Le cadre dans lequel sont montrées des œuvres en modifie-t-il la perception par le visiteur ? Assurément. La très solide exposition consacrée à Olivier Debré à Dinard vient le rappeler. Du nid d’aigle des Roches Brunes, villa néo-Louis XIII de la fin du XIXe siècle léguée à la Ville, le regard embrasse le panorama de la côte bretonne jusqu’à Saint-Malo. Il surplombe la plage sablonneuse, l’immense étendue marine aux reflets turquoise et l’infini d’un ciel changeant. Sous la houlette de Laura Goedert, commissaire d’exposition de la Ville de Dinard, quelque soixante-dix œuvres importantes d’Olivier Debré retraçant toute sa carrière sont présentées dans ses lieux, notamment prêtées par le CCC OD (Centre de Création Contemporaine Olivier Debré) de Tours, mais aussi le plus souvent par des collections privées, donnant une rare occasion de les voir. Sans cesse, par les fenêtres généreusement ouvertes sur la mer, se tisse un jeu subtil de correspondances entre le dedans et le dehors, les couches picturales abstraites et le paysage. On dit souvent qu’il ne faut pas mettre en concurrence un tableau et une fenêtre ouverte sur la nature. Ce n’est pas vrai ici, tant l’osmose est perceptible. « Je suis comme le vent, comme la pluie, comme l’eau qui passe, je participe à la nature et la nature passe à travers moi », disait Olivier Debré.

Vue de l'exposition Olivier Debré, « Voyages en abstraction ». © Candide Caméra
L’eau imprègne d’ailleurs nombre de toiles de l’artiste, qui avait établi son atelier en Touraine et a représenté maintes fois la Loire et ses atmosphères humides, orageuses, ensemble exposé dans l’annexe de la villa Les Roches Brunes. Olivier Debré avait coutume de peindre ses toiles posées par terre sur les bancs sablonneux des bords de Loire. « Lorsque je peins par terre, il existe une adhésion physique, sensuelle, presque sexuelle », écrivait-il. Osmose toujours avec la nature, liberté d’un artiste affranchi – mais pas trop quand même – de sa famille bourgeoise, entre un père médecin illustre et un grand frère Premier ministre du général de Gaulle… Son parcours est retracé au rez-de-chaussée de la villa. Ce même niveau accueille un ensemble de sculptures en bronze des années 1960, ses Signes-personnages informels placés devant une grande fenêtre ouvrant sur les pins du jardin et la mer.
Toujours à cet étage sont regroupées des peintures remarquables des années 1950 portant le même titre, peintures « maçonnées » typiques de sa période de la seconde École de Paris. Dans ces œuvres matiéristes au couteau très architecturées apparaissent déjà une palette et des combinaisons de couleurs d’une grande subtilité. Un peu moins convaincantes sont ses œuvres inspirées par la calligraphie asiatique, nombre de ses pairs ayant puisé aux mêmes sources…

Vue de l'exposition Olivier Debré, « Voyages en abstraction ». Photo A.C.
À partir des années 1940, Olivier Debré embrasse l’abstraction comme on entre en religion, sans renoncer toutefois totalement à un zeste de figuration. Au fil de la décennie 1960, sans quitter l’abstraction lyrique, sa peinture évolue de façon impressionnante vers de grands formats (ici un peu à l’étroit) à la touche plus légère, bâtie autour d’une dominante. Entre-temps, Olivier Debré a été au contact du travail d’Américains comme Mark Rothko lors d’un voyage aux États-Unis, où il expose à New York. Dans ces faux monochromes semble sourdre, comme retenue, une myriade de nuances et de détails sensuels qui trouvent un aboutissement dans ses créations des années 1980 pour les rideaux de la Comédie-Française et d’autres scènes dans le monde – une salle est dédiée à ce travail, tandis que le CCC OD lui consacre jusqu’au 2 novembre une exposition. Olivier Debré impose, en maître de la couleur et des sensations chromatiques, sa somptueuse palette. En fin de parcours, une salle immersive, à l’étage, plonge le visiteur au sein même de sa peinture, au son des accords de piano énigmatiques et interrogatifs de la première Gnossienne d’Erik Satie. Une expérience hypnotique et presque synesthésique…
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« Olivier Debré. Voyages en abstraction », jusqu’au 2 novembre 2025, Villa Les Roches brunes, 1 allée des douaniers, 35800 Dinard.
