Juste avant l’été, la diffusion d’un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) sur les dépenses publiques en faveur des associations a fait grand bruit dans le monde culturel.
L’un des volets de ce volumineux document (713 pages, annexes comprises) traite en effet des dispositifs relatifs aux dons des particuliers et au mécénat des entreprises. Du fait des réductions d’impôt offertes en contrepartie, ces actes de générosité représentent, selon la terminologie d’usage, une « dépense fiscale », c’est-à-dire un manque à gagner pour le budget de l’État, d’environ 4,3 milliards d’euros. On estime que 15 % environ de ce montant bénéficie aux associations, fondations et établissements publics du secteur culturel.
L’IGF propose plusieurs pistes pour réduire cette dépense, à travers des modifications des avantages fiscaux en vigueur.
Dans le monde de la culture, des voix se sont immédiatement élevées pour dénoncer l’inanité et la nocivité potentielle de ce rapport. Si je comprends ces inquiétudes, je ne pense cependant pas que le rejet en bloc de toute proposition de modification des dispositifs existants relève de la bonne stratégie. D’abord parce que dans une situation aussi dégradée pour les finances publiques, il ne fait guère de doute que le Gouvernement et le Parlement devront tôt ou tard explorer toutes les sources possibles d’économies. Le statu quo étant l’option la moins probable, il vaudrait donc mieux aborder ces échéances en ayant un sens de ce qui prioritaire et de ce qui l’est un peu moins. Ensuite, parce qu’ayant œuvré en première ligne dans la préparation de la loi Aillagon du 1er août 2003, dont les principes structurent toujours l’architecture des dispositifs fiscaux en vigueur, je pense qu’il existe aujourd’hui des marges pour faire évoluer la législation sans casser la dynamique des dons et du mécénat.
Plus précisément, j’identifie une ligne à ne pas franchir, et deux possibilités d’évolution.
Pour le mécénat des entreprises, il faut absolument maintenir le mécanisme de la réduction d’impôt, de préférence à celui de la déduction fiscale proposé par le rapport de l’IGF. Derrière ce débat technique se cache un enjeu fondamental. En effet, passer à un système de déduction du bénéfice imposable pour les sommes versées par les entreprises à des actions d’intérêt général signifierait basculer brutalement d’une réduction pour l’entreprise mécène pouvant atteindre aujourd’hui jusqu’à 60 % de l’impôt, à une réduction de seulement 25 %. Ce serait courir le risque de faire perdre au mécénat d’entreprise une grande partie de son attractivité. Ce serait de facto la mise à bas d’un des piliers de la loi Aillagon et un retour à la situation antérieure à 2003.
Il me semble en revanche possible d’envisager une simplification et un meilleur contrôle des dispositifs en vigueur, assortie de réductions mesurées de certains avantages. Une harmonisation à 60 % pour les réductions d’impôt sur le revenu (contre des taux de 75 % et 66 % actuellement) et à 50 % et 35 % pour les entreprises (contre 60 % et 40 % aujourd’hui, selon le montant des dons) permettrait d’aller dans le sens voulu de diminution de la dépense fiscale tout en préservant le caractère incitatif des dispositifs. Les études économiques montrent en effet qu’au-delà d’un certain seuil, l’élasticité des dons par rapport au taux de réduction est plus faible. Rappelons aussi que le taux de l’impôt sur les sociétés était de 33 % en 2003, lorsque la réduction d’impôt pour le mécénat avait été fixée à 60 % de l’impôt dû, alors qu’il est désormais à 25 %. Il existe donc, selon moi, un espace pour une réduction responsable et maîtrisée des avantages fiscaux offerts.
Ce débat peut aussi être l’occasion d’adapter les dispositions relatives aux trésors nationaux. Les œuvres classées comme telles permettent aujourd’hui aux entreprises qui en financent l’acquisition par les musées nationaux de bénéficier d’une réduction d’impôt de 90 % des sommes versées. Ce mécanisme exceptionnellement généreux, introduit par la loi sur les musées du 4 janvier 2002 à la suite d’un rapport que j’avais remis aux ministres de l’Économie et de la Culture de l’époque, visait à « booster » l’implication du privé dans la protection des trésors nationaux, qui était alors insuffisante. Plus de vingt ans plus tard, le dispositif est désormais bien rôdé, et il est selon moi légitime d’envisager un abaissement du taux de réduction à 80 %, voire à 75 %. Mais en négociant peut-être une contrepartie : l’ouverture du dispositif, chaque année, à une liste de monuments historiques dont la restauration exige une mobilisation exceptionnelle. Cela permettrait d’élargir la portée d’un mécanisme qui fonctionne, mais qui a jusqu’à présent surtout bénéficié aux grands musées parisiens.
En conclusion, rappelons que la loi de 2003 a vu le jour parce que, pour la première fois – et à ce jour la dernière – le ministère de la Culture (et non pas Bercy !) avait été désigné comme chef de file sur le sujet du mécénat. Cette mission figurait même dans son décret d’attribution. Il faudra à nouveau une forte mobilisation du ministère de la Culture, sur le plan politique comme au plan technique, pour que ce qui a été construit alors soit préservé et adapté, et non dénaturé.
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Guillaume Cerutti est président de Pinault Collection et président du conseil d’administration de Christie’s
