Le prix Roswitha Haftmann a été décerné cette année à l’artiste, militante et poétesse chilienne Cecilia Vicuña, a annoncé le 9 octobre 2025 la Fondation Roswitha Haftmann, saluant « une œuvre qui allie, depuis des décennies, radicalité artistique, puissance poétique et engagement social ». Cecilia Vicuña devient la 23e lauréate du prix artistique le mieux doté d’Europe – 150 000 francs suisses, soit plus de 160 000 euros. Créé en 2001, le prix Roswitha Haftmann porte le nom de la défunte marchande d’art suisse et mécène Roswitha Haftmann (1924-1998), et est géré par le Kunsthaus Zürich. Parmi les précédents lauréats figurent notamment Maria Lassnig, Robert Frank, Cindy Sherman, VALIE EXPORT, Cildo Meireles, Zarina Bhimji, Robert Ryman et Walter De Maria. La cérémonie de remise du prix aura lieu le 21 novembre prochain au Kunsthaus Zürich.
Née en 1948 à Santiago du Chili, Cecilia Vicuña est l’une des artistes vivantes les plus emblématiques d’Amérique latine. Son œuvre qui embrasse peinture, poésie, installations, performances, cinéma et activisme, associe depuis les années 1960 création et action politique, accordant une attention particulière à la justice sociale, aux cultures autochtones, aux questions écologiques et au pouvoir transformateur des mots. En exil après le coup d’État militaire au Chili en 1973 qui a renversé le président Salvador Allende, elle a continué à développer systématiquement son approche : interdisciplinaire, féministe, anticolonialiste. « Son œuvre est un plaidoyer en faveur de la poésie comme mode de vie », a souligné la Fondation Roswitha Haftmann. Elle est connue dans le monde entier pour ses installations monumentales réalisées à partir de matériaux bruts – laine, fils, objets trouvés… Les fils noués de ces quipus font écho à la culture indigène du Chili et à l’ancien système de communication andin. Sa pratique artistique comprend également des precarios, objets fabriqués à partir de matériaux jetés. En outre, elle a publié plus de trente ouvrages d’art et de poésie.
L’œuvre de Cecilia Vicuña, longtemps restée sous le radar du marché de l’art, bénéficie depuis quelques années d’une reconnaissance amplement méritée. Après sa participation très remarquée à la Documenta 14 (2017) à Cassel, des expositions individuelles lui ont été consacrées à la Tate Modern de Londres, au Guggenheim Museum de New York, au Museo Nacional de Bellas Artes de Santiago du Chili et, en 2025, à l’Irish Museum of Modern Art de Dublin. En 2022, elle a reçu le Lion d’or pour l’ensemble de son œuvre à la Biennale de Venise. Ses œuvres sont conservées notamment dans les collections de la Tate de Londres, du MoMA de New York, du musée Reina Sofía à Madrid, du Guggenheim Abu Dhabi et du Museum of Fine Arts de Boston. L’artiste partage aujourd’hui son temps entre New York et Santiago.
« Je suis extrêmement heureux que nous rendions hommage à Cecilia Vicuña, une artiste dont l’œuvre dégage une grande puissance visuelle tout en abordant des thèmes d’une actualité brûlante, a déclaré Yilmaz Dziewior, membre du conseil de fondation et directeur du Museum Ludwig de Cologne. Depuis des décennies, elle s’intéresse de très près à la place de la femme dans la société, tant en Amérique latine que dans le contexte mondial. Et c’est avec la même force qu’elle attire l’attention sur l’exploitation économique et écologique de notre planète et intervient régulièrement dans les débats d’actualité. Peu d’artistes réussissent à allier tout cela durablement avec autant de rigueur et de poésie que Cecilia Vicuña. »
En 1975, à l’issue d’un séjour d’études à Londres, l’artiste a émigré en Colombie. Elle a passé plusieurs années à Bogotá, où elle a produit le film What Is Poetry to You? (1980), dans lequel elle pose cette question à des passants, des enfants, des travailleuses du sexe, des policiers, des poètes et à un professeur de biologie. Ce film, qui figure dans la collection du Kunsthaus Zürich, sera présenté du 21 novembre 2025 au 22 mars 2026 dans la salle de projection du bâtiment Chipperfield.
