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Grand témoin
Entretien

Raymond Depardon : « en photographie, c'est tout un environnement qui naît des petites choses de la vie »

À 83 ans, le photographe et réalisateur français bénéficie d’une riche actualité : une rétrospective de ses films au cinéma, un livre, et une exposition au Pavillon populaire, à Montpellier. Il revient pour nous sur une vie consacrée à l’image et à la parole.

Propos recueillis par Zoé Isle de Beauchaine
4 décembre 2025
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Raymond Depardon, Autoportrait, 1995. © Raymond Depardon/Magnum Photos

Raymond Depardon, Autoportrait, 1995. © Raymond Depardon/Magnum Photos

Vous êtes né en 1942 à Villefranche-sur-Saône [Rhône] et avez grandi dans la ferme familiale du Garet, dans les monts du Lyonnais. Comment fut votre enfance ?

J’ai eu une chance inouïe parce que mes parents, qui étaient encore des gens du XIXe siècle, m’ont laissé libre de penser. Dans cette ferme, avec sa cour, ses greniers et ses animaux, j’ai pu rêver. Mes parents voyaient bien que je ne pourrais pas reprendre l’exploitation familiale, même si j’ai essayé de les aider. Je n’étais pas un bon fils de paysan.

Très tôt, la photographie s’impose comme une évidence. Racontez-nous
sa découverte.

Quand j’avais 12 ans, mon frère aîné a reçu en cadeau un appareil dont il ne s’est jamais servi. Je le lui ai emprunté et j’ai commencé de faire des photographies. Je ne savais pas l’utiliser, mais il y avait quelque chose qui me passionnait. Plus tard, sur un marché, mon père est allé voir un photographe professionnel pour qu’il me prenne comme apprenti. Je me suis retrouvé dans une boutique où l’on tirait des portraits de mariés ou de nouveau-nés et où l’on développait des photographies d’amateurs. J’ai appris comme ça et j’ai tout refait à la ferme. J’avais installé un labo photo derrière la cuisine. Je me suis inscrit à des cours par correspondance afin d’essayer de progresser seul.

Vous emménagez à Paris en 1958 pour devenir photographe professionnel.
Vous avez 16 ans.

Un jour, j’ai décidé de chercher « reporter photographe » dans le Bottin et d’envoyer une lettre à ceux que je trouvais. Un certain Louis Foucherand m’a répondu. Il avait travaillé à l’AFP et voulait désormais faire du publireportage. Je suis monté à Paris pour le rencontrer et lui montrer mes photographies. Forcément, c’étaient des clichés d’animaux et de nature. Lorsqu’il m’a demandé ce que faisaient mes parents, je suis devenu tout rouge et j’ai répondu : « Agriculteurs » – je faisais très attention à ne pas dire paysan. Mais finalement, lorsque j’y repense, j’ai eu de la chance d’être un fils de paysan, car ça vous donne un certain orgueil qui vous stimule. C’est essentiel si vous ne voulez pas vous faire manger très vite. Louis Foucherand m’a pris.

Raymond Depardon, Brésil, Amazonie, Roraima, Indien yanomami, 2008, photographie couleur.

© Raymond Depardon/Magnum Photos

Quelle fut l’une de vos premières photographies ?

J’étais logé au fond du labo où j’ai appris à charger un appareil, développer, faire des planches-contacts... Parfois, [Louis] Foucherand m’emmenait pour certaines commandes. Un jour, dans un café, je me suis trouvé devant Édith Piaf entourée de photographes. Je me suis approché, elle m’a regardé et m’a demandé : « Comment ça va, mon mignon ? » Impressionné et peu bavard à l’époque, je n’ai pas répondu. J’ai simplement pris une photographie, comme ça, au flash.

Lorsque Louis Foucherand s’associe avec l’agence de presse Dalmas, vous le suivez comme pigiste. Ainsi commencent vos« années déclic».Vous multipliez les commandes : célébrités, actualité, prix littéraires et événements sportifs... Vous réalisez également vos premiers reportages à l’étranger et vous vous rendez en Algérie.

À l’Agence Dalmas, il y avait toute une génération de photographes, un peu plus âgés que moi, qui étaient de vrais aventuriers. C’était un mélange d’individus issus de différents milieux : soit de grands bourgeois en rupture avec leur famille parce qu’ils souhaitaient être photographes, soit des prolos qui avaient monté doucement les échelons et qui étaient déterminés. Il y avait quelque chose de plus dur comparé à aujourd’hui et, surtout, un sentiment général de colère et de révolte. C’était aussi une génération qui ne voulait plus partir en Algérie. On m’a dit : « Toi, tu n’as pas fait ton service militaire, alors vas-y. » Je me suis retrouvé dans les rues d’Alger, en pleine décolonisation. Plus tard, j’ai été envoyé dans le Sahara algérien où j’ai été amené à photographier des rescapés d’un contingent militaire. Ces images ont été publiées dans Paris Match, ce qui m’a permis d’être salarié chez Dalmas.

Raymond Depardon, Désert du Ténéré, Niger, 1989, photographie noir et blanc.

© Raymond Depardon/Magnum Photos

Vous devenez rapidement le principal reporter de l’agence, mais, en 1966, vous participez à la création de Gamma, une coopérative de photographes. Pourquoi ce changement ?

Lorsqu’un cliché était vendu par Dalmas, le tampon au dos mentionnait le nom de l’agence, mais rarement celui du photographe. Chez Gamma, nous avons inversé cela : les tampons précisaient le nom du photographe et, entre parenthèses, celui de l’agence. Nous n’avions rien inventé, bien sûr, puisque Magnum l’avait déjà fait.

Votre aventure chez Gamma dure une dizaine d’années, pendant laquelle vous réalisez des reportages aux quatre coins du globe : Tchad, États-Unis, Vietnam, Chili...

Chez Gamma, nous avons appris à avoir un regard sur les finances. Nous nous sommes d’ailleurs aperçus que les patrons d’agence gagnaient bien leur vie sur notre dos ! Avoir ce contrôle économique nous a donné une grande liberté, laquelle nous permettait de partir spontanément couvrir des sujets. J’ai beaucoup voyagé et produit parmi mes plus beaux reportages durant cette période. Mais ensuite, les choses ont changé. La disparition de Gilles Caron au Cambodge, en 1970, a été un choc. Nous avons levé le pied et avons cessé de partir à l’aveuglette. Je me suis encore rendu au Vietnam, mais j’ai vu que quelque chose avait été brisé, que c’était fini. À cette époque, je commençais à penser autrement mon métier, j’imaginais des reportages en plusieurs temps. Je lisais beaucoup et réfléchissais notamment à cette question du texte par rapport à l’image : est-il ancrage ou relais ?

Est-ce par ces réflexions que vous vous êtes tourné vers le cinéma ?

En partie. J’avais toujours eu ce « dada » de faire du cinéma. Au départ, je réalisais des films assez minimalistes, des courts métrages comme des cartes postales. Il y avait peu de monde qui travaillait ainsi, avec cette liberté. Petit à petit, j’ai découvert la force du montage, puis celle de la parole. Un moment important fut la sortie du film documentaire Primary [de Robert Drew et Richard Leacock], sur la campagne pour les primaires de John F. Kennedy en 1960 au Wisconsin. Les caméramans le suivaient, objectif sur l’épaule. Ils utilisaient aussi des magnétophones pour le son. Entre les discours, le candidat discutait avec son entourage. C’était ce que l’on appelait à l’époque du cinéma-vérité, un cinéma direct, brut, sans intervention, sans questions. Quelque chose que j’avais moi-même vécu en tant que photographe, puisque, lorsque je faisais mes prises de vue, j’étais également dans l’écoute. L’importance du dialogue, des mots relais, des mots ancrages... et même des mots marmonnés, tout cela a été déterminant pour moi.

Vous partagez ces principes de cinéma direct avec Claudine Nougaret, que vous rencontrez dans les années 1980. Cette collaboration à la ville comme à la scène donnera lieu à quelques-uns de vos plus beaux documentaires sur le système judiciaire, la santé mentale ou encore la France rurale, dont certains sont actuellement projetés dans l’exposition inaugurale du nouveau bâtiment de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, à Paris...

Claudine était ingénieure du son. Nous avons passé notre voyage de noces aux urgences psychiatriques de l’Hôtel-Dieu [de Paris] pour notre film Urgences [1988]. Nous avions ce besoin de tourner. Avant de la rencontrer, j’accrochais mon micro à ma caméra. J’étais très malheureux, car cela impliquait que je m’approche très près du sujet, trop près pour l’image. Nous formions un bon tandem qui rassurait les personnes que nous filmions. Elle percevait, elle aussi, l’importance de ces mots marmonnés, ces interjections à la fin des phrases, qu’elle ne coupait jamais au montage.

Raymond Depardon, Commercy, Meuse, 2007, photographie couleur.

© Raymond Depardon / Magnum Photos

Un autre concept qui a guidé votre pratique est celui des « temps faibles » :
ces non-sujets auxquels vous accordez beaucoup d’attention.

Ce concept vient du cinéma. C’est l’importance de tourner pendant les temps faibles, car, d’un seul coup, il peut se passer quelque chose qui est finalement le démarrage d’un temps fort. Je me suis aperçu que l’« instant décisif » d’Henri Cartier-Bresson était en fin de compte suspendu au temps faible ou en était en tout cas l’aboutissement. Lorsque je filmais, cela correspondait au moment où quelqu’un arrêtait justement de faire son cinéma et redevenait normal. En photographie, c’est tout un environnement qui naît des petites choses de la vie.

C’est tout le sujet de votre film 1974, Une partie de campagne sur Valéry Giscard d’Estaing que vous réalisez en marge de sa campagne présidentielle. Il faudra attendre 2002 pour que ce dernier accepte qu’il soit diffusé.

Un jour, je me suis trouvé dans un avion avec Valéry Giscard d’Estaing, alors qu’il s’apprêtait à annoncer sa candidature aux élections présidentielles dans son Auvergne natale. Sur le trajet du retour, après quelques gorgées de champagne, nous avons commencé à discuter, et lui s’est mis à me raconter sa vie. Toute la France a cette vision du jeune cadre auvergnat devenu ministre des Finances et désormais candidat à la présidentielle. Mais de quoi me parlait-il ? De chasse. Vous imaginez ma surprise ! Il poursuit ensuite sur son parcours de vie qu’il dit avoir entièrement pensé en vue de la présidence de la République. À ce moment, je lui ai dit qu’il faudrait faire un film. Il a accepté, mais ne s’attendait pas à ce résultat. Je voulais un portrait de [Valéry] Giscard [d’Estaing] comme il était dans la vie. J’étais très influencé par [l’anthropologue et psychologue] Gregory Bateson et l’école de Palo Alto : l’importance du langage parlé plutôt qu’écrit. Les politiciens ont très peur du son et des paroles qu’il peut révéler.

Raymond Depardon, En route pour Sebha, Libye, 1978, photographie noir et blanc.

© Raymond Depardon/Magnum Photos

Après cette expérience, vous vous plongez dans l’affaire Françoise Claustre, une ethnologue française retenue en otage par des forces rebelles dans le désert tchadien. Vous tournez un court film diffusé au journal de 20 heures, dans lequel vous évoquez surtout son quotidien d’otage, fidèle à cette approche humaine qui vous caractérise. En 1989, vous vous inspirez de cet événement pour réaliser La Captive du désert. Pourquoi ce besoin de passer à la fiction ?

Parce que je me suis aperçu qu’il y avait certains plans qui n’intéressaient personne. Par exemple, une belle lumière, des dunes, un palmier : ce genre de plans était coupé par le monteur. Je me suis donc demandé ce qu’il fallait faire pour que l’on garde de telles images. La réponse était de faire apparaître Sandrine Bonnaire courant en haut de la dune. Là, j’aurais peut-être une chance que mon plan soit conservé. L’autre solution était de réaliser un film de type National Geographic avec une voix off et une musique ringarde en arrière-plan, ce qui n’était pas vraiment mon esthétique ! Je me suis donc tourné vers la fiction. J’étais aussi sans cesse dans une optique de progression : quoiqu’il arrive, il fallait avancer, évoluer... À cette époque, les revues de cinéma étaient emplies de textes sur le rapport fiction-documentaire.

Si vous continuez à effectuer des reportages à l’étranger, la France,
et particulièrement la France rurale, devient un sujet de plus en plus urgent. Vous publiez un livre sur la ferme du Garet [Carré, 1995], puis vient la série de films documentaires
Profils paysans.

Il m’a fallu du temps pour que j’ose enfin photographier le monde rural. J’ai été quelque peu aidé par les photographes américains : Paul Strand avec La France de profil [en 1952, avec l’écrivain Claude Roy], le travail de Dorothea Lange et Walker Evans pour la Farm Security Administration... Je m’interrogeais : « Tous ces grands noms ont photographié les paysans, et toi, tu n’oses même pas photographier ton père ? » Cela m’est venu très tardivement, et ce fut peut-être le reportage le plus difficile de ma vie. Comme photographe indépendant, j’avais appris à travailler vite. Il a fallu que je ralentisse, que je parle, que j’écoute. Ce fut un bon exercice. J’allais dans les fermes, je discutais avec les gens, puis, un jour que je retournais dans l’une d’elles, quelqu’un m’a dit : « Je suis content de vous voir ! » Pour moi, ce fut la Palme d’or ! Cela signifiait que j’étais accepté, que je pouvais revenir.

Vient ensuite, en 2010, votre grand projet photographique, La France de Raymond Depardon, pour lequel vous avez parcouru le territoire français en camping-car durant cinq ans afin de dresser le portrait, à la chambre, d’un pays en mutation.

Avec ce travail sur la France, j’ai surtout entamé une réflexion sur la couleur. J’avais bien sûr déjà photographié en couleurs, mais sans vraiment y penser. J’avais depuis longtemps cette envie de faire la France en couleurs parce que j’y retrouvais la palette des années 1950 : les friandises, les platanes, les voitures, les maisons peintes en rose ou en bleu clair... C’étaient des années très douces sur le plan chromatique. C’est ce que je désirais revoir. J’étais par ailleurs très intéressé par cette idée d’un itinéraire qui me ramenait, lui aussi, à mon enfance, lorsque j’allais à l’école. Ce trajet de l’école est important, car il a été très formateur. Tu es jeune, tu rentres paisiblement à vélo, tu n’es pas pressé et tu as cette espèce de liberté. Tu t’imprègnes de ce qui t’entoure, tu te construis, c’est un éveil à la vie.

Cette place de la couleur dans votre œuvre fait l’objet, en 2013-2014, d’une exposition au Grand Palais et d’une publication au titre évocateur, Un moment si doux. En décembre 2025, pour la réouverture du Pavillon populaire, à Montpellier, vous garderez ce cap en montrant une sélection de photographies en couleurs qui sont pour vous une invitation à ralentir et à prendre le temps de regarder. Est-ce le conseil que vous donneriez à un jeune photographe ?

Récemment, j’ai su qu’un grand sociologue américain, Howard Becker, qui avait enseigné à la Sorbonne et à Berkeley, avait lu mon livre La Ferme du Garet. Lorsque des élèves lui ont demandé ce qu’il fallait faire pour être photographe, il a répliqué : « Faites comme Depardon, prenez des cours par correspondance. » C’est peut-être la réponse...

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« Depardon cinéaste », sortie de 20 longs métrages en 4 cycles thématiques :

« Depardon citoyen » (22 octobre 2025)

« Depardon photographe » (4 février 2026)

« Depardon paysan » (4 mars 2026)

« Depardon et l’Afrique » (29 avril 2026)

Raymond Depardon et Kamel Daoud, Désert, Paris, Fondation Cartier pour l’art contemporain, 2025, 344 pages, 59 euros.

« Auschwitz-Birkenau vu par Raymond Depardon », du 26 juin au 9 novembre 2025, Mémorial de la Shoah, 17, rue Geoffroy- L’Asnier, 75004 Paris.

« Raymond Depardon. Extrême Hôtel », du 2 décembre 2025 au 12 avril 2026, Pavillon populaire, esplanade Charles-De-Gaulle, 34000 Montpellier.

Grand témoinRaymond DepardonPhotographiePavillon populaire de MontpellierMémorial de la ShoahFondation Cartier pour l'art contemporain
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