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Critique

Gerhard Richter, la peinture en face

La Fondation Louis-Vuitton, à Paris, propose une rétrospective consacrée à l’artiste allemand, réunissant 275 œuvres réalisées à partir de 1962.

Guitemie Maldonado
14 novembre 2025
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Vue de l’exposition, « Gerhard Richter », Fondation Louis-Vuitton, Paris, 2025. © Gerhard Richter. Courtesy de la Fondation Louis-Vuitton. Photo Marc Domage

Vue de l’exposition, « Gerhard Richter », Fondation Louis-Vuitton, Paris, 2025. © Gerhard Richter. Courtesy de la Fondation Louis-Vuitton. Photo Marc Domage

Regarder la peinture en face, comme on le dit pour tout ce qui séduit et simultanément menace ou fait peur, pour tout ce que l’on ne peut ni fixer ni vraiment voir, mais vers quoi l’œil est inexorablement attiré. Telle est l’expérience à laquelle invite la rétrospective « Gerhard Richter », conçue par les deux éminents connaisseurs de son œuvre que sont Dieter Schwarz et Nicholas Serota pour les espaces de la Fondation Louis-Vuitton, à Paris.

Depuis 2012 et le grand « Panorama » qui avait été précédemment présenté dans la capitale, au Centre Pompidou (du 6 juin au 24 septembre 2012), l’artiste, né à Dresde en 1932, a cessé de peindre – en 2017 –, décidant de la fin de son œuvre peint comme il en avait fixé le début avec Tisch en 1962, premier numéro de son catalogue raisonné. Ce sont donc aujourd’hui cinquante-cinq ans de peinture que l’on parcourt, à travers près de 300 œuvres, organisées chronologiquement, décennie après décennie. S’y trouvent intégrés, en trois temps et espaces propres, des ensembles de dessins ou du moins d’œuvres sur papier, puisque c’est sur ce support que se poursuit désormais le travail. Et si l’on ne les découvre pas – cent d’entre eux avaient été montrés au musée du Louvre (« Gerhard Richter. Dessins et aquarelles, 1957-2008 », du 7 juin au 17 septembre 2012), en parallèle de l’exposition du Centre Pompidou –, leur présence à proximité de la peinture invite à en reconsidérer le rôle dans le processus créatif.

Convoquer la mémoire

Pourtant, c’est avant tout au frottement avec la photographie que l’on associe cette œuvre inaugurée par les Photo-Bilder, peintures d’après des images émanant de sources diverses, depuis l’album de famille jusqu’aux magazines de reportage ou d’architecture. La table design qui est au centre de Tisch proviendrait ainsi des pages de la revue italienne Domus. Les gestes d’essuyage qui l’effacent en partie ont été produits avec un solvant, sur le papier et l’encre d’imprimerie constituant l’image de départ. Ainsi s’amorce un dialogue, sans cesse prolongé et reformulé, avec cette mémoire visuelle en forme d’archive et de répertoire d’œuvres potentielles qu’il a consignée dès ses débuts dans son Atlas, exposé, quant à lui, pour la première fois à Utrecht, aux Pays- Bas, en 1972 (« Gerhard Richter. Atlas von de foto’s en schetsen (Atlas des photographies et des esquisses) », du 1er au 30 décembre 1972, Hedendaagse Kunst, Utrecht, Pays-Bas).

Ici, des photographies au sens propre n’apparaissent qu’à deux reprises. D’abord, les 128 Details from a Picture que Gerhard Richter réalise en 1978, durant un séjour au Nova Scotia College of Art and Design, à Halifax, alors haut lieu canadien de l’art conceptuel. Il y arpente, avec toute la précision que permet le noir et blanc, la surface accidentée de l’une de ses esquisses à l’huile sur toile, comme une plongée dans les infimes détails de sa matière, un inventaire d’autant de possibilités de peinture.

À la toute fin du parcours, les reproductions de quatre photographies prises clandestinement par un détenu depuis l’intérieur d’une chambre à gaz dans le camp d’Auschwitz II-Birkenau (Pologne) – soit l’impossibilité par excellence de la représentation à laquelle l’artiste s’est heurté, ne pouvant qu’en convoquer la mémoire dans une série de peintures abstraites (Birkenau, 2014, peu de temps avant de cesser de peindre) – sont disposées en face de quatre plaques de verre gris qui renvoient les visiteurs aux images, sans esquive possible.

Vue de l’exposition, « Gerhard Richter », Fondation Louis-Vuitton, Paris, 2025.

© Gerhard Richter. Courtesy de la Fondation Louis-Vuitton. Photo Marc Domage

"Faire un morceau de peinture"

Si la dramatisation atteint là un degré extrême, Gerhard Richter n’a néanmoins jamais cessé d’interroger les limites de la peinture, quelles qu’elles soient. En 1973, à la journaliste allemande Irmeline Lebeer qui le questionnait sur le but de son œuvre, il a répondu : « faire un morceau de peinture » – comme un morceau de chair, mais aussi de musique (dans la matière et dans l’abstrait), comme une tautologie à l’époque de l’art conceptuel (un peintre fait de la peinture) ou encore comme un ready-made (alors que l’on revisite l’héritage duchampien, les images ainsi que les gestes et les formes sont majoritairement déjà tout faits). Car, pour l’artiste venu à l’abstraction dans les années 1970, celle-ci est un art tant autonome que référencé, donné et travaillé par la mémoire visuelle au même titre que l’est la photographie. Et pour cette raison même, il a pu opérer constamment entre les deux, de l’une à l’autre.

En témoigne le reportage In der Werkstatt (1969) de Hannes Reinhardt qui le montre en train de peindre Ruhrtalbrücke. Dans ce paysage, un ciel et sa lumière diffuse occupent la majeure partie de la toile, barrée par les lignes d’un pont et lestée par une zone sombre où s’abîment les détails topographiques à l’exception d’un méandre. Il le peint d’après une photographie qu’il a prise et qu’il projette, agrandie sur la toile, après avoir fermé ses rideaux, pour en relever les principaux contours et masses, avant de passer une large brosse pour rendre l’ensemble diffus, ayant vérifié dans un miroir la précision de l’image produite. « Je veux que rien n’ait l’air fabriqué ou peint » : le commentaire relaie ces propos, faussement clairs, de l’artiste, qui manie le paradoxe, avec un rare bonheur.

Strich (auf Rot) (1980) reproduit, sur plusieurs mètres, une ligne jaune dont l’agrandissement considérable met au jour les moindres irrégularités ainsi que le grain du support sur lequel elle a été déposée ; le tout avec une facture la plus lisse possible, qui ôte au geste toute spontanéité. Il n’en produit pas moins un mouvement, une accélération même qui vient buter, dans un moment particulièrement réussi de l’accrochage, sur un miroir où le reflet de l’espace ainsi redoublé paraît bien trop net pour être honnête.

À chaque salle, un nouveau jeu : entre la peinture et le réel bien sûr, à travers la présence récurrente de surfaces réfléchissantes (en sculptures ou en tableaux), qui reproduisent mécaniquement tout en mettant à distance, faisant écran ; entre la peinture et l’objet à travers les sujets figurés, volontiers triviaux, qui font écho à la nature morte comme à l’objet trouvé ; entre la peinture et la peinture surtout, laquelle engage la représentation autant que la couleur ready-made, les gestes qui brouillent l’image autant que ceux qui font advenir l’espace pictural.

Le spectre des variations semble inépuisable : du plus contrasté et foisonnant au monochrome, du plus lisse au plus accidenté, du plus brillant au plus mat. Et les effets du procédé de lissage de la surface, pratiqué avec toutes sortes d’outils et dans tous les registres, s’avèrent tout aussi variés : du brouillage et du délitement de l’image jusqu’à la création des détails de surface ; de l’évocation de l’invisible, voire de l’irreprésentable jusqu’à l’affirmation de la matérialité de la présence ; de la mise en crise de la vision à la convocation de la mémoire individuelle et collective, jusqu’en ses lacunes. Ici, regarder la peinture en face, c’est autant s’y absorber que savoir la mettre en morceaux.

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« Gerhard Richter », du 17 octobre 2025 au 2 mars 2026, Fondation Louis-Vuitton, 8, avenue du Mahatma-Gandhi, 75016 Paris, fondationlouisvuitton.fr

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