Cette époque, pas si lointaine, est encore celle des deux Allemagne – de l’Est et de l’Ouest –, du mur de Berlin, du réalisme socialiste, des premières Documenta à Cassel, des actions terroristes de la bande à Baader, de la Kunstakademie de Düsseldorf et de ses enseignants prestigieux tels Beuys et les Becher, et enfin de la chute du mur en 1989. Celle-ci va amener à la réunification de l’Allemagne, bouleverser la géopolitique de l’Europe avec l’éclatement de la Yougoslavie et la séparation entre la République tchèque et la Slovaquie. Il y a donc matière dans l’œuvre de Sigmar Polke, comme dans celle de tous les artistes allemands qui lui sont contemporains (Georg Baselitz, Jörg Immendorff, Anselm Kiefer, Markus Lüpertz, A.R. Penck, Gerhard Richter ou Wolf Vostell) et montrés en France en 1981, lors de l’importante exposition « Art Allemagne Aujourd’hui », au musée d’Art Moderne de la Ville de Paris.
Sigmar Polke est né en Allemagne de l’Est en 1941 et sa famille passe à l’Ouest lorsqu’il a 12 ans. Sa formation initiale de peinture sur verre dans un atelier de vitrail l’amène à envisager la peinture différemment en la mêlant par la suite à des points de trame de photographies puisées dans les journaux. D’où son intérêt pour l’émulsion photographique et les expériences en laboratoire en résultant, comme on a pu s’en rendre compte au BAL à Paris en 2019 [Exposition « Les infamies photographiques de Sigmar Polke », du 13 septembre au 22 décembre 2019]. Il n’aura cessé depuis d’allier ces différentes techniques dans ses productions, en continuant à en développer l’hétérogénéité à la suite des expérimentations ramenées de ses voyages en Australie, en Asie du Sud-Est et en Océanie. Poudre de pierres précieuses et pigments artificiels sont ainsi mêlés à de l’huile ou de l’essence industrielle dans une sorte d’alchimie picturale qui constitue une des caractéristiques de cette œuvre inclassable, dont cette exposition arlésienne dévoile tous les ressorts, y compris l’aléatoire. Ce travail sur les pigments s’accentue dans les années 1980, avec une prédilection pour le violet synthétique qui va imprégner quelques-unes de ses toiles majeures.

Vue de l’exposition « Sigmar Polke. Sous les pavés, la terre », à la Fondation Vincent van Gogh Arles. Photo François Deladerrière. © Estate of Sigmar Polke, Cologne / Adagp, Paris, 2025
Si le titre de l’exposition fait référence aux bouleversements sociétaux de mai 1968, Sigmar Polke s’est aussi intéressé à d’autres épisodes de l’histoire de France, comme la Révolution de 1789, dont il a été invité à commémorer le Bicentenaire. Ces œuvres sont inspirées par des gravures populaires de l’époque qu’il détourne pour en faire une pièce quasi chronophotographique (À Versailles, à Versailles, 1988) ou encore en utilisant le recto et le verso d’un support semi-transparent pour évoquer, à sa manière combinatoire, la Bataille de Valmy (Valmy et au revers Tambour, 1989). Pour la commissaire de l’exposition Bice Curiger, « Polke est convaincu que l’art a la capacité et le pouvoir de traiter les événements de l’histoire […] et ainsi de participer à la préservation de la mémoire collective ». Tout ceci n’empêche pas l’homme d’être doté d’un fameux sens de l’humour, tout comme d’un esprit festif, comme en témoignent les vidéos de son comparse, l’artiste Klaus Mettig.
Cette multiplication de procédés (résine naturelle et synthétique, peinture métallique et aluminium, huile, acrylique, laque, émail, poudre de manganèse) et de supports (toiles de lin, de coton de jute, de flanelle, tissu imprimé ou décoratif, polyester, toile photosensible) contribue à faire de son œuvre un vaste champ expérimental. Celui-ci dépasse souvent celui de l’art, Sigmar Polke n’hésitant pas à faire réagir entre elles des matières pouvant être toxiques. Les catégories usuelles de l’abstrait et du figuratif s’estompent largement, nourries par les nombreuses références culturelles qui y sont incluses, allant de Niccolò Paganini à Friedrich Nietzsche, pour reprendre le titre de quelques-unes de ces toiles.
--
« Sigmar Polke. Sous les pavés, la terre », jusqu’au 26 octobre 2025, Fondation Vincent van Gogh Arles, 36 ter, rue du Docteur Fanton, 13200 Arles
