Vous avez travaillé au musée d’Art et d’Histoire (MAH) pendant treize ans. Vous êtes arrivé sous l’ère de Jean-Yves Marin puis avez continué sous celle de Marc-Olivier Wahler. Quelle a été votre motivation à postuler au musée Ariana ?
La collection, avec son potentiel polysémique, et l’architecture incroyable du lieu sont ses premiers atouts. Le fait aussi que toute une génération d’artistes contemporains s’empare à nouveau de la céramique et du verre. Et l’histoire fascinante de Gustave Revilliod, ce Genevois fortuné qui courait le monde et en ramenait des tapis, des tableaux, des céramiques, des objets en verre... Il a fondé cette institution en 1884, lui donnant le nom de sa mère, Ariana.
Était-ce pour vous le bon moment de quitter le MAH ?
Disons que je suis parti avec le sentiment du travail accompli. En arrivant en 2019 à la direction du MAH, Marc-Olivier Wahler a été chargé du projet d’agrandissement et de rénovation du bâtiment, lequel date de 1910. Dans la mesure où je maîtrisais bien ce dossier et que j’avais auparavant œuvré à la création du musée des Confluences, à Lyon, la tâche m’a été confiée d’instruire ce projet. Je m’y suis employé pendant plus de trois ans – de l’écriture du concept muséal, lequel a connu deux versions, au concours d’architecture, en passant par toutes les expérimentations... –, et cela s’est achevé avec la désignation des architectes en mai 2025. Pour moi, la boucle était bouclée.
Le musée Ariana est consacré à la céramique et au verre. Sont-ce des domaines que vous connaissez ?
J’ai une « culture générale de conservateur » sur ce sujet, mais je suis loin d’être un spécialiste. J’ai travaillé ponctuellement sur ce genre de collections, en France notamment, mais sans les approfondir. J’arrive donc ici avec beaucoup d’humilité. J’ai rencontré il y a quelque temps des experts de la porcelaine de Langenthal, un savoir-faire bernois. J’ai pris des notes durant trois heures. C’est une chance de pouvoir toujours se retrouver dans une sorte d’apprentissage.
Comment envisagez-vous cette spécificité dans votre nouveau rôle de directeur ?
Dire que l’Ariana est seulement un musée de la céramique et du verre serait réducteur. Par nature, c’est aussi un musée des beaux-arts, du design, d’histoire, d’histoire culturelle, d’histoire des sciences... C’est un musée à spectre large, et un cas plutôt singulier. Je le vois comme une espèce de palette qui permet d’activer les objets dans tel sens ou dans tel autre. Ma formation m’amène à raconter des histoires, à poser des questions naïves pour que les objets se révèlent. La mise en récit est une discipline que j’aime et que je connais bien.

Vue extérieure du musée Ariana – musée suisse de la céramique et du verre, Genève.
Photo Rémy Gindroz
Vous êtes jeune, tout comme Claire FitzGerald, la conservatrice en chef qui a été nommée quelques mois avant votre arrivée. Partir sur un nouveau souffle, est-ce toujours une bonne chose ?
Bien sûr. Mais nous sommes conscients d’être les héritiers d’un programme qui a été porté par plusieurs générations. Nous succédons notamment à Isabelle Naef Galuba et Anne-Claire Schumacher qui ont dû réactiver ce musée lorsqu’il s’est séparé du MAH auquel il était historiquement rattaché. Elles ont mis vingt-cinq ans à recomposer une équipe, installer une identité, enrichir la collection et valoriser les artistes issus de l’évolution spectaculaire du domaine au tournant du millénaire. Elles ont abattu un travail titanesque.
Nous recevons cet héritage avec respect, mais cela ne doit pas nous empêcher de développer une nouvelle vision. D’autres messages sont aujourd’hui rendus possibles. Claire FitzGerald vient d’inaugurer sa première exposition, « Tender Buttons », une histoire des boutons du XVIIIe siècle à nos jours. C’est une proposition inédite par rapport à ce qui se faisait jusqu’alors, et qui parle aussi bien de sociologie, de mode que d’art, d’artisanat et de luxe.
Quels sont vos projets ?
Il y a des espaces à reconquérir, des choses à stabiliser et à consolider. Le hall – dans lequel le grand escalier voulu par Gustave Revilliod n’a jamais été construit – est une gigantesque zone vide qu’il faudrait nous réapproprier pour que le fantôme du fondateur vienne plus souvent nous hanter. Le verre est aussi une priorité, car il est un peu passé au second plan de la céramique. En 2026, nous présenterons ainsi une vaste exposition réalisée en collaboration avec le Cirva [Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques], à Marseille, un projet conçu et réalisé par le Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole (MAMC+). Il faudrait également mieux relier le parc, qui est splendide, au musée. Et puis il y a la dimension scientifique. L’Ariana est un vrai centre de ressources qui possède 30 000 objets, une bibliothèque ouverte au public et énormément d’archives. Mais tout cela, peu le savent.
Pourtant, 70 000 visiteurs, pour un musée spécialisé, c’est un chiffre de fréquentation tout à fait acceptable.
Oui, mais 80 % de notre public sont des touristes. Cela s’explique par le fait que nous nous trouvons dans le quartier des organisations internationales, à deux pas de l’ONU et juste en face du musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, et que certains de nos visiteurs, comme les Chinois, entretiennent une grande familiarité avec les arts du feu. L’Ariana est un musée que les Genevois connaissent mal, hormis ceux qui nous sont fidèles ou qui sont déjà amateurs d’objets en céramique ou en verre. À nous maintenant d’attirer les non-experts.
-
« Tender Buttons », du 19 septembre 2025 au 4 octobre 2026, musée Ariana – musée suisse de la céramique et du verre, avenue de la Paix, 10, 1202 Genève, musee-ariana.ch
