La décision est tombée en fin de semaine dernière : comme certaines rumeurs le laissaient sous-entendre, la Ville de Bruxelles était sur le point de sabrer dans ses budgets culturels, mais personne n’imaginait que c’était La Centrale, vaisseau amiral des arts plastiques de la Ville, qui allait en être la victime principale. C’est le bourgmestre [le maire] lui-même, Philippe Close, qui assume cette décision de couper la subvention de 500 000 euros octroyée annuellement à l’institution pour assurer son fonctionnement. Fondée par la Ville en 2006, le lieu est pourtant la vitrine de la création contemporaine. Il occupe une place importante dans le paysage culturel bruxellois. Tout d’abord en raison de sa situation dans le cœur vivant de la cité et son accessibilité à tous les publics. Il offre aussi aux plasticiens bruxellois ou assimilés des possibilités d’exposition que ne peuvent leur garantir d’autres institutions non muséales comme Bozar ou le Wiels. Seul le Botanique fait exception, du moins pour les artistes francophones. Cette scène bruxelloise et les manifestations qui lui ont été consacrées constituent l’ADN de La Centrale, notamment avec les grandes expositions collectives initiées par sa précédente directrice artistique, Carine Fol, comme « Bazar Belge », « BXL Universel », et « Private Choice » explorant les collections privées bruxelloises. Le lieu se distingue aussi par un format inédit d’expositions en duo, des artistes belges dialoguant avec un ou une invité(e) extérieur(e), comme Sophie Whettnall et Etel Adnan, Xavier Noiret-Thomé et Henk Visch, Mehdi-Georges Lahlou et Candice Breitz, Mitja Tušek et Bertille Bak, sans oublier des expositions monographiques comme celle de Johan Muyle et celle en cours, dédiée, sous forme d’hommage, au vidéaste et plasticien Michel Couturier (1957-2024). Sa clôture en février prochain signifiera la fin de l’aventure de La Centrale, à la veille de son vingtième anniversaire et à peine un an après une rénovation en profondeur et l’aménagement d’une entrée digne de ce nom.

Vue d'exposition Sophie Whettnall, Etel Adnan. Photo : Philippe De Gobert
Pascale Salesse, la directrice de l’institution, a fait part de sa « profonde émotion » et regrette la « perte d’un soutien à la création émergente », qui a toujours été l’un des axes primordiaux de la politique de la Ville, la configuration des lieux permettant aisément la fragmentation de ses espaces au profit d’expositions satellites. « On vit une crise budgétaire. On a dû faire un choix pour préserver le reste des institutions. Ce n’est pas le personnel qui est en cause. Ils sont une vingtaine et nous allons voir si d’autres fonctions peuvent correspondre pour assurer leur avenir professionnel », a expliqué pour sa part le bourgmestre Philippe Close.
Tania Nasielski, l’actuelle directrice artistique, parle quant à elle de « sidération et d’une incompréhensible violence », cette décision ayant été prise sans la moindre concertation avec l’équipe.
L’argument de « préservation des autres lieux » n’a pas vraiment convaincu et la levée de boucliers ne s’est pas fait attendre. Colette Dubois, la co-curatrice de l’exposition en cours, pointe à juste titre (dans le quotidien L’Écho du 5 décembre 2025) la dérive manifeste des projets dits « culturels » : « Tout cela participe d’une politique inacceptable de disneylandisation du centre-ville. On s’accroche à un type de tourisme absolument scandaleux qui ne prend pas en compte les citoyennes et les citoyens. Il faut appeler à la résistance du monde culturel des arts plastiques face à une décision injuste. En dehors de La Centrale, il n’y a pas grand-chose pour les artistes et ce n’est pas l’arrivée de Kanal qui va régler cela ».
Cette réaction n’est pas si étonnante que cela, le projet étant de plus en plus victime d’un Kanal bashing au fur et à mesure que l’on apprend les difficultés auxquelles font face les autres institutions. De facto, la pression va se reporter sur le futur Kanal Centre Pompidou qui, peu à peu, construit sa propre collection présentée comme « étant axée sur l’art du XXIe siècle d’artistes vivant et travaillant à Bruxelles et en Belgique ». Cependant, les artistes émergents n’y trouveront certainement pas la même place.
L’annonce de cette fermeture signifie un nouveau coup dur pour les arts plastiques à Bruxelles et en Belgique. Elle confirme la situation de véritable crise structurelle et financière et surtout une profonde méconnaissance du secteur par le corps politique (lire notre mensuel The Art Newspaper Édition française de décembre 2025). Un appel à la mobilisation via une pétition de soutien en ligne à La centrale vient d'être lancé.
