Imi Knoebel : etcetera
Imi Knoebel notoirement refuse la théorisation comme les interviews. « etcetera », le nom donné à sa nouvelle série de peintures entamée en 2023, peut s’entendre tout aussi bien comme une marque de discrétion que comme une apostille à une œuvre considérable qui couvre près de six décennies. Sur des panneaux d’aluminium, rectangles aux bords irréguliers, il peint des fonds monochromes et, dessus, des lignes verticales ou horizontales et des cercles qui suggèrent des lettres ou des chiffres ; mais aussi des barbouillages ou des ébauches de trames. Ces gestes et ces traits sont des standards de la peinture gestuelle répétés de façon mécanique. La peinture acrylique y est le plus souvent étalée de manière fluide, laissant parfois voir la marque des poils de la brosse. Knoebel se risque à la gestualité avec la même radicalité que pour ses grandes œuvres monochromes, et avec l’assurance que donne une œuvre longuement construite. C’est de la peinture expressionniste abstraite sans bla-bla heroïco-existentiel, mais sans non plus d’ironie. Ces nouvelles peintures sont une double manifestation de liberté, celle de l’artiste et celles de ces traits et barbouillages eux-mêmes, projetés dans l’espace par la luminosité et la forme du support. Le spectateur a l’impression d’être dans le vif du travail de peinture.
Dans les œuvres horizontales de petit format peintes sur film plastique, exposées au premier étage, les gestes et les tracés sont les mêmes mais plus fortement concentrés. On est dans ce cas-là plus sensibles à leur énergie, aux jeux de transparence et de profondeur, et à leur façon de se préserver de ce qui ressemble à de la composition.
Du 4 juin au 26 juillet 2025, Thaddaeus Ropac, 7, rue Debelleyme, 75003 Paris

Vue de l’exposition « Taryn Simon : The Game », Almine Rech Paris, Matignon, 2025. © Taryn Simon. Courtesy of the Artist and Almine Rech. Photo Nicolas Brasseur
Taryn Simon : The Game
Le klèrôtèrion était dans la démocratie athénienne une machine qui servait à tirer au sort des jurés choisis parmi les citoyens. Il n’en subsiste aucun de complet et son fonctionnement exact reste encore un sujet de spéculation. Taryn Simon s’en est inspiré pour concevoir The Game, une colonne en résine couleur crème avec notamment cinq fentes alignées horizontalement dans lesquelles sont insérées cinq plaques de couleurs distinctes, et cinq fentes alignées verticalement. Chaque joueur prend à tour de rôle une plaque et l’insère dans une des fentes en hauteur. On actionne ensuite une manivelle qui libère cinq boules à l’intérieur de la machine, leur chute entraînant l’éjection de toutes les plaques moins une. Le joueur dont la plaque est restée insérée verra en principe ses vœux exaucés.
Déjà montrée, The Game figure ici comme l’objet symbole d’une exposition consacrée à la campagne présidentielle américaine de 2024 et au référendum britannique de 2016 ; ce dernier illustré par le filmage d’une séance de dépouillement dans le Palace of People de Londres.
La campagne présidentielle est évoquée par une série de photos d’objets et par celle d’un animal, chacun devant un fond monochrome, le cadre de la photo étant de la couleur du fond. Un long cartel nous renseigne sur l’épisode auquel se rattache l’image. Un micro de Fox News dressé seul sur un fond vert est là pour rappeler la puissance de ce média, quelques rangées de cornets de frites McDonald’s pour l’importance de ce signe identitaire dans la rhétorique trumpiste, tandis que l’équipement actuel de la police du Capitole fait le lien avec les émeutes de 2021. Dans ce monde d’objets, une place a été accordée à Miss Sassy. Miss Sassy est cette chatte que sa propriétaire croyait avoir été kidnappée par des voisins haïtiens, avant que J.D. Vance n’accuse ceux-ci de l’avoir dévorée. Trônant sur une pile de serviettes éponge, dans la cave de sa maison où elle fut finalement retrouvée, elle est le vivant symbole du « fait alternatif ».
Du 14 juin au 26 juillet 2025, Almine Rech, 18 avenue Matignon, 75008 Paris

Vue de l’exposition « Huma Bhabha : Distant Star », David Zwirner, Paris 2025. Courtesy David Zwirner
Huma Bhabha : Distant Star
On entre dans l’exposition d’Huma Bhabha comme on aborde une cérémonie. Dans la salle de gauche, on est accueilli par Distant Star, une mince colonne en bronze que domine une tête, ou plutôt une gueule, pleine de trous, grossièrement modelée. Aux histoires étroitement mêlées de la sculpture moderne et de l’art tribal, Huma Bhabha ajoute la marque de la science-fiction et celle de la culture populaire. Dans la grande salle sous verrière sont disposées cinq statues dont trois colossales. Elles ont été sculptées dans le liège, enduites d’argile et d’autres matériaux y ont été ajoutés : ciment, grillage de poulailler, morceaux de crânes d’animaux. Chacun des côtés s’apparente à un bas-relief, comme si la forme n’avait pas été totalement libérée de son bloc. Ces statues qui tiennent de la divinité et de l’alien font se rejoindre expérience esthétique et expérience anthropologique. On songe à la façon dont les avant-gardes historiques ont pu bouleverser leurs premiers spectateurs.
Les dessins sur les murs sont une dizaine de variations, à l’encre noire sur une base photographique, autour d’un visage délimité par un épais ovale noir. Que cet ovale signifie la capuche du sweat ou un voile, il est la traduction d’une différence. Ni nez, ni bouches sur ces faces, mais des tracés énergiques, et des yeux enserrés par d’énormes paupières noires. Ces yeux, ils sont formés par la photo d’une gueule de chien de traîneau, la truffe correspondant à l’iris. Image de l’œil ou reflet dans une pupille, il s’en dégage un sentiment d’hébétude. À travers une présentation en apparence classique de sculptures et de dessins, Huma Bhabha nous plonge dans une expérience intense et troublante.
Du 13 juin au 26 juillet 2025, David Zwirner, 108 rue Vieille du Temple, 75003 Paris

Vue de l’exposition « Stéphanie Solinas : Rien ne va plus » chez Jean-Kenta Gauthier Vaugirard, Paris. Courtesy de l’artiste et Jean-Kenta Gauthier
Stéphanie Solinas : Rien ne va plus
Écrivaine, photographe, artiste, Stéphanie Solinas a mené durant cinq ans une enquête dans l’ouest des États-Unis sur différentes recherches pour prolonger la vie ou approcher de l’éternité. Dans la Silicon Valley, elle s’est particulièrement intéressée aux liens que certains des géants de la Tech entretiennent avec la philosophie New Age. De ce road trip, elle a tiré un livre : L’Être plus (Seuil, 2023) et aujourd’hui un jeu qu’elle a baptisé Rio Buenaventura, nom d’une rivière mythique qui a nourri l’imaginaire de la Côte Ouest. Ce jeu est au cœur de « Rien ne va plus » et une dizaine de parties ont été jouées ou seront jouées au cours de l’exposition, l’artiste tenant le rôle de la croupière. La table de jeu comprend une roulette, des jetons, un sablier, différents jeux de cartes et des accessoires qui rappellent le monde de la divination. Pour tenter de gagner l’immortalité, chaque joueur dispose d’un pion en forme de minuscule voiture en bronze surmontée d’un morceau de pyrite, de grès rouge ou de quartz ou d’un autre minéral directement associé à ce territoire géographique. Pour nous aider à comprendre les règles, un écran diffuse en continu la captation d’une des parties. Stéphanie Solinas nous introduit ainsi à une autre histoire de l’Ouest qui commence par l’œil au-dessus de la pyramide, et où se mêlent ésotérisme et rêves de puissance et de domination. Cette exposition à jouer ne fait pas que traduire le livre, elle le prolonge en permettant des développements et des dérives.
« Rien ne va plus » s’inscrit aussi dans un héritage duchampien, ne serait-ce que par la présence d’un index (en néon rouge et tourné vers le ciel) et de la roulette.
Du 5 avril au 26 juillet 2025, Jean-Kenta Gauthier, 4 rue de la Procession, 75015 Paris
