François Petrovitch, l’ambivalence des entre-deux
Avec des œuvres réalisées au cours de ces trente dernières années, l’exposition que le MO.CO de Montpellier consacre à Françoise Petrovitch tient d’une rétrospective. Celle-ci est cependant conçue selon une rupture chronologique volontaire. Ainsi, après les premières salles introductives, dès qu’il pénètre sur le grand plateau de l’étage, le visiteur est happé par un environnement sonore dont il ne détermine pas encore l’origine. Cette atmosphère confère immédiatement à cette exposition une ambiance particulière, comme un attrait énigmatique, à l’instar de celle qui se dégage des peintures et des personnages qui peuplent l’univers de l’artiste française. Ces individus possèdent quelque chose de familier, comme ces visages connus que l’on peine parfois à identifier ou reconnaître. Mais tous restent la plupart du temps à distance, en raison de leur regard neutre, sinon éteint. Introvertis, ils semblent refuser tout contact visuel, cultiver une solitude jusqu’à l’épuisement mental, celui du moment où le soutien d’un tiers vient les sauver de l’effondrement physique ou psychologique. Ces peintures développent une atmosphère des plus ambivalentes ; elles peuvent être traitées de façon monumentale ou faire l’objet de formats plus réduits, comme la suite des seize somptueux dessins au lavis d’encre qui forment une fresque aussi narrative qu’elliptique. Ainsi, cette dernière image, ces deux adolescents ressemblant à des jumeaux dont l’un n’est qu’une silhouette fantomatique, pilotant une barque sur une surface aquatique, tout aussi indéfinissable que son hypothétique destination.

Vue de l'exposition « Françoise Petrovitch. Sur un os », au MO.CO. Montpellier Contemporain. © Aurélien Mole
Cette atmosphère quelque peu oppressante laisse ensuite place à Papillon, l’installation évoquée plus haut : cinq projections vidéo sur des voilages en léger mouvement dans un climat feutré, sonore et lumineux, encadrées par deux grandes peintures murales. Réalisé avec Hervé Plumet, cet environnement invite à la pause et à l’introspection.
L’ambiance change au dernier niveau, à travers un agencement de sculptures en bronze ou en céramique. Y cohabitent des créatures humaines ou animales hybrides, issues d’un monde fantastique, comme rescapées d’un cataclysme. Le noir irisé y domine dans le silence qu’imposent ces figures de mutants qui se tournent presque systématiquement le dos. Leur degré d’incommunicabilité est ici poussé à son paroxysme.

Vue de l'exposition « Jean-Marie Appriou. La cinquième essence »,au MO.CO Panacée. Courtesy de l'artiste. Photo D.R.
Jean-Marie Appriou, un sculpteur alchimiste à l’ancienne École de Pharmacie
Il est encore plus question de mutants avec « La cinquième essence », cette plongée dans la production récente de Jean-Marie Appriou. La scénographie de l’exposition se calque sur l’articulation des salles de la Panacée, offrant un parcours sinueux et énigmatique avec pas moins d’une soixantaine de sculptures. Celui-ci met l’imaginaire du visiteur à l’épreuve « de longer des cavernes temporelles, croiser des figures ancestrales ou stellaires, écouter le murmure des matériaux ».
Si les cinq éléments – l’eau, la terre, l’air, le feu et l’éther – sont successivement convoqués, ils se font écho et ne cessent de se répondre, par le biais de sculptures en bronze et en aluminium partageant une similarité troublante et alchimique. Elles peuplent les salles en déroulant des ébauches de récits où l’archaïsme le dispute à la science-fiction, la mythologie à la conquête spatiale, le mysticisme aux soubresauts tectoniques. Figures humaines et animales se fondent dans la matière organique ou minérale, dans un monde en fusion d’où émergent quelques végétaux ou insectes encore identifiables. De salle en salle s’imposent des rites de passage, comme une actualisation de L’Enfer de Dante ou une relecture des douze signes du Zodiaque.

Vue de l'exposition « Jean-Marie Appriou. La cinquième essence »,au MO.CO Panacée. Courtesy de l'artiste. Photo D.R.
Étape névralgique du parcours, « l’air » prend la forme d’un bestiaire démoniaque, en la présence anachronique d’un astronaute décharné. Le casque de son scaphandre laisse percevoir son regard éteint en dépit de sa dynamique posture physique. Plus loin, « l’éther », ce monde de la transparence, évoqué par de petits bas-reliefs en pâte de verre, n’est pas pour autant celui de la sérénité, comme en témoignent les monumentales gravures qui leur font face. La transparence de l’eau révèle des pièges insoupçonnés, « l’éther » étant par définition impalpable, même si les pièces d’Appriou ont tenté de le rendre perceptible. Pari probablement gagné.
--
« Françoise Petrovitch. Sur un os », jusqu’au 2 novembre 2025, MO.CO. Montpellier Contemporain, 13 rue de la République, 34000 Montpellier.
« Jean-Marie Appriou. La cinquième essence », jusqu´au 28 septembre 2025, MO.CO Panacée, 14 rue de l’École de Pharmacie, 34000 Montpellier.
