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Critique

Une autre histoire de Thomas Schütte

À Venise, la Punta della Dogana présente une vaste exposition portant un regard neuf sur l’œuvre de l’artiste allemand, lauréat du Lion d’or à la Biennale di Venezia en 2005.

Anaël Pigeat
24 juillet 2025
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Vue de l’exposition «Thomas Schütte. Genealogies» avec, du premier au dernier plan : Mann im Wind II, I et III (bronze, 2018); aux murs : DEKA Fahnen (bannières peintes, 1989). © Thomas Schütte. Courtesy de Peter Freeman, Inc., New York, Paris et du Palazzo Grassi – Pinault Collection. Photo Marco Cappelletti

Vue de l’exposition «Thomas Schütte. Genealogies» avec, du premier au dernier plan : Mann im Wind II, I et III (bronze, 2018); aux murs : DEKA Fahnen (bannières peintes, 1989). © Thomas Schütte. Courtesy de Peter Freeman, Inc., New York, Paris et du Palazzo Grassi – Pinault Collection. Photo Marco Cappelletti

La représentation humaine est au cœur de l’œuvre de Thomas Schütte, sur laquelle il pose un regard inquiet, parfois trouble, qu’il concrétise dans des matières variées, de la terre au métal en passant par le verre ou la céramique. « Genealogies », l’exposition à la Punta della Dogana, à Venise, assurée par Camille Morineau, fondatrice d’AWARE (Archives of Women Artists, Research and Exhibitions), et Jean-Marie Gallais, conservateur à la Pinault Collection, retrace les évolutions de cette œuvre complexe à partir d’un considérable ensemble de créations réunies au sein du second musée vénitien de la Pinault Collection (parmi lesquelles cinquante sculptures). Ce qui frappe d’abord, c’est la diversité des recherches de Thomas Schütte, le spectre de ses matériaux, de ses couleurs, des plus vives au plus sombres, et les subtilités qu’elles véhiculent.

Thomas Schütte, Großer Frauenkopf, 2021, céramique émaillée et socle en acier. © Thomas Schütte. Courtesy de Pinault Collection. Photo Mareike Tocha

Le dessin, une activité constante

Dans la grande salle de la Punta della Dogana, trois Mann im Wind (Hommes dans le vent ; 2018) se tiennent debout, les pieds enfoncés dans ce que l’on imagine être du sable, presque vacillants de toute leur hauteur de colosses de bronze nés d’un accident de fabrication. Autour d’eux, un ensemble de dessins, les DEKA Fahnen (1989), presque des bannières (Fahnen signifie « drapeaux » en allemand), révèle un aspect méconnu de l’œuvre de Thomas Schütte, déjà esquissé dans l’exposition que Camille Morineau avait organisée à la Monnaie de Paris en 2019(1) : sa pratique intensive du dessin depuis le début des années 1980. Ironiques, sarcastiques, presque sardoniques, ces drapeaux montrent une pomme de terre portant une couronne, deux notes de musique, des cerises sur un soleil, une pièce qu’il faut mettre dans une fente pour enclencher un spectacle forain...

Une double lecture de l’exposition s’impose à partir de là : celle de Schütte sculpteur et de Schütte dessinateur, celle du dessin qui se mêle à la sculpture. Tout au long de la visite, des œuvres sur papier, à l’encre ou à l’aquarelle, témoignent de l’activité constante que Thomas Schütte a dans ce domaine, et qui permet d’en remonter la généalogie : des formes abstraites, un visage de femme représenté par une tache d’encre, un gros plan sur un nez et des yeux froncés (de douleur ?), un tout petit cheval vu de dos sur un fond entièrement noir... Ces dessins correspondent à une pratique quotidienne de l’artiste, quel que soit l’état d’esprit dans lequel il se trouve. Il classe certains d’entre eux parmi sa série Deprinotes. Camille Morineau raconte comment il l’a invitée dans son atelier à choisir en 30 minutes quatre-vingts dessins pour l’exposition, tour de force et éblouissement devant tant de virtuosité et de prolixité. Pour Thomas Schütte, le temps semble aussi être un matériau.

Ces interactions laissent entrevoir une autre dimension de l’œuvre, à laquelle on ne pense pas toujours : sa fantaisie, qui ressort de nombreux dessins d’animaux – ainsi les dessins de rat, dont l’anagramme se lit « art ». Une fantaisie grinçante, souvent tragique, que l’on retrouve dans l’accrochage de l’exposition, que Thomas Schütte a lui-même conçu, installant par exemple de petits Geister (fantômes) sur le rebord d’une haute fenêtre, en verre rouge, à la fois joyeux et écorchés, spirituels et menaçants, tels des diables des enfers.

Une version monumentale de ces personnages, en bronze cette fois, est placée dans l’autre immense salle de la Punta della Dogana ; ils évoquent de façon évidente des scènes dont le tragique est renforcé par les teintes jaunes et noires des photographies de sculptures aux visages grimaçants qui les entourent. De nombreux dessins faits de quelques traits d’encre jetés sur une page démultipient ce sentiment d’angoisse qui nous étreint, comme ces yeux que l’on devine à peine derrière une grille épaisse, deux pendus sur une potence ou un étrange saule pleureur sous-titré « J’aimerais que cela soit mes larmes ».

Une œuvre figurative

Depuis toujours, l’œuvre de Thomas Schütte est en prise directe avec les tragédies du monde contemporain. Les Efficiency Men (hommes de l’efficacité ; 2005), tels des financiers voraces, en fil de fer, au visage de cire et portant sur leurs épaules courbées des couvertures de feutre, en sont le signe criant, tout comme les bustes plus grands que nature qui nous encerclent et nous dominent, avec leur expression terrifiante – chez lui, tout part en général de la pâte à modeler.

Dans son œuvre, il est souvent question de la réunification de l’Allemagne. Difficile de ne pas penser aujourd’hui devant ce spectacle à l’état du monde qui nous entoure et à la montée des régimes autoritaires en divers lieux de la planète. Tout autour d’eux, d’autres dessins : des visages patibulaires, dont on ne sait pas s’ils sont des innocents ou des criminels. Thomas Schütte s’attaque à l’infinie complexité humaine. Chez lui, le portrait, de personnages imaginaires ou bien de ses proches, occupe une place considérable. Les silhouettes caricaturales d’Honoré Daumier et les visages sculptés de Franz Xaver Messerschmidt ne sont jamais très loin.

Rare artiste vivant à avoir ouvert son propre musée, en Allemagne, la Skulpturenhalle, à Neuss (Rhénanie-du-Nord-Westphalie), non pas pour exposer son travail, mais pour montrer celui d’autres artistes, Thomas Schütte a également une pratique de l’architecture. Il a par exemple lui-même conçu la forme de ce lieu, à partir d’une chips posée sur une boîte d’allumettes. D’étranges dessins de murs de briques, dont on se demande s’ils sont minimalistes ou figuratifs, réalisés à la Kunstakademie Düsseldorf à ses débuts, sont présentés ainsi que plusieurs maquettes, comme des machines à regarder ou bien des sculptures énigmatiques. Certaines de ses maquettes, exécutées directement en 3D, ont été construites par des collectionneurs – maisons particulières ou pavillons de thé.

Enfin, un autre aspect se fait jour dans l’exposition, qui n’était jamais apparu si clairement jusque-là. La majorité des personnages que Thomas Schütte représente, que ce soit en bronze, en verre ou sur papier, sont des figures masculines, montrées avec une certaine brutalité, d’une puissance tour à tour terrifiante ou grotesque, et sans concession, comme l’un de ces pantins rassemblés sur un ring de boxe, penché en avant, le sexe outrageusement dressé. Mais, dès la première salle, quelques figures féminines se distinguent également, datant surtout de la période récente, tels ces grands corps allongés et apaisés en métal, les Aluminiumfrauen.

Les plus extraordinaires sont deux dessins de corps de femmes étendues comme des odalisques, d’une sensualité, d’une douceur et d’une délicatesse remarquables, tant par leurs lignes que par leurs couleurs. Tout au bout de la Pointe de la Douane se tient le Vater Staat (2010), magistral, sans bras ni jambes dans son manteau noué autour de sa taille. Pour l’exposition, Thomas Schütte lui a adjoint une figure en miroir, installée à l’autre extrémité, sur le parvis du musée : Mutter Erde (2024). Le Père-État (ou Père-Patrie) et la Terre-Mère.

(1) « Thomas Schütte. Trois actes », 15 mars-16 juin 2019, 11 Conti – Monnaie de Paris.

« Thomas Schütte. Genealogies », 6 avril-23 novembre 2025, Punta della Dogana, Dorsoduro 2, Venise, Italie, pinaultcollection.com

ExpositionsPunta della Dogana - Palazzo GrassiThomas SchütteSculptureArt ContemporainVeniseCamille MorineauJean-Marie GallaisPinault Collection
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