Fernanda Gomes
Fernanda Gomes expose simultanément, et dans un même élan, dans deux galeries. Chez Peter Kilchmann, elle a conçu un accrochage de petits carrés de toile peinte en blanc, ou parfois écrue, de reliefs faits de fines baguettes. Elle a également disposé dans l’espace différents éléments discrets qui servent autant à l’explorer qu’à le redéfinir. C’est l’esprit des espaces Proun d’El Lissitzky et du néo-concrétisme, dans une version spectrale, au plus près de l’idée. Un motif revient sur plusieurs des carrés, celui d’un fil sorti de la toile qui marque une division. Dans un mur de la galerie existait une trappe blanche à laquelle elle a également ajouté un fil au point de jonction des deux volets. Un simple trait qui suffit à prendre possession du mur et à faire apparaître la trappe comme analogue d’un tableau. Au fond de la galerie, l’artiste a installé son atelier provisoire. Une simple table chargée de papiers, menus objets, bouts de ficelles, qui donne une idée de la façon simple et directe avec laquelle elle procède.
Chez Peter Freeman, c’est la galerie elle-même qui semble être devenue l’atelier. La vitrine de ce nouvel espace parisien a été tapissée, jusqu’à mi-hauteur, de feuilles de papier à tracer, avec des chevauchements, des découpes, des froissements aussi. La paroi de verre devient un mur supplémentaire où l’on met au clair ses projets. Le papier blanc opère comme un filtre de lumière et met en relation le travail avec la rue. Sur le sol, à proximité de la vitrine, l’artiste a disposé des feuilles de papier en tas, des bobines de fil, différents accessoires qui en font un véritable plan de travail. Ailleurs, elle a disposé des petites pièces de bois, un petit socle blanc, ou une balle de ping-pong, une tige courbée. Dans les deux galeries, les distinctions entre espace de vie, de travail et d’exposition perdent de leur netteté. Fernanda Gomes nous fait entrer dans son processus de réflexion en même temps qu’elle nous rend attentifs au moindre détail d’une situation.
Du 13 septembre au 25 octobre 2025, Galerie Peter Kilchmann, 11-13 rue des Arquebusiers, 75003 Paris ; Peter Freeman Inc, 7 rue de Montpensier, 75001 Paris

Vue de l’exposition « Tursic & Mille : « Lavis en Rose », à la Galerie Max Hetzler, Paris. © Tursic & Mille. Courtesy the artists and Galerie Max Hetzler Berlin | Paris | London | Marfa. Photo : Thomas Lannes
Tursic & Mille : Lavis en Rose
« Lavis en rose », en dépit de ce titre « calembouresque », Tursic & Mille continuent de peindre à l’huile, mais le rose colore neuf des dix tableaux exposés. Le dixième, le plus imposant, est en trois panneaux et titré Hallali. Il ne montre aucun animal à l’agonie mais une procession de cerfs et de chiens sur les panneaux de gauche et du milieu. Il y a d’évidentes différences stylistiques dans ces représentations d’animaux qui vont de la peinture médiévale au réalisme, mais l’espace est unique. Sur le panneau de droite, on voit une femme assise en train de peindre sur toile, pleinairisme d’un autre temps, et derrière elle un homme d’aujourd’hui qui, debout, allume une cigarette. Derrière eux se trouve un pommier qui porte des fruits d’or et un motif de flamme très graphique. Cela ressemble d’autant plus à un autoportrait que le duo a déjà signé un autre Hallali, où c’est l’homme qui tient le pinceau.
Autour de ce triptyque d’inspiration « courbétienne », les tableaux roses construisent une séquence sur les pouvoirs de la peinture. Des natures mortes de mégots ou d’un tas de billets de banque sont là pour traduire la vanité, une élégante étendue sur un sofa au milieu d’une forêt incandescente incarne la mélancolie, humeur d’artiste comme chacun sait. Pour l’autoréflexivité, on trouve une femme qui a trempé ses doigts dans la couleur, pour le drame une maison qui brûle, et pour l’infini un ciel étoilé. Tursic & Mille citent Ed Ruscha ou Marcel Duchamp, se citent eux-mêmes et offrent une méditation teintée d’ironie sur l’art et le succès, quand tout brûle.
Du 6 septembre au 11 octobre 2025, Galerie Max Hetzler, 46 & 57 rue du Temple, 75004 Paris

Vue de l’exposition « Michel Blazy » chez Art : Concept, Paris. Photo : Objets pointus
Michel Blazy
Sans s’écarter de sa voie consistant à organiser la décomposition pour célébrer la vie, Michel Blazy nous offre une incursion dans l’imaginaire du voyage, et du voyage planétaire en particulier. Les valises d’aluminium d’où sortent des avocatiers nous rappellent les premiers explorateurs importateurs de plantes, tandis que les cactus queue-de-rat qui débordent de verres cassés amènent leur part d’exotisme teinté de danger. Avec le concentré de tomates qui lui avait servi autrefois à renouveler la peinture murale, Michel Blazy a peint deux tableaux monochromes devenus des visions de cosmos. À l’abri derrière des caissons de verre acrylique, ces deux œuvres éblouissent par l’intensité du carmin et le chatoiement des moisissures. La part de répulsion plus ou moins légère, caractéristique de cet art, tend à s’effacer au profit d’une beauté qui nous renvoie aux premiers maîtres de l’abstraction. Dans un esprit proche du symbolisme et une délicatesse d’aquarelliste, l’artiste a peint des planètes avec du jus de betterave. La révélation de ce légume l’a conduit à réaliser une étonnante sculpture-installation : Rejoindre le cosmos avec le réfrigérateur. Il s’agit d’une structure verticale en aluminium parasitée par des dizaines de créatures faites d’un morceau de betterave dans lequel ont été piqués des macaronis. Quelques-unes d’entre elles ont quitté la structure pour arpenter les murs. Le titre peut désigner l’objectif de ces créatures, ou valoir pour l’art de Blazy en général. En tout cas, les betteraves sont lâchées.
Du 4 au 27 septembre 2025, Art : Concept, 4 passage Sainte-Avoye, 75003 Paris

Vue de l’exposition « Marco Godinho : The Reminder of the Winds », à la Galerie Alberta Pane, Paris. Photo : Mami Kiyoshi
Marco Godinho : The Reminder of the Winds
Le travail de Marco Godinho se partage entre un attrait pour l’invisible et un goût de l’archivage et de la trace. Pour cette exposition qui donne une vision large du travail, il a fait repeindre en blanc les murs de la galerie en ajoutant à la peinture quelques gouttes de jujube, fruit de l’oubli. Les fins copeaux de carton que l’on produit en ouvrant des enveloppes sécurisées lui ont servi à dessiner une carte des vents sur le mur, tandis que des enveloppes ordinaires vidées de leur contenu ont servi à former une ligne en bas du mur pour visualiser une année de courrier reçu. Deux pièces sont représentatives de l’approche de Godinho et particulièrement bien accordées entre elles dans cette rétrospective concentrée. La première de ces œuvres est un alignement en colonnes de crayons rouges de charpentier, cloués au mur, taillés par le père de l’artiste. Leur nombre correspond à l’âge de celui-ci et la hauteur de la colonne à sa taille. La pièce est actualisée au fil des ans, et l’intervalle entre les lignes rouges se resserre afin que la hauteur reste la même. La deuxième, c’est une branche en forme de v, très allongée. Elle est couchée au sol avec un mocassin à chaque extrémité. Sa longueur équivaut à un grand pas de l’artiste. Avec cette branche trouvée, Marco Godinho trouve une autre façon de s’incarner, se plaçant dans la descendance de quelques grands arpenteurs de l’art.
Du 6 septembre au 8 novembre 2025, Galerie Alberta Pane, 44-47 rue de Montmorency, 75003 Paris
