Pour sa 8e saison artistique, la Villa Carmignac plonge le regard dans l’ivresse de la perception. Sur l’île de Porquerolles, au large d’Hyères (Var), en écho à l’expérience étourdissante du soleil méditerranéen, du mistral, des vagues et des embruns, l’exposition « Vertigo» s’empare de la singularité insulaire du lieu pour interroger notre rapport au paysage à travers le prisme de l’abstraction. Emprunté à Alfred Hitchcock, le titre ne convoque pas tant le récit du film du même nom que son puissant effet : un vertige perceptif, né de l’instabilité des repères, que le commissaire Matthieu Poirier présente par le biais d’une cinquantaine d’œuvres de 1950 à nos jours.
La racine latine du terme « vertige » n’est-elle pas vertere, soit littéralement « tourner » ou « transformer » ?
UN DÉSÉQUILIBRE MAÎTRISÉ
Dans cette mise en valeur de l’expérience sensorielle issue de l’abstraction, les éléments ont toute leur place : l’eau, le feu, la lumière et l’air se mêlent à la matière pour féconder un champ visuel en perpétuelle évolution. L’exposition prend ainsi la forme d’un parcours établi autour de correspondances sensibles entre les œuvres des artistes, toutes générations confondues, mettant en jeu des esthétiques et des médiums différents. D’Anna-Eva Bergman à Olafur Eliasson en passant par Oliver Beer, James Turrell et Bridget Riley, les techniques se répondent, se superposent et, in fine, s’entrelacent : peinture, sculpture, projections lumineuses et installations imposent un univers vécu tout en impressions. Celui-ci s’ouvre tout d’abord entre trouble et flottement, tel un entre-deux où l’élément liquide s’avère le plus à même d’instiller le saisissement du mouvement.
Dans la grande œuvre inaugurale réalisée in situ par Flora Moscovici, la couleur se diffuse en vapeurs légères, déposées à même l’air avant de s’ancrer sur la surface en de subtils dégradés. À ses côtés, le mobile d’Alexander Calder flotte et paraît fendre l’espace au rythme d’une danse lente où la matière, si aérienne soit-elle, s’adapte à l’impulsion du vide. Les toiles de Helen Frankenthaler explorent une tout autre fluidité, faisant signe vers le concept de Trübe défini par Johann Wolfgang von Goethe : une turbidité où la suspension de particules engendre de nouvelles couleurs. Dans l’immense toile panoramique déployée en frise de Frank Bowling, il se traduit ainsi par un bain monochromatique né d’un flux dirigé de pigments roses, un appel à la rêverie dont le contraste avec la force implosive de l’œuvre de Gerhard Richter
s’avère saisissant.
Progressivement, le parcours s’intensifie en abordant tour à tour le cosmogonique, l’aérien, le terrestre et l’infini. Et qu’il s’agisse de la nébuleuse spectrale de Caroline Corbasson ou bien des derniers travaux de Thomas Ruff, l’œil cherche ses repères sans jamais s’y arrimer. L’intangible se manifeste alors dans tous les champs ouverts d’une matérialité mouvante, tantôt vortex, tantôt matrice enveloppante. Et semblable à un soleil, la grande sphère jaune de Jesús Rafael Soto devient le cœur battant de l’exposition : rien n’y est figé, tout oscille dans un déséquilibre maîtrisé, comme une illusion qui capte le regard pour mieux l’absorber avant de le rejeter dans un mouvement continu.
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« Vertigo », 26 avril - 2 novembre 2025, Villa Carmignac, île de Porquerolles, La Courtade, 83400 Hyères.
