Depuis son lancement en 2020, la collection « Transatlantique » d’ER Publishing – fondées la même année par Elodie Rahard – rassemble des textes courts d’artistes contemporains autour d’une figure majeure de l’histoire de l’art nord-américain ou européen, dont l’œuvre s’est développée postérieurement à la première moitié du xxe siècle. C’est sous le signe de Josef Albers (1888-1976) que l’artiste et professeur Pierre Mabille a, pour ce onzième opus, convié plusieurs voix de générations différentes, de part et d’autre de l’Atlantique, à interroger leur rapport à l’héritage du peintre.
Étudiant puis enseignant au Bauhaus, avant de fuir en 1933 aux États-Unis, où il a marqué, avec son épouse, l’artiste Anni Albers, les débuts du Black Mountain College, près d’Asheville (Caroline du Nord) (l’exposition « Anni et Josef Albers. L’art et la vie » au musée d’Art moderne de Paris, en 2021, a été la première consacrée au couple. Les travaux de l’historienne d’art Ida Soulard, à travers son ouvrage Les Abstractions concrètes d’Anni Albers (1899-1994). Une histoire textile de la modernité (Les presses du réel, 2024), enrichissent grandement l’approche de l’œuvre). Josef Albers dirigea ensuite le département de design de Yale University, à New Haven (Connecticut), dans les années 1950, pendant lesquelles il commença également la réalisation de sa série phare Homage to the Square.
Une polyphonie engagée et vivante
L’ouvrage, bilingue, s’ouvre sur une préface chronologique de Pierre Mabille, lequel introduit de manière très documentée les points de vue de Cécile Bart, Stephen Dean, Sheila Hicks, Irma Kalt, Fanette Mellier, Mathieu Mercier, Sarah Morris, David Rhodes et Dan Walsh. L’éventail de leurs contributions ne cherche pas tant à esquisser le portrait d’un artiste qu’aucun n’a rencontré – à l’exception de Sheila Hicks pour qui il a été un enseignant décisif –, mais plutôt à comprendre ce que ses œuvres et leur usage inédit de la couleur, ses conférences et ses poèmes, son enseignement expérimental de l’art à travers le dessin, la matière, la couleur et le design, ont déposé chez des générations d’artistes après lui.
Depuis leurs ateliers, Cécile Bart, Irma Kalt et Fanette Mellier ont, par exemple, pris le temps de saisir ce qui, dans leurs propres pratiques de l’image, de l’espace ou du livre, fait écho à la vie de Josef Albers pour lequel l’art n’était « pas un objet mais une expérience ». Stephen Dean utilise l’œuvre Variant/Adobe (1947) pour évoquer l’étroite relation de Josef Albers avec le Mexique, où Anni et lui trouvèrent l’inspiration à maintes reprises. En retraçant très précisément la trajectoire de l’artiste dans l’Allemagne de ses débuts, Mathieu Mercier donne quant à lui un aperçu glaçant des effets du totalitarisme, auquel notre présent offre un bien sombre miroir. La lecture de cette polyphonie aussi engagée que vivante incite immédiatement à voir, revoir, lire, relire et méditer tout ce que Josef Albers a patiemment construit et qui continue d’agir ici ou là.
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Pierre Mabille (dir.), Josef Albers, Paris, ER Publishing, collection « Transatlantique », 2025, 160 pages, 20 euros.
