Écrivaine, chercheuse et théoricienne de l’art, Hélène Giannecchini a toujours lié ses mots à des images. En 2023, en pleine écriture d’Un désir démesuré d’amitié (Seuil, 2024) – une réflexion sur la puissance politique de l’amitié –, elle recherche des photographies témoignant de relations amicales entre per- sonnes queer, à rebours des représentations dominantes, souvent spectaculaires, qu’elles relèvent de la vie nocturne ou de la lutte politique. L’historienne d’art Isabelle Alfonsi lui souffle alors le nom de Donna Gottschalk. Née en 1949, cette enfant de New York qui rejoint le Gay Liberation Front en 1970 a documenté la communauté lesbienne de l’intérieur, avec un regard inédit, tourné vers les liens familiers et la quotidienneté, qu’elle capture avec tendresse. « Je cherche le moment d’intimité. Je crois que c’est ce qui révèle l’humanité des gens », affirme-t-elle lors d’une discussion avec l’écrivaine.
Une histoire queer
Hélène Giannecchini la rencontre dans sa ferme du Vermont et se dit éblouie par ce qu’elle découvre : des images qui, enfin, la racontent. « En tant que personne queer, notre histoire ne nous est pas racontée parce que, la plupart du temps, nous grandissons dans des familles hétérosexuelles. À travers ses images, Donna incarne cette autre filiation politique qui parfois m’a manqué. » LE BAL, qui expose en parallèle ce dialogue visuel et littéraire (« Nous Autres », 20 juin-16 novembre 2025, LE BAL, 6, impasse de la Défense, 75018 Paris, le-bal.fr), en interrogeant l’importance contemporaine de ce corpus, contribue à combler ces lacunes, redonner une histoire à la communauté queer et offrir aux nouvelles générations des vies auxquelles s’identifier.
Le livre et l’exposition ont été pensés comme une expérimentation photolittéraire. Pour Hélène Giannecchini, il était question « d’explorer comment la littérature peut être un outil au service de l’exposition, pour entrer dans un corpus ». Donna Gottschalk lui a confié ses photographies en lui laissant le soin et la liberté de les raconter. Très attachée à la non-fiction, à mi-chemin entre roman et essai, l’auteure prend pour fil rouge ces clichés, autour desquels elle tisse le récit biographique de la photographe, à partir du quartier qui l’a vue grandir, Alphabet City, miroir de la brutalité de New York envers les plus vulnérables. Viennent ensuite la découverte de son homosexualité et le sentiment d’appartenir à une communauté, sa famille politique, avec qui elle évoluera entre la côte est et la côte ouest avant de s’installer définitivement dans le Vermont. En mettant des mots sur ces images, Hélène Giannecchini les actualise et perpétue le récit familial, ajoutant une branche à cette généalogie, celle d’une filiation politique.
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Donna Gottschalk et Hélène Giannecchini, Nous Autres, Paris, Atelier EXB, 2025, 253 pages, 49 euros.
