Tous ceux qui ont pu croiser Léon Herschtritt dans les couloirs de Drouot ou en descendant la rue Jacques-Callot, dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés à Paris, où se trouvait sa dernière galerie, se souviennent d’un homme discret, souriant et affable. Ils sont moins nombreux à se rappeler qu’avant d’être marchand et collectionneur de photographies pendant près de 50 ans, il avait été patron du bistrot Le Relais de Montmartre, mais aussi et surtout un photographe renommé.
Sa première vie débute juste après la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’il rencontre Jacques Prévert grâce à un ami de la famille, le peintre et photographe Émile Savitry. Il décide alors de se former au club photographique de Paris. Le fameux « 30x40 » a été fréquenté par des artistes qu’il a, par la suite, collectionnés, comme Man Ray (Rayogramme, 1923, tirage argentique de 1978-1980, est. 600-1 000 euros), Manuel Álvarez Bravo (Mexico [Deux femmes], vers 1950-1960, tirage argentique d’époque, est. 400-800 euros) ou Henri Cartier-Bresson (Grenadines, Alicante, 1933, tirage argentique d’époque, est. 10 000-15 000 euros).

Jeanloup Sieff, Alfred Hitchcock et Ina Balke pour Harper's Bazaar, sur le plateau du film "Psycho", 1962. Courtesy Millon
La guerre d’Algérie marque un tournant dans la carrière de Léon Herschtritt : il part y faire son service militaire pour apprendre la photographie aux Algériens. Il en revient deux ans plus tard avec son nouveau métier de photographe. Sa série Les gosses d’Algérie, dont la vente propose trois clichés (Les gosses d’Algérie, 1959, tirage argentique sur papier baryté réalisé vers 2010, est. 600-800 euros), est publiée par le mensuel Réalités et lui permet de recevoir, en 1960, le prix Niépce Gens d’Images, succédant ainsi à Jean-Loup Sieff. Cet artiste est d’ailleurs présent dans la vacation avec 12 clichés (Alfred Hitchcock et Ina Balke pour Harper’s Bazaar, sur le plateau du film Psycho, 1962, tirage argentique postérieur, est. 1 800-2 500 euros).
Les années algériennes font aussi de Léon Herschtritt l’un des photographes attitrés du général de Gaulle (Le président Charles de Gaulle, 9 septembre 1965, tirage argentique, est. 1 000-1 500 euros), séduit par les clichés « psychologiques » du « photographe », ainsi dénommé parce qu’il n’arrivait pas à prononcer son nom !

Henri Cartier-Bresson, Grenadines, Alicante, 1933. Courtesy Millon
À la fin de 1961, Léon Herschtritt décide de partir pour Berlin où le mur se construit en toute hâte. Il y saisit alors ce moment de bascule qui scinde physiquement l’Europe en deux. Parmi les clichés les plus célèbres de la série Noël à Berlin, figure l’image d’un couple juché sur le toit d’une voiture recouverte de neige, levant les bras pour faire signe à des proches restés de l’autre côté, en Allemagne de l’Est (grand tirage d’exposition sur papier baryté, 11/25, est. 2 000-3 000 euros).
De retour à Paris, le photographe, à la manière d’un Robert Doisneau (dont est ici à vendre Les bouchers mélomanes, 1953, tirage argentique vers 1960, est. 1 000 à 2 000 euros), déambule dans la capitale (Au café de Flore, 1960, tirage argentique sur papier baryté, 2008, estimé 1 500 euros). Il réalise aussi des portraits de célébrités (Catherine Deneuve, 1962, tirage sur papier baryté, 1/25, 2008, est. 800-1 000 euros) ou de communautés en marge (Famille de gitans, 1966, entre 800 et 1 500 euros ; Prostitution, 1965-1966, est. 400-600 euros).
Dans les années 1970, il ouvre un stand aux Puces de Saint-Ouen et contribue à la redécouverte des tout premiers photographes de l’histoire, comme Julien Vallou de Villeneuve (Nu féminin assis, vers 1855, tirage sur papier salé d’après négatif, est. 1 200-1 800 euros).
« Collection Léon Herschtritt, l’œil d’un photographe, le regard d’un collectionneur », vendredi 14 novembre, Millon, salle VV, quartier Drouot, 75009 Paris, www.millon.com
