C’est une ancienne usine hydroélectrique construite en 1935 à Sion, dans le Valais, une sorte de cathédrale industrielle qui pourrait inspirer au réalisateur Terry Gilliam la suite de Brazil. Aujourd’hui reconverti en lieu culturel sous le nom de La Centrale, l’endroit accueille le QG de la Biennale Son, sous la houlette de Jean-Paul Felley. Lancée en 2023, la manifestation a rencontré un franc succès, installant définitivement ce canton montagnard sur la carte de l’art contemporain en Suisse. « L’art sonore est une niche. Ce n’est pas ce que nous montrons ici. Ce qui m’intéresse, c’est la présence du son dans l’art contemporain et de trouver des artistes chez qui le son prend une certaine place dans l’œuvre », insiste Jean-Paul Felley.
L’homme revient de Paris où le prix Bob Calle du livre d’artiste a été attribué à Joan Ayrton pour Pendulum Shift, édité par Roma Publications, témoignant de son installation photographique au barrage de Mauvoisin, dont Jean-Paul Felley était le commissaire. Depuis onze ans, l’ouvrage d’art sert de lieu d’exposition à ciel ouvert. Il a déjà reçu les œuvres in situ de Valentin Carron, Julian Charrière ou encore Dove Allouche. « J’ai plusieurs casquettes », admet celui qui est à l’origine de cette initiative. En effet, il dirige également, depuis 2018, l’École de design et Haute école d’art du Valais (EDHEA), dont la construction d’un tout nouveau bâtiment de 11 000 m2 à Sierre prouve à la fois l’ambition du Canton de proposer une formation artistique de haut niveau et le caractère persuasif et pugnace de son directeur. « Il y aura notamment un espace d’exposition de 400 m2 digne d’une Kunsthalle, se réjouit Jean-Paul Felley. Nous ne sommes pas à Genève, Lausanne ou Zurich, qui sont des villes très dynamiques dans ce domaine. Ce type de structure est encore rare en Valais. J’ai voulu créer cet établissement avec une partie publique importante. Nous y monte-des expositions avec les artistes invités pour des ateliers et proposerons également des accrochages de travaux venus de l’extérieur. »
L’école prévoit également de mettre à la disposition de ses étudiants le nec plus ultra en matière de laboratoire consacré au son, « qui est l’axe de force de l’EDHEA », explique son directeur, tout en précisant « [qu’il] n’y a aucun lien entre celle-ci et la Biennale, laquelle est une association. Les deux entités sont totalement indépendantes l’une de l’autre, même si, bien sûr, un événement de cette ampleur fait que la réputation de l’école s’en trouve forcément grandie ».
UNE PROGRAMMATION ÉTENDUE
Pour la première édition de la Biennale Son, Jean-Paul Felley s’était entouré de Christophe Fellay, artiste sonore et musicien, Luc Meier, directeur de La Becque – une résidence d’artistes établie à La Tour-de-Peilz (canton de Vaud) – et Sylvie Zavatta, directrice du Frac Franche-Comté, à Besançon. Pour cette seconde occurrence, il a choisi comme acolyte Maxime Guitton, historien de la musique basé à Marseille où il s’occupe de la recherche et de la programmation artistique à l’École des beaux-arts. « Lors de la précédente Biennale, avec l’artiste Éric Baudelaire, Maxime a présenté un travail important sur l’œuvre du compositeur états-unien Alvin Curran. Il possède une connaissance encyclopédique sur le rapport entre art et musique. Il est bien plus pointu que moi. C’est toute la force d’avoir un commissaire associé », complète Jean-Paul Felley.

La Centrale, usine de Chandoline, à Sion. © Biennale Son. Photo Olivier Lovey
Parmi les évolutions de la Biennale, sa durée passe d’un mois et demi à trois mois, « de manière à mieux rentabiliser le travail mis en place pour les expositions et à donner plus de temps au public pour les visiter », souligne-t-il. Si La Centrale reste le point névralgique de la manifestation, où se déroule 90% du programme, live notamment (pour cette édition, elle accueille Invisible Landscape de Soundwalk Collective), la Biennale s’étend au Pénitentier, l’ancienne prison de Sion réhabilitée en centre d’exposition des Musées cantonaux du Valais il y a vingt-huit ans. Près de Crans-Montana, la Fondation Opale accueillera une performance de l’artiste aborigène Latai Taumoepeau. Les photographies noir et blanc de la Rolloise Catherine Ceresole (disparue en 2023), qui a capturé la scène no wave à New York à la fin des années 1980, seront exposées à La Grenette, centre d’art dépendant de la Ferme-Asile, à Sion. Sera également organisée la toute première Vinyl Art Fair, confiée à Sara
Serighelli et Fabio Carboni, experts dans cette catégorie du disque établie comme support artistique à travers leur plateforme Soundohm, basée à Milan.
« L’exposition au Manoir de Martigny sera aussi très différente, reprend Jean-Paul Felley. En 2023, le Frac Franche-Comté montrait les pièces de sa collection. Cette fois, j’ai offert une carte blanche à l’artiste Pierre Leguillon qui proposera Erratummusical, une section de son musée des Erreurs qu’il mixe avec la collection du Centre Pompidou [à Paris], celle du musée du Son à Martigny et des collections privées. » La Ferme-Asile, le centre d’art contemporain de Sion, présentera quant à elle Always Night, le film issu de la collaboration entre les artistes Pauline Boudry/Renate Lorenz et Chelsea Manning, la lanceuse d’alerte condamnée pour avoir révélé des documents de l’armée américaine classés secret défense, et qui s’est reconvertie depuis en DJ à Brooklyn.
ŒUVRES SONORES
À l’église Saint-Nicolas d’Hérémence, édifice fou aux allures de sculpture cubiste que l’on doit à l’architecte bâlois Walter Maria Förderer et qui est un témoignage fantastique du brutalisme helvétique, sera donné un concert d’orgue, le Requiem de Hanne Darboven. Celui-ci sera exécuté par Thomas Dahl, le dernier organiste à l’avoir joué du vivant de son auteure, disparue en 2009. Il est étonnant d’apprendre que l’artiste conceptuelle allemande avait aussi écrit de la musique. « Elle a brièvement étudié le piano avant de se tourner vers les Beaux-Arts, raconte Jean-Paul Felley. On la connaît comme une figure majeure de l’art conceptuel, l’une des rares femmes à s’y être fait un nom. Pour ma génération, elle a été iconique, mais pour celle d’aujourd’hui, elle est un peu oubliée. Je trouvais important de remettre en avant ces personnalités dont on parle moins, mais dont l’influence sur l’art fut énorme. »
C’est en effet dans l’esprit de la Biennale de montrer des artistes dont on connaît peu le travail sonore, comme Ugo Rondinone, Fabrice Gygi et Roni Horn. Le premier a conçu une cloche de laquelle sort une chanson qu’il a composée à partir de ses rencontres à Zurich, en 1998, avec des SDF malades du sida, tous prénommés Hugo. De Fabrice Gygi, le visiteur redécouvrira sa performance de 1995, Always Upright, au cours de laquelle il déambulait, le dos chargé de deux mégaphones diffusant l’actualité en boucle de la radio France Info. La pièce de Roni Horn consiste en un texte d’une heure lu à voix haute. Intitulée Saying Water, elle parle de l’eau, sous toutes ses formes. Quel endroit plus approprié qu’une ancienne centrale hydroélectrique pour la jouer ?
-
2e Biennale Son, 30 août- 30 novembre 2025, divers lieux, Sion et ses alentours.
