claude Cahun, Tina Modotti, Lee Miller, Diane Arbus, Vivian Maier, Martine Franck, Bettina Rheims, Cindy Sherman ou Nan Goldin – lauréate 2025 du prix Kering Women in Motion pour la photographie – n’ont presque plus de secrets pour personne, qui a vraiment entendu parler de lady Clementina Hawarden, pionnière de la discipline en Irlande et particulièrement admirée par Lewis Carroll ; de l’Américaine Lillian Bassman, une des premières photographes de mode ;de la Japonaise Rinko Kawauchi, qui a porté l’idée des haïkus photographiques à un niveau d’excellence ; ou de l’engagement de la photoreporter iranienne Newsha Tavakolian. L’érudition se conjugue ainsi à la curiosité pour cet ouvrage de référence.
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Boris Friedewald, Femmes derrière l’objectif. Photographes majeures de 1840 à nos jours, Paris, Éditions de La Martinière, 2024, 232 pages, 45 euros.
