Inauguré en 2010, le Centre Pompidou-Metz, conçu par les architectes Shigeru Ban et Jean de Gastines, s’est depuis installé dans le paysage pour devenir l’une des destinations culturelles les plus visitées de l’Hexagone. Pour fêter ses 15 ans d’existence, l’antenne lorraine du musée parisien accueille un face-à-face de haute volée entre 40 œuvres emblématiques de Maurizio Cattelan et près de 400 chefs-d’œuvre. Pour l’occasion, le trublion italien a imaginé un abécédaire au fil duquel il fait dialoguer ses propres créations avec des pièces – iconiques pour certaines, plus inattendues pour d’autres – issues de la plus grande collection d’art moderne d’Europe. Il résulte de cet hommage à Gilles Deleuze en jeu de miroirs un autoportrait inédit de l’artiste, l’un des plus importants de sa génération, célébré du Guggenheim New York au Pirelli HangarBicocca, à Milan. Toujours subversif, il dévoile ici une facette plus intime, voire mélancolique.
Dès le Forum, L.O.V.E (2010) donne le ton : ce doigt d’honneur monumental ne manqua pas de déclencher des cris d’orfraie lors de l’installation de la sculpture devant la bourse de Milan. Suit l’immense squelette du chat Felix (2001), tel un dinosaure entouré de toiles de maître. Plus loin, qu’il place un Z tracé à la pointe de l’épée sur une toile (Untitled, 1999) à côté de Concetto spaziale (1957) de Lucio Fontana ou juxtapose Spermini (1997), un ensemble de masques en latex peints représentant son visage en miniature, et un auto- portrait de 1971 de Francis Bacon, Maurizio Cattelan fait mouche à tous coups. De même lorsqu’il se confronte à Michelangelo Pistoletto (Tre bambini impiccati [Trois enfants pendus], 2004) ou réserve un effet garanti avec Comedian (2019), sa désormais célèbre banane scotchée au mur.
Au nombre des chefs-d’œuvre de la collection du musée national d’Art moderne ayant fait le voyage, le « mur » d’André Breton, témoin de l’aventure surréaliste, quitte son écrin parisien pour la première fois depuis sa dation. La table d’échecs de Marcel Duchamp est exposée en regard de Good Versus Evil (2003), un autre jeu d’échecs composé de pièces en porcelaine peintes à la main, représentant Blanche-Neige ou Martin Luther King. Fidèle à sa réputation, l’artiste transalpin installé à New York brouille les repères : Gandhi ou Che Guevara figurent des deux côtés de l’échiquier. La répartition morale n’est qu’apparente, complexifiant la lecture manichéenne annoncée par le titre. Derrière la fantaisie, toute la subtilité conceptuelle de son art. À la lettre M, sous l’intitulé « Mauvais, bon et malentendu », il écrit : « Quand je ne serai plus là, j’espère que mon travail pourra exister de manière autonome. Ce sera une belle opportunité de me débarrasser du personnage de “farceur” qui fait de l’ombre à mon œuvre. [...] Par exemple, je ne me suis jamais senti provocateur. Certaines de mes œuvres ont suscité des réactions que je n’avais pas anticipées, tandis que d’autres, que j’imaginais très controversées, sont passées presque inaperçues. Si j’étais chef, je dirais qu’il est impossible de savoir si une recette fonctionne avant d’y goûter. »
À 65 ans, toujours fringant (c’est un nageur invétéré), Maurizio Cattelan a fait du chemin sans rentrer dans le rang. Son œuvre, nourrie de références, ne perd rien de sa puissance visuelle ni de son humour grinçant. Cette confrontation avec ses pairs illustres conforte la place qui lui revient dans la grande histoire de l’art. Il en ressort, paradoxalement, aussi léger et plus profond qu’il n’y paraît. La fameuse sprezzatura dont la Péninsule a le secret ? Bravissimo Maurizio !
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« Dimanche sans fin. Maurizio Cattelan et la collection du Centre Pompidou », 8 mai 2025-2 février 2027, Centre Pompidou-Metz, 3, parvis des Droits-de-l’Homme, 57000 Metz.
