Pour sa 13e édition, la Biennale de design est principalement répartie sur deux sites phares de l’ancienne ville d’armes : La Platine, édifice d’entrée de la Cité du design et, à une encablure, les halles Barrouin, friches industrielles réaménagées pour l’occasion. La scénographie des présentations principales, à la fois sobre et élégante, est signée du designer Joachim Jirou Najou, et l’identité visuelle, colorée et dynamique, d’un étudiant en graphisme de l’École supérieure d’art et de design de la ville, Pierre Puig.
« Face aux défis environnementaux, nous sommes confrontés à une réévaluation des méthodes de production et de consommation du monde développé, estime Laurence Salmon, directrice scientifique de cette édition et commissaire générale de l’exposition thématique « Ressource(s), présager demain ». Le designer a de la ressource : il est en capacité, par sa créativité, sa culture de projet, sa gestion des contraintes et sa démarche responsable, de dessiner des mondes nouveaux, d’envisager des améliorations ou des adaptations qui prennent en compte les exigences et les enjeux sociétaux. » La Biennale se propose de faire un état de lieux des réponses et/ou des solutions apportées par les designers, que ce soit sous la forme de prototypes ou de produits déjà édités.
Avant tout, les designers se penchent sur la matière première, à savoir les matériaux, leur permettant d’imaginer le futur de l’industrie. La laine de mouton, ressource oubliée et souvent mise au rebut faute d’infrastructures de valorisation, semble bénéficier d’un retour en grâce, par le biais de designeurs comme Leïla Bouyssou, laquelle en explore les nouvelles possibilités d’usage, notamment pour la cellule domestique, au travers des savoir faire ancestraux. D’autres, tels Marlon Bagnou Beido et Soufyane El Koraichi, proposent de l’exploiter comme système d’isolation extérieure (Wood Wall), en particulier pour les constructions rurales, à l’aide de modules qui reprennent la forme du traditionnel « coron », le sac en toile des tondeurs. Le duo FormaFantasma choisit de la mixer à du latex à injecter, en tant qu’alternative à l’emploi des mousses polymères nocives. Leur fauteuil Lina est déjà en production chez l’éditeur de mobilier transalpin Tacchini.
Le designer Wilfried Becret, quant à lui, utilise la fine de verre (déchet s’accumulant en bout de chaîne une fois les pièces réalisées, habituellement destiné à l’enfouissement) comme d’un matériau à part entière et lui offre des applications en design – une lampe – et en architecture – des parements. De son côté, le Studio Plastique élabore une collection de vases (Common Sands) en verre sans sable. Cette silice est obtenue à partir de microcomposants prélevés sur du matériel électroménager usager (micro-ondes, réfrigérateurs, balances).
Récupérer, recycler, remployer
Le remploi a assurément la cote. Le collectif Bellastock estime ainsi qu’il vaudrait mieux « découper » soigneusement les murs des barres d’immeubles vouées à la démolition, afin de les recycler (à l’exemple de leur local à vélo), plutôt que de les réduire en poudre pour en faire la sous-couche des routes. La structure Amor Immeuble récupère les jambages de marbre des cheminées haussmanniennes – l’objet ayant perdu sa fonction à l’arrivée du chauffage moderne – pour les réinjecter sous forme de corbeaux dans des assemblages de menuiserie poteaux poutres (Pièces déposées). Dans le domaine informatique, le designer Antonin Odin souhaite mettre en place un cycle vertueux de collecte d’ordinateurs portables obsolètes, dont il reconditionne les composants en vue de leur donner une seconde vie sous la forme d’un ordinateur de bureau basique tout en un, à l’esthétique limitée, mais facile à monter (ComputerKIT).
Les matières « vivantes » – bactéries, microbiotes, déjections d’insectes et champignons – sont également de la partie. Grâce au mycélium, la société italienne Mogu développe, depuis une dizaine d’années, à des fins industrielles, des revêtements de sol ou de mur, tels les panneaux acoustiques Pluma. Dans les ateliers de biodesign de Nîmes Université, la cellulose de kombucha devient une fibre qui peut être tissée, présentant, paraît-il, des caractéristiques mécaniques proches de celles du cuir. La designeuse et biologiste Marie-Sarah Adenis, cofondatrice de la firme française Pili, spécialisée dans la fabrication de pigments décarbonés, préconise un procédé hybride de fermentation industrielle engendré par des bactéries pour remplacer l’indigo toxique issu de la pétrochimie. En collaboration avec la marque de prêt-à-porter Citizen of Humanity et le fabricant de denim Orta, Pili a mis au point une veste et un pantalon en jean déjà disponible en boutique. Designeuse et chercheuse, Ori Orisun Merhav détourne une gomme laque produite par une cochenille asiatique et destinée au vernis pour la lutherie dans le but de créer, par une technique de soufflage, des objets, par exemple des lampes. Souhaïb Ghanmi dessine quant à lui une gamme originale d’interrupteurs (Elos), à base d’os animal issu de la filière d’équarrissage de l’industrie alimentaire. La matière offre, qui plus est, une excellente isolation thermique et électrique.
Il n’en reste pas moins que, dans un monde aux ressources limitées et impacté par les activités de l’Anthropocène, la gageure est de faire mieux... avec moins. Dans un esprit low tech, Guillaume Gindrat a imaginé pour son projet de diplôme (Pierre) un poêle à bois compact constitué d’un foyer et d’une enceinte locale ajourée en métal à remplir de cailloux trouvés aux abords de chez soi. Les pierres stockent la chaleur puis la diffusent, assurant une bonne inertie thermique.

Vue de l’exposition «Ressource(s), présager demain», 13e Biennale Internationale Design, halles Barrouin, Saint-Étienne, 2025. Photo Pierre Grasset/Cité du Design
Réparer, faire durer
À l’évidence, l’obsolescence programmée n’a plus lieu d’être. « Nous avons travaillé sur la notion d’économie : comment faire mieux avec moins ? explique Natacha Poutoux, une des designers du duo natacha.sacha, également commissaire associée de l’exposition « Minimum/Maximum ». Nous explorons la “démontabilité” de l’objet, c’est-à-dire la manière dont il peut être “réactualisé” en changeant uniquement l’élément défaillant et non, comme habituellement, l’ensemble du produit. Ces objets “démontables” sont conçus comme des assemblages temporaires et réversibles, destinés à être réparés, recyclés ou actualisés. » L’exemple du casque audio TMA-2 de la firme danoise AIAIAI illustre ce concept. Constitué d’une série de pièces démontables et réparables, le casque possède un diaphragme en biocellulose – matériau organique cultivé par des bactéries – réduisant la distorsion sonore.
Outre la robustesse et la résistance d’autrefois, les objets d’aujourd’hui doivent désormais afficher une autre caractéristique : la circularité. En Suisse, la firme Berninox commercialise la brosse à dents 316 dessinée par Studio150 : le corps est en acier inoxydable (matériau chirurgical davantage adapté à l’hygiène), la tête en plastique recyclé. Avantage, et non des moindres, l’objet est plus hygiénique et plus résistant. Le chausseur espagnol Camper a inventé, de son côté, la chaussure modulaire Roku, déjà en vente. Ce modèle à assembler soi-même est composé de six pièces (semelle, tige, lacets, etc.) maintenues entre elles grâce aux lacets, et qui peuvent être désassemblées sans outil pour être réparées. Une approche durable où la réparabilité, une fois n’est pas coutume, supplante la consommation.
L’idée en filigrane de cette Biennale est de trouver le juste équilibre entre excellence fonctionnelle et optimisation des ressources. Ce que prônait l’un des chantres du modernisme, l’architecte Ludwig Mies van der Rohe, avec sa célèbre formule « less is more », mais, autre époque, autres mœurs, avec la durabilité en sus !
13e Biennale Internationale Design, «Ressource(s), présager demain», 22 mai-6 juillet 2025, divers lieux, 42000 Saint-Étienne, biennale-design.com
