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Les archives du rêve

L’Institut mémoires de l’édition contemporaine, près de Caen, a imaginé une traversée onirique de ses collections, mettant en lumière le rôle du rêve sur la pensée contemporaine.

Zoé Isle de Beauchaine
5 novembre 2025
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Vue de l’exposition « Fragments du rêve », Imec, Saint-Germain-la- Blanche-Herbe, 2025. Photo Michael Quemener/Imec

Vue de l’exposition « Fragments du rêve », Imec, Saint-Germain-la- Blanche-Herbe, 2025. Photo Michael Quemener/Imec

Créée en 1988, l’association Institut mémoires de l’édition contemporaine (Imec) s’attache à sauvegarder les traces de la vie éditoriale contemporaine. De Marguerite Duras aux éditions du Seuil en passant par Jacques Derrida ou la Revue des Deux Mondes : les archives d’auteurs, d’éditeurs et de professionnels de l’écrit – librairies, imprimeurs, graphistes, agents littéraires, revuistes, critiques, associations – y sont recueillies et préservées. Cette collection couvre en grande partie la littérature, tout en s’ouvrant aux arts et aux sciences humaines et sociales. Depuis le début des années 2000, ce patrimoine est conservé à l’abbaye Notre-Dame d’Ardenne, près de Caen. Dans la bibliothèque installée au cœur de l’abbatiale, plus de 720 fonds sont consultables par les chercheurs comme par les curieux. Tout près, les anciennes étables ont été transformées en salle d’exposition de manière à mettre en valeur ces fonds à travers le prisme des différentes thématiques dont se saisissent des commissaires invités, comme l’artiste Jean-Michel Alberola en 2021 ou le philosophe Georges Didi-Huberman en 2023.

« L’archive est le lieu secret du dépôt des rêves », dit Claire Paulhan. Cette historienne de la littérature spécialiste du XXe siècle et éditrice a travaillé pendant vingt-cinq ans à l’Imec. Durant cette période, elle a découvert d’innombrables récits oniriques dans les collections et désirait depuis longtemps consacrer un projet à ce sujet. L’exposition « Fragments du rêve » réunit 155 documents issus de 56 fonds, qui révèlent la nécessité pour de nombreux écrivains de capter leurs songes et comment ceux-ci ont nourri la pensée et la création contemporaines.

Un parcours somnanbule

Une première vitrine plonge le visiteur dans un siècle de récits de rêves consignés religieusement par leurs auteurs de 1908 à 2008. Jacques Prevel évoque avec angoisse la mort d’Antonin Artaud survenue dans son imaginaire nocturne. Hervé Guibert rédige une lettre à Patrice Chéreau qui lui a rendu visite dans son sommeil. Joë Bousquet a été transporté dans un tableau de Max Ernst. Violette Leduc raconte s’être vue enceinte, siégeant sur une chaise, en équilibre sur la mer, avec pour seul horizon un cimetière. Jean Schuster a rêvé qu’il rêvait. Quant à Lisa Bresner, la nuit l’a transformée en marchande des Galeries Lafayette où elle vendait... des poupées à son effigie.

Ces quarante-deux documents donnent aussi la mesure des maintes façons de retranscrire ces apparitions, de quelques mots gribouillés spontanément sur un feuillet volant chez Maurice Roche à une consignation méticuleuse, presque scolaire, dans un journal pour Jacques Lemarchand. En contraste, l’écriture nerveuse et raturée de Béatrix Beck montre toute l’urgence de saisir ces formes fugaces avant qu’elles ne se dissipent. Cette dernière était réputée pour distiller sa vie onirique dans ses écrits, à tel point qu’un critique lui aurait demandé : « À quand un roman sans rêve ? »

La manière dont écrivains et chercheurs ont puisé dans cette matière fantasmagorique forme l’autre pendant de l’exposition. Ce territoire psychique est avant toute un mystère à percer, en témoigne l’immense bibliothèque offrant un panorama des études menées à ce sujet, de l’Antiquité à nos jours. En son centre, l’émergence de la psychanalyse et les recherches de Sigmund Freud constituent une véritable révolution dans le rapport de nos sociétés à nos récits nocturnes. Dès sa parution en français, L’Interprétation du rêve imprègne la littérature et les recherches en sciences humaines.

En 1979, les sociologues Françoise et Jean Duvignaud publient, avec la complicité de Jean-Pierre Corbeau, La Banque des rêves, une vaste étude anthropologique visant à recueillir les rêves des oubliés de Sigmund Freud, ces citoyens « lambda » qui sont pourtant le nerf de la société. En conclusion de l’ouvrage, Jean-Pierre Corbeau célèbre la liberté du rêve, espace de jeu gratuit, qui en fait un contre-pouvoir aussi intime qu’universel. Plus loin, une vitrine réunissant un florilège d’écrits et d’œuvres rend hommage aux maîtres dans l’art de mêler l’inconscient à la réalité : les surréalistes. Le groupe entretenait une relation d’amour-haine avec la psychanalyse dont ils se sont largement nourris, tout en dépassant son cadre trop restrictif.

Lucien Bonnafé, photomontage réalisé pour l’exposition du Trapèze volant (mouvement K. O.), 1933.

Courtesy des archives Lucien Bonnafé/Imec. Photo Michaël Quemener/Imec

L'éveil des images

Pour répondre à l’idée de Sigmund Freud selon laquelle le rêve transforme la pensée en image, cette immersion fantasmagorique dans les archives de l’Imec est mise en regard avec des œuvres prêtées par le musée national d’Art moderne, partenaire de l’exposition. La part belle est donnée à l’image mouvante à travers, notamment, des chutes de films naturalistes tournés par le Muséum d’histoire naturelle dans les années 1930. Ces extraits montrant des fleurs s’ouvrir, des caméléons chasser ou encore la lave envahir un village donnent forme à la réalité fuyante et abstraite des songes. Trois autres films, de Joseph Cornell, Maya Deren et Su Friedrich, constituent autant de tentatives poétiques de la représenter.

Aux murs, après avoir observé ses dessins de Sculptures d’une exposition vue en rêve, le regard est attiré par une série photographique mystérieuse d’Édouard Levé, pour laquelle ses proches ont rejoué quelques-uns de ses phantasmes. Apparaît ensuite un chef-d’œuvre de Maurice Henry, les planches – sauvées de justesse du feu – des Métamorphoses du Vide, livre-objet paru en 1955 aux Éditions de Minuit. Usant avec poésie des aplats de couleur, l’artiste proche des surréalistes y met en scène les nombreux songes de son héros. On passe de l’un à l’autre par les découpes qui créent un lien entre chaque page, évoquant ces basculements inopinés propres au sommeil.

L’exposition elle-même amène le visiteur d’un thème à l’autre suivant ce même chemin, laissant entrevoir la source intarissable que les scénarios nocturnes représentent pour la littérature contemporaine. « Fragments du rêve » est une vision dont on voudrait retarder l’éveil. Fragments du rêve. Brouillons, visions, fantômes d’Olivier Schefer (Imec, 2025) offre cette opportunité à travers un essai philosophique richement illustré sur les possibles écritures oniriques.

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« Fragments du rêve », du 6 juin au 30 novembre 2025, Institut mémoires de l’édition contemporaine, abbaye d’Ardenne, 14280 Saint-Germain-la-Blanche- Herbe, imec-archives.com

Expositions Institut mémoires de l’édition contemporaineLittératureCaen
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