Comment choisissez-vous d’acheter une œuvre pour la collection ?
Pour moi, ce sont avant tout des coups de cœur : je vois une œuvre, elle me plaît ; généralement, je n’ai même pas le temps de réfléchir. Si je suis conseillé? Oui, par Édouard Carmignac.
Où se trouve la collection ?
En partie dans nos sept bureaux [de la société de gestion d’actifs Carmignac].
Je veux avant tout me faire plaisir, et faire plaisir à nos collaborateurs. Ici, dans mon bureau, j’ai accroché une œuvre de la jeune Avery Singer, à l’approche assez froide, assez digitale, mais dans celle-ci, le visage humain apparaît. Et que pensez-vous de ce portrait de Lénine par Warhol, d’un bleu métallique et froid ? Il est réduit à un cerveau sans sentiments qui a soutenu les ouvriers, les paysans, mais aussi des massacres. Dans ce tableau, le corps disparaît, il n’est pas charnel, et Lénine s’appuie sur ses livres, donc sur ses idées.
Le message qu’il envoie, c’est : je vais réaliser ce que j’ai écrit, et je vais vous l’imposer. Avant, en face de lui, j’avais un Mao aussi de Warhol. Je me plaisais à imaginer qu’en mon absence, ils se chamaillaient sur qui avait tué le plus de monde... J’ai préféré le remplacer par cette Nurse de Richard Prince, l’une des plus belles qu’il ait faite, pour moi très hitchcockienne. C’est l’infirmière masquée venue pour nous faire du bien, mais son regard pénétrant montre qu’elle est prête à vous tuer. L’œuvre semble aussi annoncer le Covid... Pourquoi l’art contemporain est-il si important pour moi ? Parce que les artistes ressentent l’avenir confusément, instinctivement. Comme disent les Américains, the shape of things to come. Cela fait écho à mon activité [de financier] : je dois moi aussi être un bon anticipateur.
Combien de Basquiat possédez-vous ?
Une dizaine. Je reçois régulièrement des offres, parfois à des prix dingues. C’est tentateur. Parmi ces œuvres figure un portrait de moi en train de danser qu’il avait fait en visitant son atelier quand j’étudiais et travaillais à New York. Basquiat, c’est l’art de mes 20 ans ! Seize ans plus tard, j’ai vu ce portrait en vente aux enchères, je l’ai acheté. Sur la toile, il avait écrit mon nom avec le 2e C de Carmignac, le C de copyright. Le plus amusant, c’est qu’entretemps, ma société a été créée... avec le même logo !
N’êtes-vous pas tenté de revendre pour acheter d’autres œuvres ou financer autre chose ?
Nous avons la chance d’avoir une activité qui marche bien, donc nous disposons d’un peu d’argent pour acheter tous les ans. Et si je vendais, ce serait pour acheter autre chose, mais je ne suis pas sûr de gagner au change...
Sachant l’explosion des prix pour les plus grands noms ces dernières années, avez-vous arrêté de les acheter ?
Pas totalement ! Je me suis fait un grand plaisir, il y a 4 ou 5 ans, en achetant un Pape de Bacon, artiste que je rêvais d’avoir. J’ai réussi à l’acquérir dans de très bonnes conditions. Le tableau m’a plu parce que le pape a l’air très méchant. La question, ensuite, c’était : est-ce que j’arriverais à vivre avec ? J’ai passé une très mauvaise nuit après avoir décidé que je l’achetais... Et bien, curieusement, j’ai réussi à dialoguer avec lui. Il est dans le salon, il toise les visiteurs.
Prêtez-vous des œuvres à des expositions ?
Dans la rétrospective « Gerhard Richter » de la Fondation Louis-Vuitton, nous avons prêté une œuvre. Nous avons aussi trois Basquiat qui sont montrés à Séoul en ce moment.
Visiter les expositions de la Villa Carmignac, que vous avez inaugurée en 2018 à Porquerolles, et dirigée par votre fils, Charles, permet de découvrir la collection. Le visiteur peut voir une œuvre de Philippe Decrauzat créée pour l’exposition mais aussi de très belles pièces de Günther Uecker, Frank Bowling ou de Gerhard Richter qui proviennent de votre fonds.
Nous devons avoir une grosse poignée d’œuvres de Richter. L’artiste le plus présent dans la collection, mais qui n’est pas présenté actuellement dans « Vertigo », reste Roy Lichtenstein, avec une vingtaine de pièces. Il a fait des nus de femmes extraordinaires.
En dehors de tous ces grands Américains, quelles scènes vous intéressent ?
J’achète des artistes qui m’intéressent quelle que soit leur nationalité. Ils peuvent être Français, comme Bernard Frize, Yves Klein, Bertrand Lavier, Valérie Belin ou Camille Henrot. Ou du Vietnam, du Cambodge, du Japon, d’Amérique du Sud, du Moyen-Orient... Ces artistes issus d’une autre culture ont souvent beaucoup de choses à dire.
Que pensez-vous de cette période actuelle du marché ?
Il y a un nettoyage après une spéculation excessive. Certains artistes ne ressusciteront pas. Le temps est un juge impitoyable !
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« Vertigo », jusqu’au 2 novembre 2025, Villa Carmignac, île de Porquerolles, 83400 Hyères, fondationcarmignac.com
