Quelle est la mission de la Gallery Climate Coalition [GCC] ? Et d’où provient
son financement ?
La GCC a été fondée en 2020 par une poignée de galeries pour aider le secteur des arts visuels à intégrer l’action climatique dans ses perspectives et lui fournir des lignes directrices en matière de durabilité environnementale. Sa naissance a coïncidé avec le moment où nombre d’institutions publiques comme la Tate Modern [Frances Morris a été directrice de l’institution londonienne de 2016 à 2023] déclaraient une urgence climatique. La GCC fut la réponse du secteur commercial. Nous sommes un organisme de bienfaisance, nous dépendons de dons. Des galeries, des fondations, principalement aux États-Unis, telle la Getty Foundation, ainsi que des foires nous apportent leur soutien. Certains artistes nous donnent très généreusement des œuvres destinées à être vendues aux enchères.
Qui sont les membres de la GCC ?
Nous comptons aujourd’hui plus de 2 000 membres dans 60 pays, soit un réseau de plus de 25 000 professionnels de l’art. Il y a des galeries, des entreprises du secteur de l’art comme des sociétés de transport ou des maisons de ventes, des musées et autres institutions à but non lucratif, des groupes chapeautant des foires, enfin, des « professionnels individuels », autrement dit des critiques, auteurs ou réalisateurs, ainsi qu’un nombre croissant d’artistes. Nous sommes, selon moi, la seule organisation internationale du monde de l’art à représenter l’ensemble de l’écosystème.
Vous avez été nommée, en avril 2025, présidente du conseil d’administration de la GCC. Quelle est votre feuille de route ?
Il s’agit de poursuivre l’objectif fixé en 2020 à l’échelle du secteur : la réduction des émissions de CO2 de 50 % d’ici à 2030. Nous avions, à l’époque, établi trois axes d’approche. D’abord, partager les connaissances : il y a, aujourd’hui encore, un énorme déficit d’informations et de compréhension, d’où la constitution d’une base de données accessible. Ensuite, bâtir une communauté : nous devons inciter nos membres à atteindre ensemble l’objectif 2030. Enfin, proposer en ligne des outils pour pouvoir y arriver. L’essentiel de notre feuille de route consiste à intensifier notre action pour passer de 2 000 à 20 000 membres, ce qui nécessite d’avoir davantage d’impact à l’international.
Où en êtes-vous, à ce jour, de cet objectif 2030 ?
Nous ne le savons pas encore exactement. Nous produirons, à l’automne, un bilan qui sera la première véritable étude de l’action climatique dans le secteur de l’art sur le plan mondial. En un sens, nous sommes très dépendants des impacts accumulés individuellement par des milliers d’institutions. Attendons de voir si ces chiffres seront en phase avec l’objectif global...
Quelles ressources proposez-vous ?
Je peux vous parler du Carbone Calculator, par exemple, un outil qui permet de mesurer l’impact carbone de chaque action. Un musée, une foire ou un artiste peuvent ainsi calculer et comparer le coût d’un mode de transport (route, rail, mer, air) et ses émissions. Tout est mesurable : transport, déplacement du personnel, hébergement, matériaux pour construire une exposition ou pour l’emballer si elle voyage, etc. Le moindre élément est encore réductible. L’idée est de proposer des options. Vous pouvez télécharger des données, effectuer vos choix et suivre vos progrès, les partager entre membres, observer comment d’autres agissent... Il y a une sorte de compétition. Chacun veut bien faire à partir du moment où il est impliqué.
Quels sont les autres outils à disposition ?
L’un des plus utiles est le Best Practice Guideline [guide des bonnes pratiques]. Il répond aux questions des institutions ; par exemple, comment concevoir une exposition à l’étranger sans se déplacer ? Les technologies numériques permettent de le faire en ligne. Vous pouvez positionner une œuvre in situ par l’intermédiaire de la plateforme Zoom. J’ai moi-même installé des expositions au Brésil ou en Grèce par ce moyen. Vous ne vous déplacez que pour le vernissage.
Une autre initiative est la Climate Conscious Travel Campaign [campagne pour des voyages respectueux du climat]. Vous pouvez réduire massivement vos émissions de CO2 si vous arrêtez de prendre l’avion. Vous allez à Bâle depuis Londres ? Prenez le train ! De même pour une œuvre : abandonnez l’avion pour le bateau et la route. Et si c’est par la route, utilisez un véhicule électrique. Les musées et les foires commencent à le comprendre. La seule contrainte est de prévoir des plannings avec des temps plus longs.
Les artistes sont-ils sensibles à la question ?
Oui. Nous avons créé pour eux un Artist Toolkit [trousse à outils pour artistes]. Comment réduire ses émissions de carbone ? Comment s’assurer que les matériaux utilisés ne finiront pas en déchets passifs ? Un artiste vivant à New York a le droit de dire au musée qui l’exposera à Paris ou à son marchand : « Je voudrais que mes œuvres voyagent par bateau, non par avion. » Il a le droit de demander que son travail soit montré dans des conditions supérieures au minimum en vigueur en termes d’humidité ou de température. C’est une manière pour eux d’utiliser leur pouvoir afin de prendre des décisions sur la façon dont ils travaillent et sur la façon dont les autres travaillent avec eux.
Vous avez mis en place en 2024 un Art Fair Co-Commitment Statement [déclaration commune d’engagement des salons d’art] et un Art Fair Toolkit for Environmental Responsibility [boîte à outils pour les salons d’art en matière de responsabilité environnementale]. De quoi s’agit-il ?
Ce sont deux outils spécifiquement destinés au secteur des foires. Celles-ci produisent énormément de déchets, d’où l’accent porté sur les matériaux et sur le recyclage. On évoque aussi, entre autres, la bascule vers les énergies renouvelables. Produire des résultats nécessite une solidarité entre les différentes foires. Il a fallu négocier très longtemps pour ratifier ce Co-Commitment Statement. Nous sommes à ce jour soutenus par environ treize organisations représentant plus de quarante foires d’art, dont Frieze et Art Basel.
En septembre 2025 à New York (avec Artists for Climate Action) et en octobre pendant Frieze London (avec 10 % Of ), vous avez collecté des fonds. De quelle manière ?
Nous sommes une organisation à but non lucratif, nous devons donc trouver nous-mêmes l’argent dont nous avons besoin. Artists for Climate Action est une collaboration avec ClientEarth, un organisme de bienfaisance international en droit de l’environnement. Des artistes donnent des œuvres, lesquelles sont vendues aux enchères. Une petite part revient à la GCC et la majorité à ClientEarth. C’est une organisation incroyable qui arrive à pointer la responsabilité de sociétés ou de gouvernements. L’autre initiative, 10%Of, a eu lieu pour la première fois pendant Frieze London. Trente galeries ont chacune identifié une œuvre, avec l’accord de l’artiste, et reversé 10 % du produit de la vente à la GCC.
Du 12 au 16 novembre 2025, en parallèle de la COP30 au Brésil, vous lancez la première London Art + Climate Week.
Nous avons choisi de mettre en lumière des expositions ou activités étonnantes, et pas forcément visibles, se déroulant au cœur de Londres, dans des institutions (galeries, musées, écoles), petites ou grandes, engagées pour l’action climatique. Nous sommes partenaires d’une vingtaine d’entre elles comme la galerie Hauser & Wirth, la Tate Modern, la Whitechapel Gallery, le Design Museum ou encore le Camberwell College of Arts. Avec l’aide de la plateforme artistique numérique gowithYamo, nous avons même créé une application pour déambuler entre les divers lieux. Par ailleurs, nous avons imaginé trois événements : un premier pour les artistes émergents, en collaboration avec le Camberwell College of Arts et la South London Gallery ; un deuxième avec la maison de ventes Christie’s – une journée d’échanges avec des experts en art et en développement durable pendant laquelle sera dévoilé notre bilan ; un troisième sous la forme d’un « rassemblement numérique », car nous sommes conscients qu’il y a un énorme intérêt à l’international.
Quels sont actuellement les principes phares pour devenir un musée « vert » ?
Vous devez mesurer ce que vous faites, décortiquer ces mesures, comprendre qu’il y a des options et... agir. Il est absolument essentiel de constituer, au sein de chaque institution, une Green Team. L’autre clé est le plaidoyer auprès du public. Un grand nombre d’institutions agissent, mais ne le disent pas. Nous savons que 85 % du public de la culture développent, chez eux, des gestes écologiques. Ils veulent que les grandes institutions fassent de même et les inspirent. Aujourd’hui, dans les toilettes de chacune des entités de la Tate, un écriteau précise qu’elles fonctionnent à l’eau de pluie. Il faut communiquer, de manière non autoritaire, être juste transparent, car c’est stimulant.
Comment mobiliser les arts pour faire face à la crise climatique ?
Le monde de l’art est très compétitif ; or, le développement durable, lui, est un domaine dans lequel on se doit de collaborer et d’évoluer de concert. Si ceci advient, alors le reste suivra. Tout est réalisable. Voir la Tate Modern évoluer a été passionnant pour moi. Mes propres collègues, puis ceux d’autres institutions sont devenus de plus en plus ambitieux et de plus en plus confiants en leurs capacités de poursuivre le mouvement. Une grande part de cette activité se fonde sur la confiance en la communauté. Nous comptons tirer parti de l’influence culturelle des arts pour provoquer un changement systémique.
