Alors que tous les regards du monde de l’art se tournent vers le Golfe arabo-persique – avec le lancement d’Art Basel Qatar et le développement institutionnel fulgurant en Arabie saoudite –, le marché de l’art du Moyen-Orient connaît lui aussi un essor remarquable. En mai, Christie’s a enregistré pour la première fois une vente « white-glove » (100 % des lots vendus) lors de sa vacation en ligne dédiée à l’art moderne et contemporain du Moyen-Orient, à Dubaï. La vente comprenait une section consacrée aux artistes saoudiens, dont presque toutes les œuvres ont dépassé leurs estimations hautes.
« À en juger par les records récemment établis par de nombreux artistes du monde arabe lors des ventes aux enchères, et par les échanges avec les conservateurs de grandes collections à travers le monde, il semble que la demande pour l’art des pays arabes s’étende désormais bien au-delà de la région, jusqu’aux collections occidentales et asiatiques », observe Sultan Sooud Al-Qassemi, fondateur de la Barjeel Art Foundation, une collection basée aux Émirats arabes unis forte de près de 2 000 œuvres d’artistes des pays arabes. « Nous sommes très satisfaits : ces deux ou trois dernières années, nos résultats ont été excellents », se félicite Ridha Moumni, président de Christie’s Moyen-Orient et Afrique. La maison célèbre cette année ses 25 ans de présence aux Émirats à travers une série de ventes et d’expositions.
Participant de cette stratégie, une exposition non commerciale de dimension muséale, présentée cet été au siège londonien de Christie’s, est consacrée à l’œuvre de l’artiste syrien Marwan (1934-2016). « Marwan : A Soul in Exile » réunit plus de 150 œuvres issues de grandes collections privées et institutionnelles, parmi lesquelles la Barjeel Art Foundation, la Ramzi and Saeda Dalloul Art Foundation à Beyrouth (toutes deux partenaires de l’exposition), la Pinault Collection à Paris et la Berlinische Galerie à Berlin. « Il a fallu beaucoup de travail pour réunir ces pièces, mais je suis convaincu que nous avons rassemblé certaines des œuvres majeures de Marwan », affirme Ridha Moumni, commissaire de l’exposition.
Né à Damas, Marwan Kassab Bachi – plus connu sous le nom de Marwan – s’installe en Allemagne à la fin des années 1950, où il passera le reste de sa vie. Influencé par l’expressionnisme allemand et par les artistes du mouvement Neue Wilde (Nouveaux Fauves), tels que Georg Baselitz et Anselm Kiefer, il puise toutefois ses sujets dans les luttes politiques et sociales du monde arabe. Marwan est notamment reconnu pour ses « paysages de visages » : des portraits peints en strates, qui évoquent à la fois une intense profondeur émotionnelle et des étendues ondulantes.
« Marwan fait partie des artistes pionniers qui ont brillamment su tisser des passerelles entre les pratiques culturelles de l’Orient et de l’Occident », souligne Sultan Sooud Al-Qassemi, dont la fondation avait déjà consacré une exposition à l’artiste en 2023, au sein de la maison de ventes Lempertz à Berlin. La dernière exposition personnelle de Marwan à Londres remonte à 2015, aux Mosaic Rooms.
Pourquoi une maison de ventes organise-t-elle une exposition d’envergure sans rien proposer à la vente ? « Nous voulons être une plateforme et un acteur à part entière du champ culturel, explique Ridha Moumni. Il est important pour moi que nous ne soyons pas simplement une institution qui se rend au Moyen-Orient pour y faire du commerce et vendre des œuvres issues de la région, mais que nous participions activement à la vitalité de cette scène. »
L’exposition consacrée à Marwan constitue en réalité le troisième accrochage non commercial d’art des pays arabes organisé par Christie’s à Londres au cours des trois derniers étés. La première, en 2023, intitulée « Kawkaba », a réuni une sélection d’œuvres d’artistes arabes issues de la Barjeel Art Foundation. La deuxième, présentée l’été dernier, était une exposition personnelle de l’artiste saoudien Ahmed Mater. En parallèle de chaque présentation estivale, Christie’s Education propose un stage intensif de trois jours, conçu pour initier les participants à l’art moderne et contemporain du Moyen-Orient. Ces rendez-vous estivaux offrent l’opportunité de rencontrer de nouveaux collectionneurs européens, ainsi que de nombreux visiteurs du Golfe présents à Londres durant la saison, ajoute Ridha Moumni. Il insiste également sur l’importance des partenariats institutionnels noués à travers ces projets. Cette année, une version de l’exposition consacrée à Ahmed Mater a voyagé jusqu’à l’UCCA Edge à Shanghai (du 8 mars au 8 juin 2025), et celle dédiée à Marwan devrait, elle aussi, être accueillie par un autre lieu.
Sultan Sooud Al-Qassemi explique l’intérêt croissant du marché pour l’art du Moyen-Orient par « la multiplication des publications, l’accès élargi aux archives et à la documentation, qui ont permis de mieux éclairer les pratiques de ces artistes ». Ridha Moumni ajoute que ces avancées ont favorisé la tenue d’un plus grand nombre d’expositions et d’événements internationaux intégrant des artistes de la région, citant en particulier la dernière Biennale de Venise, placée sous le commissariat d’Adriano Pedrosa, qui a mis à l’honneur les artistes du Sud global. Il s’attend à ce que les créateurs du Moyen-Orient soient également très présents lors de la prochaine édition, pensée par la regrettée commissaire Koyo Kouoh, laquelle lui avait demandé, lors d’une rencontre au Cap en février dernier, de faciliter des mises en relation avec des institutions de la région.
« C’est un moment particulièrement enthousiasmant pour travailler dans une maison de ventes au Moyen-Orient, confie Ridha Moumni. On mesure pleinement l’impact que ces projets et ces ventes ont sur la scène artistique régionale d’aujourd’hui – et sur celle de demain. »
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« Marwan: A Soul in Exile », du 16 juillet au 22 août 2025, Christie’s Londres, 8 King Street, St. James’s, Londres, Royaume-Uni
