La grande mécène américaine Agnes Gund est décédée à l’âge de 87 ans. Figure incontournable du monde de l’art, elle était célébrée pour son soutien indéfectible aux institutions culturelles américaines et pour avoir fait de l’art un instrument de changement social, en particulier dans le domaine de l’éducation et de la réforme de la justice pénale. Son décès a été annoncé par le New York Times, qui n’en a pas précisé la cause. Elle laisse derrière elle quatre enfants.
Née à Cleveland (Ohio) en 1938, Agnes Gund était la fille du banquier et philanthrope George Gund II et de Jessica Roesler, qui lui transmit dès l’enfance le goût de l’art et de la culture. Ses visites régulières au Cleveland Museum of Art (CMA) furent pour elle des expériences décisives, qu’elle considérait comme le socle de son engagement tout au long de sa vie.
« Agnes Gund fut une défenseure infatigable de l’art et des artistes, et une amie précieuse au cours de mes années au Getty, à la Morgan Library et au Cleveland Museum of Art, a déclaré William Griswold, directeur du CMA. Fière d’être originaire de Cleveland et administratrice du musée, elle a profondément marqué notre institution et enrichi notre collection d’art contemporain. Son héritage continuera d’inspirer les générations futures. »
Agnes Gund fit ses études secondaires à la prestigieuse Miss Porter’s School, dans le Connecticut, dont elle demeura toute sa vie une bienfaitrice. En 2019, elle coprésida une vente de Sotheby’s organisée au profit de l’établissement, où le tableau Blanco y Verde (1966-1967) de Carmen Herrera atteignit le prix record de 2,9 millions de dollars. Elle obtint en 1960 une licence d’histoire au Connecticut College for Women, puis, deux ans plus tard, un master en histoire de l’art à Harvard, au sein de la Graduate School of Arts and Sciences, en collaborant étroitement avec le Fogg Art Museum.
Son lien avec le Museum of Modern Art (MoMA) de New York s’établit dès 1976, lorsqu’elle rejoignit son conseil d’administration, amorçant une relation de près d’un demi-siècle avec l’institution. Présidente de 1991 à 2002, elle élargit considérablement les programmes éducatifs du musée, renforça son accessibilité et défendit l’acquisition d’œuvres d’artistes femmes et d’artistes de couleur, longtemps sous-représentés dans les collections.
Elle joua également un rôle clé dans la levée de fonds qui permit l’extension du MoMA, confiée à l’architecte japonais Yoshio Taniguchi et inaugurée en 2004, pour un coût de 858 millions de dollars. Devenue présidente émérite en 2005, titre qu’elle conserva jusqu’à sa mort, elle fit don au musée d’une centaine d’œuvres, notamment de Philip Guston, Eva Hesse ou Richard Serra. Elle contribua enfin au rapprochement avec le PS1 Contemporary Art Center, officialisé en 2000, qui donna naissance au MoMA PS1 dans le Queens.
« L’apport d’Aggie à nos musées est inestimable, souligne Christophe Cherix, directeur du MoMA, dans une déclaration transmise à The Art Newspaper. Dirigeante visionnaire et engagée, sa générosité et sa passion ont façonné le MoMA et le MoMA PS1 tels qu’ils existent aujourd’hui. Elle fut une défenseure acharnée des artistes et croyait fermement au pouvoir de l’art de transformer le monde. Sa chaleur, son énergie et son inébranlable sens de la justice nous manqueront profondément. Nous lui sommes tous immensément reconnaissants pour son héritage exceptionnel et pour les innombrables manières dont elle a enrichi nos vies. »
Les actions philanthropiques et culturelles d’Agnes Gund ne se limitèrent pas au MoMA. En 1977, elle créa Studio in a School afin de réintroduire l’enseignement artistique dans les écoles publiques de New York, après que des coupes budgétaires eurent supprimé ces programmes. Cette organisation à but non lucratif demeure l’un de ses projets les plus emblématiques : elle invite des artistes contemporains de renom – tels que Jeff Koons, Julie Mehretu ou Ursula von Rydingsvard – à travailler directement avec les élèves. Depuis près d’un demi-siècle, l’initiative a permis à des milliers d’enfants d’avoir accès à la création et de développer leur sensibilité artistique.
Agnes Gund fit sensation en 2017 en cédant Masterpiece (1962) de Roy Lichtenstein, dont le produit de la vente servit à créer l’Art for Justice Fund, un fonds destiné à combattre les ravages de l’incarcération de masse aux États-Unis. L’œuvre fut acquise par le collectionneur Steve Cohen pour 165 millions de dollars, et Agnes Gund investit près de 100 millions de dollars pour lancer cette initiative, conçue en partenariat avec la Ford Foundation et Rockefeller Philanthropy Advisors. Jusqu’à sa clôture en 2023, le fonds a soutenu artistes et organisations œuvrant à la réforme de la justice pénale.
En 2020, elle fut au centre du documentaire Aggie, réalisé par sa fille Catherine Gund, qui retrace son enfance, la genèse de sa collection, son rôle d’administratrice dans les musées et son engagement militant. Le film rassemble des témoignages du cinéaste John Waters, de Thelma Golden, directrice du Studio Museum in Harlem, et de l’artiste Glenn Ligon.
Deux ans plus tard, en 2022, la fondation Gund céda une nouvelle œuvre de Lichtenstein, cette fois pour soutenir des organisations défendant le droit à l’avortement et la liberté de choix.
Au fil des années, Agnes Gund a réuni une impressionnante collection d’œuvres d’Andy Warhol, Donald Judd, Ellsworth Kelly, Mark Rothko, Agnes Martin, Robert Rauschenberg et bien d’autres. Elle insistait cependant sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’un patrimoine privé : elle collectionnait avant tout dans la perspective de confier ces œuvres à des institutions publiques.
Dans un entretien accordé à The Art Newspaper, elle se souvenait de l’achat de sa première pièce majeure, une sculpture d’Henry Moore acquise en 1966. Mais cette dépense considérable lui valut, selon ses mots, de « commencer à faire des cauchemars ». C’est alors qu’elle prit la décision de donner régulièrement des œuvres à des musées, afin de transformer le sentiment de culpabilité lié à la collection en un engagement envers le public.
Tout au long de sa vie, Agnes Gund siégea aux conseils d’administration de nombreuses organisations artistiques et culturelles, dont l’Art Institute of Chicago, le National Council on the Arts et la Foundation for Art and Preservation in Embassies. Elle fut également administratrice du Cleveland Museum of Art, « life trustee » de la Morgan Library and Museum à New York, et directrice émérite du Museum of Contemporary Art Cleveland.
En 1997, le président Bill Clinton lui remit la National Medal of Arts, la plus haute distinction que le gouvernement américain puisse accorder à un artiste ou à un mécène. Elle reçut en outre plusieurs doctorats honoris causa et distinctions prestigieuses, notamment de Harvard, Columbia et Brown, saluant l’ensemble de son action philanthropique.
