Discipline récente, si l’on situe, comme il est d’usage, sa naissance à l’époque de la révolution industrielle, disposition aussi ancienne que l’humanité, si on le considère plus largement comme une démarche d’élaboration de solutions pratiques en réponse à des besoins ou des attentes générés par l’activité humaine, le design se trouve aujourd’hui dans une position décisive.
Celle-ci est indissociable du flou qui entoure une notion dont la première spécificité est de s’inscrire à l’interface de nombreux domaines que l’on a tendance à séparer, voire opposer : l’artisanat et l’industrie, l’ingénierie et le marketing, le standard et le singulier, l’économie et la poésie, le luxe et le commun, le social et l’écologie, l’objet et le service, etc. Loin d’être un problème, ce flou est au contraire le signe de la plasticité de la discipline et de sa capacité à infuser dans la vie réelle. Un jour viendra où l’on dira « design » comme on dit « poésie » ou « philosophie ».
Le design, "un art majeur"
Dans notre monde entièrement anthropisé, recouvert d’objets, d’infrastructures, de services, d’images et de réseaux, le design est partout et configure nos vies. Le problème est qu’il est largement soustrait aux designers pour être confié à d’autres acteurs – ingénieurs, marketeurs, consultants, politiques, cadres administratifs... Dans la période de surchauffe écologique, sociale et géopolitique qui est la nôtre, il est grand temps de renver- ser les choses. Outre une approche sensible et centrée sur les usages, nous sommes en droit d’attendre des designers une attention soutenue aux conditions de production et d’usure, ainsi qu’aux milieux et aux écosystèmes. C’est la raison pour laquelle leur formation doit intégrer bon nombre de savoirs exogènes : histoire de la production et des échanges, cultures matérielles, sciences des organisations et des écosystèmes, processus de décision politique et modalités de l’action publique, etc. Ce qui implique de libérer le design de la tutelle des Beaux-Arts et d’ouvrir les écoles à la polyphonie des savoirs.
« Le design, c’est un peu comme les capotes anglaises. Mais pour quel sida ? » se demandait en 1991 le philosophe et psychanalyste Félix Guattari dans ses « Aphorismes sur l’éco-design » (Multitudes, numéro 53, 2013, p. 214-216). Tel est plus que jamais le rôle du design : nous préserver de toutes les forces mortifères et nous reconnecter avec l’expérience, le sensible, le terrestre et le vivant. Comme le pressentait Félix Guattari il y a trente-cinq ans, ce domaine est devenu « un art majeur ». La perspective dans laquelle il se situait était celle de « l’écosophie », qui s’intéresse aux relations entre l’écologie, le social, le politique et le mental et cherche à agir sur celles-ci pour sortir de « l’impasse planétaire ». C’est là très exactement ce que nous pouvons attendre du design aujourd’hui.
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Paris Design Week, du 4 au 13 septembre 2025, divers lieux, Paris, maison-objet.com/paris-design-week
