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Critique

Alina Szapocznikow à l'honneur à Grenoble

La sculptrice polonaise s’affirme comme l’une des grandes créatrices de son temps dans une saisissante exposition au musée de Grenoble.

Catherine Francblin
20 novembre 2025
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Roger Gain, Alina Szapocznikow travaillant sur Grands Ventres, 1968, photographie noir et blanc. Courtesy de l’Estate of Alina Szapocznikow

Roger Gain, Alina Szapocznikow travaillant sur Grands Ventres, 1968, photographie noir et blanc. Courtesy de l’Estate of Alina Szapocznikow

Inclassable, généreuse, sensuelle, l’œuvre de l’artiste Alina Szapocznikow, disparue en 1973, à l’âge de 47 ans, a été redécouverte après un long oubli dans les années 1990 et saluée comme celle d’une pionnière dans la lignée d’Eva Hesse et de Louise Bourgeois. Le musée de Grenoble est la première institution française à lui offrir une monographie permettant d’appréhender l’ensemble de sa carrière. Conçue par Sophie Bernard, sa conservatrice en chef, la proposition est une version augmentée de l’exposition qui s’est tenue précédemment en Allemagne, au Kunstmuseum de Ravensburg (du 15 mars au 6 juillet 2025).

Sous l'angle du corps

Jalonné de près de 150 œuvres, le parcours, quoique chronologique, s’ouvre de façon spectaculaire sur une sculpture de 1963 : Machine en chair. Outre que celle-ci – haute forme hybride au croisement de la femme et de l’animal – illustre assez bien l’angle du corps choisi par la commissaire pour approcher le travail encore largement incompris d’Alina Szapocznikow, cette pièce (acquise par le Centre national des arts plastiques dès 1964) représente un moment charnière dans sa brève et fulgurante carrière. En 1963, l’artiste s’installe en France avec le graphiste Roman Cieslewicz qu’elle épousera en secondes noces. Elle avait rencontré le premier, Ryszard Stanisławski, pendant ses études à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris. Devenu directeur de Muzeum Sztuki, le musée d’art de Lodz (Pologne), celui-ci s’emploiera à montrer son œuvre partout dans son pays d’origine.

Mais ce début de décennie marque aussi une évolution fondamentale de ses préoccupations. Plus tôt, dans les années d’après-guerre, l’artiste a participé à de nombreuses manifestations officielles en Pologne. Très vite, cependant, elle attire l’attention avec des productions éloignées des canons classiques, comme Âge difficile (1956) ou Exhumé (1955-1957), lesquelles figurent dans plusieurs expositions à l’étranger. Dans son atelier, elle se livre à toutes sortes d’expérimentations. Elle travaille le ciment, la pierre, le bronze, le plomb, la résine et crée des œuvres proches de la sculpture informelle, telle Rozłupany (Éclaté ; 1960), mélange d’ambre et d’objets métalliques. En 1962, elle prend part à la Biennale de Venise et y fait la connaissance de Pierre Restany.

De retour à Varsovie, juste avant de s’envoler pour Paris, elle réalise un moulage en plâtre de sa jambe nue. Ce sera le point de départ d’une pratique de la sculpture entièrement vouée à une forme originale d’ex- pression du corps. De son corps à elle, en particulier, elle dont la vie a été marquée par deux drames : à 16 ans, elle est déportée avec sa mère dans les camps d’Auschwitz (Pologne), puis de Bergen-Belsen (Allemagne) et de Terezin (République tchèque) ; à 43 ans, alors qu’elle accède à la maturité professionnelle, elle découvre qu’elle est atteinte d’un cancer du sein. Elle n’aura plus que quatre années à vivre.

De sa détention dans les camps nazis, toutefois, Alina Szapocznikow s’abstiendra toujours de parler. Elle préfère célébrer la joie de vivre en fixant dans la résine les empreintes du corps humain considéré (selon ses mots) comme une « zone érogène totale ». Ainsi, à partir du moulage de sa jambe – lequel, tiré en bronze et posé sur un bloc de granit noir, compose la pièce majeure intitulée Noga (Jambe ; 1962-1967) –, elle se lance avec fébrilité et gourmandise dans une multitude de moulages de parties de sa propre personne choisies pour leur caractère érotique : les lèvres, les seins, le ventre. Admirateur et soutien essentiel de l’artiste, Pierre Restany qualifie sa sculpture de « festin sensuel ».

Alina Szapocznikow, Sein illuminé, 1967, résine, ampoule, fils électrique et métal, Pinault Collection.

Courtesy de l’Estate of Alina Szapocznikow, de Piotr Stanislawski, de Loevenbruck, Paris,

et de Hauser & Wirth. Photo Fabrice Gousset

Un univers viscéral

Cette sensualité est d’abord celle de la bouche d’Alina Szapocznikow que donnent à voir les autoportraits « aveugles », moulages ne dévoilant que le bas du visage. Très appréciées en raison de leur aspect « Art nouveau », ces sculptures-lampes à l’allure de fleurs délicates, portées par de longues tiges et réalisées de façon artisanale, sont aujourd’hui très recherchées. Parfois, les tiges se transforment en phallus, tandis que ce dernier peut devenir le pilier, turgescent en diable, contre lequel repose, en pleine extase, une ravissante nymphette en résine : Fiancée folle blanche (1971). La série des moulages compte encore des empreintes du ventre de l’artiste ou de ses amies. Certaines fabriquées en mousse de polyuréthane étaient destinées à servir de coussins. (Alina Szapocznikow aurait souhaité les produire en quantité afin qu’elles soient utilisées dans les crèches !) D’autres sont exécutées en marbre, à l’instar de ses impressionnants Grands Ventres (1968) sculptés près de Carrare, en Italie, en 1966.

Durant ces années particulièrement fécondes, Alina Szapocznikow participe à plusieurs expositions, organisées notamment par Pierre Restany. Le critique est en outre à l’initiative de l’hommage que le musée d’Art moderne de la Ville de Paris lui consacrera deux mois après sa mort (« Alina Szapocznikow, 1926-1973. Tumeurs, herbier », 8 mai-3 juin 1973). Le sculpteur César fait également partie de ses proches depuis son séjour d’étudiante polonaise en France. On relèvera la similitude de leur geste : elle a moulé sa jambe, lui, plus tard, son pouce. Mais on décèle surtout sa proximité avec le Nouveau Réalisme dans l’intérêt qu’elle manifeste pour les objets industriels. L’œuvre Goldfinger (1965) est emblématique à cet égard : deux jambes de femme en ciment assemblées au moyen d’un pare-chocs de voiture fixé entre ses cuisses. Marcel Duchamp, jury du prix de la William and Noma Copley Foundation, verra la sculpture dans son atelier. Peut-être appréciera-t-il son érotisme et son humour. Grâce à lui, en tout cas, elle remportera le prix Copley en 1966.

Lorsqu’elle apprend qu’elle est atteinte d’un cancer, Alina Szapocznikow élabore ce qu’elle appelle des Tumeurs. Elle agrège des photographies froissées, les roule en boule et les enveloppe dans la résine de polyester. À l’heure du triomphe de l’art minimal, ces œuvres douloureuses ont parfois du mal à passer. Elle réalise aussi d’innombrables dessins, souvent très beaux, qui évoquent la prolifé- ration des cellules : tout un univers viscéral à mille lieues de l’abstrac- tion formaliste en vigueur. Dans le même esprit, elle crée la série des Souvenirs, assemblages composites dans lesquels, jouant de la transparence du polyester, elle glisse des photographies de proches et d’amis, tels que Christian Boltanski ou le mannequin Twiggy.

À la fin de sa vie, elle entreprend l’une de ses sculptures les plus bouleversantes, Piotr (1972), un moulage direct du corps de son fils. Cette longue figure christique porte au summum son désir de laisser une trace. Plus qu’une œuvre d’adieu, c’est une œuvre de naissance. En la sculptant, elle met au monde l’enfant qu’elle a adopté après avoir appris, à son retour de déportation, sa stérilité : elle l’enfante, en somme, et devient mère pour la première fois. De nombreux documents et photographies d’archives complètent cette exposition. Ils ont été prêtés par la galerie Loevenbruck (Paris), laquelle représente, avec Hauser & Wirth, l’estate d’Alina Szapocznikow.

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« Alina Szapocznikow. Langage du corps », du 20 septembre 2025 au 4 janvier 2026, musée de Grenoble, 5, place Lavalette, 38000 Grenoble, museedegrenoble.fr

ExpositionsAlina SzapocznikowMusée de GrenobleSculpture
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