Dans quel milieu êtes-vous né ?
Je suis né en 1952, à Landerneau, dans le Finistère, dans la maison où mon père, Édouard, a ouvert son premier magasin, en 1949. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le plan Marshall aide à la reconstruction de l’Europe et finance ce qui va devenir l’industrie alimentaire. Mes parents, en achetant directement les produits auprès des fournisseurs, militent pour que le commerce soit un acte social. Commence alors un long combat pour l’accessibilité : vendre au prix de gros pour baisser le coût de la vie. Mon père pense le commerce comme un acte de distribution. Il a été apprenti curé et fasciné par le livre d’un prêtre de Lorient intitulé L’Économie distribuera, qui faisait référence à un Jésus sur la montagne distribuant les pains et les poissons. D’ailleurs, il a arrêté d’employer le mot « commerce » pour celui de « distribution ». Il lui a donné une destination populaire, et pas uniquement corporatiste. Le groupe Leclerc est au demeurant une association de distributeurs.
Comment s’est déroulée votre enfance ?
Un de mes grands-pères était photographe, mon père était bibliophile. La bibliothèque était grande et très diversifiée. Nous avions accès à tous les livres, sans aucune censure. Enfant, j’aimais l’archéologie. Je me suis cultivé en regardant des émissions à la télévision, l’ORTF à l’époque. J’ai appris la littérature avec La Lecture pour tous, et le théâtre avec Le Théâtre de la jeunesse. J’ai vu trop tôt un film gore, quelque chose comme Massacre à la tronçonneuse, et cela m’a traumatisé. La violence me révolte, y compris au second degré. Je ne suis pas un grand fan du cinéma de Quentin Tarantino, même si je sais que la violence y est factice. Je trouve l’œuvre de [Francisco de] Goya magnifique, des toiles de l’expressionnisme allemand peuvent me bouleverser, mais je ne pourrais pas vivre avec…
Très jeune, vous quittez la Bretagne pour l’Île-de-France, l’Essonne plus exactement.
Mon père était diacre et, logiquement, j’ai rêvé d’être missionnaire. Je suis donc parti en pension chez les Jésuites, au petit séminaire du Sacré-Cœur, à Viry-Châtillon, pendant quatre ans. Coïncidence des temps et des lieux, j’ai assisté, en 1963, à l’ouverture du premier magasin Carrefour, à Sainte-Geneviève-des-Bois, une ville qui jouxte Viry-Châtillon. C’était le premier hypermarché en France. Je découvre alors les aspects politiques de cette ouverture comme le commerce et l’accès à la propriété. Je passe un bac littéraire.
À l’orée des années 1970, vous vous inscrivez à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Comment s’est déroulé votre parcours ?
J’étudie les sciences économiques et la philosophie. En sciences économiques, je rencontre Antoine Gallimard et Vincent Bolloré, dont le père a une papeterie qui, outre le papier à cigarette, fournit aussi le fameux « papier bible » aux éditeurs de livres, celui de la Bibliothèque de la Pléiade, notamment. Je suis les cours de Pierre Bourdieu et j’assiste aux conférences de passeurs hors pair tels Vladimir Jankélévitch ou Michel Serres. Mes études sont très sérieuses : je passe un doctorat en sciences économiques avec Raymond Barre comme premier directeur de thèse.
Quel a été votre premier souvenir artistique ?
Dans les années 1960, quand mes parents viennent me rendre visite à Paris, ils m’emmènent souvent dans les musées. Mais mon premier grand choc a lieu au début des années 1970 : un spectacle [Le Polytope de Cluny] du compositeur Iannis Xenakis dans les thermes romains du musée de Cluny, à Paris. Je me souviens d’une débauche de lasers multicolores qui se reflétaient dans des miroirs et du public assis par terre, en admiration. J’aimais le rock, la pop, mais j’assistais aussi aux concerts à l’église Saint-Eustache ou à la salle Gaveau.
Dans ces années 1970, vous faites une rencontre déterminante, celle du philosophe André Gorz, l’un des principaux théoriciens de l’écologie politique et de la décroissance. Vous le considérez même comme votre « deuxième père ». Pour quelles raisons ?
André Gorz et sa femme Doreen m’ont hébergé un temps à Paris et dans leur petite maison de Nogent-sur-Marne. Ils étaient européens et cosmopolites. Fasciné par le romantisme des Jeunesses allemandes, de Hermann Hesse et du groupe de Heidelberg, André Gorz a par la suite fait son autocritique. Il a quitté l’Allemagne pour la Suisse, et a écrit un essai autobiographique, Le Traître, préfacé par Jean-Paul Sartre [paru en 1958]. Puis, il s’installe à Paris. Au début des années 1960, il est l’un des principaux animateurs de la revue Les Temps modernes et remplace le philosophe Maurice Merleau-Ponty à sa mort. Avec Jean Daniel et Claude Perdriel, il lance Le Nouvel Observateur. Sous le pseudonyme de Michel Bosquet, il écrit des critiques sur le capitalisme. Dans sa maison, à Nogent, je découvre le milieu : l’activiste Ralph Nader, le sociologue Herbert Marcuse, les antipsychiatres Ronald Laing et David G. Cooper, le reporter de L’Express Dominique Simonnet, un des fondateurs de l’écologie en France. Je découvre l’écologie politique. Je milite, j’adhère à la Fédération des Amis de la Terre, avec Brice Lalonde. Je me structure, je forge ma dialectique.
Vous hésitez alors entre une carrière de professeur ou de journaliste, avant, finalement, de rejoindre le groupe paternel. Pourquoi ?
Mon parcours est simple : j’ai été chargé de travaux dirigés à l’université Paris 1. Puis, j’ai fait des piges pour La Gueule ouverte, un journal consacré à l’écologie, et pour Libération. Mais j’étais le fils de mes parents… À l’époque, je pratiquais beaucoup la voile, le week-end, dans la rade de Brest. Il n’y avait pas de TGV, on conduisait donc sur la route à quatre voies toute la nuit pour arriver au petit matin sur le port et l’on rentrait à Paris le dimanche soir. En parallèle de mes études, je travaillais chez Bouygues, puis à la Compagnie générale des eaux [aujourd’hui Veolia]. Je m’arrêtais souvent à Laval [Mayenne] pour me ravitailler dans un magasin Leclerc où j’ai fait la connaissance de nombreux salariés : pompiste, boulanger, boucher… Certains sont devenus patrons, parfois même des copains. En somme, j’avais des retours de gens du terrain qui étaient fiers de travailler pour l’enseigne et qui me demandaient pourquoi je ne les rejoignais pas. Mon père était, pour eux, un visionnaire, un militant contre l’inflation sachant se servir de la société de consommation pour mieux la critiquer. Cela m’a façonné. Le besoin d’avoir une légitimité professionnelle m’a fait accepter une mission pour le groupe en 1979.
Qu’en est-il de l’enseignement ?
J’ai continué à faire de la pédagogie, mais au sein du groupe et surtout auprès du grand public. Dans les années 1980, il y a eu, par exemple, la lutte pour le préservatif à 1 franc, que Philippe Michel, cofondateur de l’agence de publicité CLM-BBDO, a mis en scène dans une campagne de communication spectaculaire, avec un spermatozoïde géant. En France, les fournisseurs de préservatifs ne voulaient pas nous livrer. Nous les avons attaqués en justice. Outre le secteur de la parapharmacie, nous œuvrons dans ceux des parfums, des bijoux, du voyage. Il s’agit toujours d’un même combat pour l’accessibilité. Le publicitaire Jacques Séguéla avait à l’époque réfléchi à une campagne titrée « Le droit à… » Chaque fois, il y aura des polémiques et des procès. Il en sera de même, plus tard, avec les produits culturels comme le livre.
En 1981, vous entrez de plain-pied dans le secteur culturel comme farouche opposant à la fameuse loi Lang du 10 août 1981 qui institue le « prix unique » du livre en France. Pourquoi de cette manière ?
À l’instar d’autres secteurs protégés, le vrai problème avec la filière du livre, selon nous, était la dépendance des libraires à l’égard des éditeurs. En réalité, cette loi était alors davantage faite contre la Fnac, laquelle voulait baisser ses prix, que contre nous qui n’avions aucun magasin dans Paris. Nous avions de bons rapports avec Max Théret et André Essel, les fondateurs de la Fnac. Le reproche était toujours le même : « Le livre n’est pas un produit comme les autres. » Mais aucun produit n’est comme un autre ! Jack Lang courait les plateaux télévisés avec cette formule : « Entre la défense de [Johann Wolfgang von] Goethe – on peut s’interroger, pourquoi Goethe ? – et celle des supermarchés, il faut choisir ! » Cela m’a conforté dans mon combat pour la culture pour tous. La Cour de justice européenne nous a néanmoins permis de baisser les prix sur les livres importés. Reste que les éditeurs ont alors compris qu’un livre à 15 ou 20 euros, c’était cher. D’ailleurs, ils ont relancé le livre de poche. Pour nous, ce n’était pas du « mauvais buzz », nous voulions être du côté des lecteurs. C’était un acte d’engagement politique. Cela m’amènera, plus tard, à ouvrir des espaces culturels à l’intérieur de nos magasins.
Le premier espace culturel E.Leclerc, avec livres, disques et DVD, ouvre ses portes en 1994.
Notre groupe est une coopérative de 750 entrepreneurs et fait 60 milliards de chiffre d’affaires par an. Il y a actuellement plus de 230 espaces culturels, ce qui représente 800 millions d’euros. Nous sommes la troisième librairie de France, après Amazon et la Fnac. Bref, contrairement à Vernon Subutex, le disquaire du roman de Virginie Despentes, obligé de fermer son magasin à cause du passage du vinyle au virtuel, nous, nous sommes bel et bien là. D’ailleurs, il n’y a pas un éditeur, aujourd’hui, qui me ramène au temps de la loi Lang, et nous sommes en bons termes avec les libraires, y compris avec les grands professionnels tels que la librairie Mollat, à Bordeaux. Nous formons 1 400 libraires par an, distribuons de nombreuses contributions, mais continuons à être blâmés pour les actes marchands ; or, tout ce que l’on fait comme actes non marchands – le mécénat –, personne n’en parle !
Parlons-en ! Vous avez parrainé pendant dix-sept ans le Festival de la bande dessinée d’Angoulême et vous sponsorisez à présent une cinquantaine d’événements par an. De quelle manière ?
Au départ, j’ai convaincu mon père et des adhérents d’investir dans les magasins. Nous avons accompagné la vie culturelle locale : la Folle Journée à Nantes, le Festival Étonnants Voyageurs à Saint-Malo, le Festival du film fantastique à Gérardmer, la scène des Jeunes Talents du Festival Les Vieilles Charrues à Carhaix, etc. Nous avons également, entre autres, financé pendant une décennie la Fondation Yehudi Menuhin, à Bruxelles, sans en faire la moindre publicité…
Dans les années 1990, vous débutez une collection de bandes dessinées…
Je ne suis pas un amateur de l’accumulation, en revanche, je me suis effectivement tourné vers la BD. À l’époque, nombre de dessinateurs ne vivaient pas de leur travail, même s’ils exposaient au Festival d’Angoulême. C’est d’ailleurs ainsi que j’ai pu rencontrer des auteurs comme Philippe Druillet, par exemple, lequel, avec d’autres dessinateurs, a accepté de me céder des planches dans le but de constituer un fonds. Il n’y avait pas de politique publique de soutien à la BD. Aujourd’hui, je prête mes pièces en permanence.
Sur votre blog intitulé avec humour « De quoi je me M.E.L.*1 », vous livrez, depuis vingt ans, outre des notes économiques ou sociales, au moins une chronique culturelle par mois. Pour quelles raisons ?
Dans les années 1990, j’étais convié aux forums de la Cité de la réussite, à la Sorbonne, et j’étais l’un des rares chefs d’entreprise à être invité à « L’Heure de vérité » de François-Henri de Virieu, une émission politique phare de la télévision, programmée sur Antenne 2. J’ai créé ce blog en réponse à un journaliste qui trouvait que j’étais « un bon client» pour faire passer des messages. Je me mêle de tout, parce que je suis mêlé à tout, par le petit bout de la lorgnette comme par le grand. Quant à la culture : j’ai simplement fait des rencontres, et ces personnes sont devenues écrivains, artistes ou artisans. J’aime découvrir ce que font les gens pour comprendre ce qu’ils sont. Je regarde l’art comme je regarde n’importe quelle profession, sans distinction ni hiérarchie. J’ai appris une chose de la vie : nos fonctions sociales ne reflètent pas nos personnalités et lutter contre les stéréotypes demande de l’énergie.

Le couvent des Capucins à Landerneau, mis en lumière par Yann Kersalé, en 2012. Courtesy du Fonds pour la culture Hélène & Édouard Leclerc. Photo Studio Dirou
En 2008, pourquoi créez-vous le prix Landerneau ?
Pour aider les écrivains et les éditeurs, il ne sufit pas de vendre des livres, il faut les promouvoir, les faire « porter » par les libraires, d’où, l’idée de créer ce prix. Le prix Goncourt, c’est bien, mais notre public est plus régional. Il s’agit davantage d’un prix « de proximité », comme on dit du « commerce de proximité », notre manière à nous de soutenir le livre et les auteurs. D’autres prix se sont depuis ajoutés : Polar, BD, Album jeunesse, un prix des lecteurs… Nous nous devons, aujourd’hui, de prolonger notre politique de l’offre. Un exemple de coup de pouce : pour le prix des Ados du Festival Livres & Musiques, à Deauville, nous donnons 5 000 ouvrages aux lycées et collèges. Je n’apprécie pas beaucoup l’écriture d’André Malraux, mais dans l’un de ses textes, un personnage dit une phrase merveilleuse : « Ce qui m’importe n’est pas d’être roi, mais de bâtir le royaume. » La culture est un royaume. À défaut d’être un bon écrivain, je défends la lecture et le livre.
En 2012, vous inaugurez le Fonds Hélène et Édouard Leclerc pour la culture, à Landerneau, un centre d’art logé dans l’ancien couvent des Capucins. Dans quel but ?
C’est l’aboutissement d’un projet que nous avions avec ma mère, Hélène, et auquel nous avons associé un groupe d’adhérents Leclerc convaincus. C’était important que cela existe à Landerneau où sont nos racines. Le lieu a ouvert au bon moment, peu de temps avant la mort de mon père. Ce fut, pour ma mère, un immense bonheur, une manière de transmettre, mais cette fois sans but mercantile. Nous y avons une obligation pédagogique : faire connaître l’art et les artistes.
Je rêvais, en guise de présentation inaugurale, d’accueillir la belle exposition sur Pierre Soulages qui était passée par Paris et attendait d’aller à Rodez*2 pour l’ouverture du musée consacré à l’artiste*3. J’ai écrit à tout le monde : aucune réponse. Puis, je me suis dit qu’ayant, par le passé, rencontré toute une génération d’artistes, j’allais présenter mes amis. Ce sera le cas avec Ernest Pignon-Ernest, que nous avons exposé en 2022. Un jour, alors que je prenais un verre avec [le journaliste] Serge July, j’ai eu une révélation : Gérard Fromanger. Je ne m’en souvenais plus, mais nous nous étions disputés avec lui, en 2005, parce qu’il croyait que notre agence de publicité avait plagié ses affiches de Mai-68 pour une campagne sur le pouvoir d’achat. L’agence l’avait bien payé, mais lui « surfait» sur le mythe que ses « copains des Beaux-Arts » avaient généreusement légué leurs droits d’auteur « au peuple ». Nous nous sommes en quelque sorte réconciliés. Accompagné de ma fille Audrey, je me suis rendu au Centre Pompidou [à Paris] afin de demander un prêt de pièces. À l’époque, je n’ai pas encore les codes du monde de l’art lorsque je rencontre le directeur du musée national d’Art moderne [Alfred Pacquement]. Par chance, c’est quelqu’un de gentil et d’attentif. Ma fille use de culot, et nous obtenons un prêt de quinze œuvres de Gérard Fromanger. Voilà toute ma vie !
Au fil des ans, comment choisissez-vous vos commissaires d’exposition ?
Si j’ai créé ce fonds avec Patrick Jourdan, ancien conservateur en chef du musée des Jacobins, à Morlaix, et si j’ai embauché Marie-Pierre Bathany, venue de la Fondation Maeght, pour le diriger, il n’y a, au sein du conseil d’administration, aucun spécialiste de l’art. Nous faisons le choix de confier chaque projet aux bonnes personnes. Un jour, alors que je visitais, avec ma femme, une exposition sur Nicolas de Staël au musée Picasso*4, à Antibes, je fais la connaissance de son directeur, Jean-Louis Andral, qui me propose d’aller voir, le lendemain, Bernar Venet dans sa Fondation du Muy, dans le Var. J’ai passé une journée extraordinaire. Nous sommes d’abord allés à la Fondation Hartung-Bergman [à Antibes] où j’ai rencontré le président du conseil d’administration, Daniel Malingre. Je ne connaissais pas le travail d’Hans Hartung, mais nous évoquons la possibilité d’une exposition à Landerneau. Puis, nous nous rendons chez Bernar Venet. Bien que l’art conceptuel me parle peu et que je ne connaisse rien à l’arte povera, je fais mon éducation. Soudain, Bernar Venet dit : « Je vais vous montrer quelque chose… » Il fait un code et une porte s’ouvre, puis un nouveau code, et derrière une nouvelle porte sont garés deux superbes bolides, probablement des Bugatti, à 500 000 euros chacune. Il y avait des œuvres d’art partout, mais les deux pièces les plus protégées étaient ces deux voitures. La question se pose alors : qu’est-ce que l’art ? Cette visite m’a totalement décomplexé. En 2016, il y aura une exposition « Hartung » à Landerneau et, l’année suivante, « Picasso », dont le commissariat sera confié à… Jean-Louis Andral.
Et ainsi de suite ?
Alors que Catherine Grenier, directrice de la Fondation Giacometti [à Paris], n’a pas de lieu pour exposer son important fonds, je lui propose de le montrer à Landerneau. C’est ainsi qu’a lieu une exposition, en 2015, qui partira ensuite à la Tate Modern*5, à Londres. Il en est de même avec Laurent Le Bon. En 2019, alors qu’il est directeur du Musée national Picasso-Paris, il assure le commissariat de notre exposition « Cabinets de curiosités », puis il devient président du Centre Pompidou. Ainsi organisons-nous en 2024 la grande exposition sur la bande dessinée*6 – pour laquelle je prête un tiers des œuvres présentées. Quelque 300 000 visiteurs sont venus la voir !
En 2014, pourquoi créez-vous votre propre maison d’édition d’art MEL Publisher ?
J’ai créé cette maison d’édition afin de promouvoir des artistes que j’aime et les accompagner en produisant des estampes, des gravures et des sérigraphies. J’ai recruté à cet effet Lucas Hureau, qui a travaillé dix ans chez Artcurial. L’idée est également de collaborer avec les meilleurs ateliers comme ceux de Stéphane Guilbaud, Idem, René Tazé, À Fleur de pierre… Avec les artisans, les artistes restent modestes, ils redeviennent apprentis. Les rapports sont simples : j’ai du plaisir à les voir travailler ainsi, et ils me le rendent bien. Dans les ateliers, je ne suis ni éditeur ni marchand. Il y a une sorte de fraternité.
Début avril 2025, vous avez franchi un pas supplémentaire en participant, pour la première fois, à un salon, en l’occurrence Art Paris. Comment cela s’est-il passé ?
C’est une première d’aller, professionnellement parlant, dans une grande foire et d’y exposer des œuvres d’artistes que j’ai choisis, d’autant que la présence de chacune de ces œuvres est issue de rencontres personnelles. Ce n’est pas un aboutissement, mais une nouvelle « case » dans ma vie. Ma vie est une bande dessinée dans laquelle les cases s’ajoutent au fur et à mesure et me permettent de transformer, alors que j’en rêvais, des rencontres en moments de création et de donner de la visibilité à des artistes que j’aime. Je pense, pour n’en citer que trois, à Françoise Pétrovitch, à Olivier Masmonteil et à Thomas Lévy-Lasne – dont nous venons de réaliser la première lithographie.
Que préparez-vous en 2025 ?
La prochaine exposition à Landerneau, au mois de juin, s’intitulera « Animal !? » et s’intéressera au statut de l’animal dans l’histoire de l’art : projection, effet miroir, objet d’affection ou de représentation de soi… Elle rassemblera 180 chefs-d’œuvre, de Vassily Kandinsky à Alberto Giacometti, comme autant de mystères. Nous préparons ensuite, pour novembre, au musée de Grenoble, une grande exposition sur la bande dessinée, avec de nombreuses planches originales. Elle donnera des clés de l’histoire du 9e art, depuis Métal hurlant jusqu’à Marjane Satrapi en passant par Comès, [Miguelanxo] Prado ou [Edmond] Baudoin.
Vous n’arrêtez jamais en fait !
J’ai adoré un récent entretien de Clint Eastwood dans lequel il raconte que, depuis qu’il a 70 ans, on lui pose sans cesse la même question : « C’est votre dernier film ? » Et depuis ses70 ans, il en a fait vingt-trois autres ! En 2024, il a réalisé Juré no 2, à 94 ans. J’en ai 73, et, si je puis dire, je suis comme Clint Eastwood, toujours en ébullition. Je suis dans le wagon de tête et j’avance.
-
*1 michel-edouard-leclerc.com
*2 « Soulages » au Centre Pompidou, en 2009-2010.
*3 Le musée fut finalement inauguré le 30 mai 2014.
*4 « Staël, la figure à nu. 1951-1955 », musée Picasso, Antibes, 2014.
*5 « Giacometti », Tate Modern, Londres, 2017.
*6 « Bande dessinée. 1964-2024 », Centre Pompidou,Paris, 2024.
