En mai 2024 s’éteignait Marc Camille Chaimowicz, après une carrière de plus de cinquante ans passée à aller et venir entre les genres, les disciplines et les sensibilités. Né en région parisienne en 1946, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, d’un père juif polonais et d’une mère française, et émigré à l’âge de 8 ans à Londres, où il vécut le plus clair de ses jours, Marc Camille Chaimowicz a tôt le sentiment d’appartenir à une culture profondément européenne plutôt que strictement nationale (ou même binationale).
Cette propension à dépasser les frontières le mène dès 1971 dans une voie pluridisciplinaire : performance, photographie, collage, peinture, sculpture se combinent au design de meubles, objets et autres éléments de décor – tapis, paravents, papiers peints – pour constituer des installations sous la forme d’espaces intérieurs où la sphère domestique, l’intime et le décoratif retrouvent leurs lettres de noblesse.
UN GOÛT VIF ET ÉCLECTIQUE
Marqué par la figure du dandy baudelairien et influencé par les luttes pour les droits des femmes et des homosexuels des années 1960 et 1970, Marc Camille Chaimowicz se ressaisit de notions alors souvent dédaignées par le formalisme moderniste et une certaine austérité conceptuelle. La beauté, l’émotion et le plaisir esthétiques se nourrissent d’un goût vif et éclectique pour Pierre Bonnard et Henri Matisse, Jean Cocteau et Richard Hamilton, Gustave Flaubert et Jean Genet, mais également Ludwig Mies van der Rohe et Achille Castiglioni, ou encore pour le glam rock de David Bowie et la mode selon Diana Vreeland.
Objet d’une admiration qui frise au culte pour de nombreuses générations d’artistes, l’œuvre de Marc Camille Chaimowicz rencontre un certain succès auprès d’un public plus large, quoiqu’il aura fallu attendre 2018 pour sa première exposition monographique au sein d’un musée aux États-Unis*1 et 2022 pour une grande rétrospective dans son pays natal*2.
En février 2025, grâce à la sortie d’un ouvrage de plus de 700 pages publié par Sternberg Press, sous la direction d’Alexis Vaillant, se révèlent au grand jour l’étendue et la richesse des écrits et entretiens d’un artiste pour lequel l’écriture non seulement fait partie intégrante de l’œuvre, mais dont le processus même de création s’apparente, selon Marc Camille Chaimowicz, à celui d’un écrivain (on y apprend par ailleurs que celui-ci a exercé de 1976 à 1980 le métier de critique d’art, ses recensions sont également incluses dans ce volume exhaustif). Un appareil critique d’une ampleur exceptionnelle précise le contexte et les enjeux de chacun des textes reproduits, au risque de quelques longueurs.
Mais c’est là, finalement, l’occasion inattendue, semble-t-il, de dresser de manière détournée une sorte de portrait d’un artiste qui ne cessa justement d’entremêler le privé et le public, la discrétion et l’indiscrétion, la solitude choisie et la « compagnie chérie des autres » (« In the Cherished Company of Others*3 »).
*1 « Marc Camille Chaimowicz. Your Place or Mine…», 16 mars-5 août 2018, The Jewish Museum, New York, États-Unis.
*2 « Marc Camille Chaimowicz. Zig Zag and Many Ribbons… », 19 novembre 2022 - 10 avril 2023, MAMC+, musée d’Art moderne et contemporain Saint-Étienne Métropole.
*3 Selon le titre de l’exposition organisée à l’espace d’Appel, à Amsterdam, en 2008.
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Alexis Vaillant (éd.), Marc Camille Chaimowicz. Writings and Interviews, Londres/Berlin, Sternberg Press, 2025, 728 pages, 34,95 euros.