Picasso par ci, Picasso par là. Tous les visiteurs notaient à la preview de cette édition 2025 d’Art Basel la surabondance d’œuvres du peintre espagnol au rez-de-chaussée, sur de nombreux stands, de Pace à Hauser & Wirth (avec un Mousquetaire à la pipe de 1968 montré en 1981 au Kunstmuseum de Bâle). Le XXe siècle et ses plus grands noms font plus que jamais recette en cette période d’incertitudes géopolitiques et économiques. Chez Pace, un Rothko et un Picasso sont affichés à plus de 30 millions de dollars, et un Joan Mitchell entre 15 et 20 millions de dollars. Chez Gagosian, ce sont Twombly, Picasso et un énorme Albert Oehlen surplombant une figure agenouillée par Maurizio Cattelan, célébrissime œuvre dont la tête a cette fois été recouverte d’un sac en papier. « Nous avons eu des ventes à tous les niveaux de prix, entre 30 000 dollars et des montants à 8 chiffres, ce qui montre la profondeur du marché », assure la galerie. La Foire semble avoir bien démarré malgré le contexte. « On s’attendait à une baisse du marché depuis longtemps, elle est arrivée. Nous n’avions pas beaucoup d’attentes vu la situation mondiale mais l’ouverture s’est bien passée : nous avons facturé et vendu 11 œuvres », confie Almine Rech. Selon des transporteurs, les marchands auraient acheminé un nombre d’œuvres plus restreint qu’à l’accoutumée, afin de s’adapter à un contexte moins frénétique.

Stand de la Pace Gallery. Photo A.C.
Contrairement à Unlimited, décevant cette année, « la foire se tient. Ce que j’ai vu principalement, ce sont des œuvres assez sages, plutôt safe, beaucoup de pièces muséales par les prix et les provenances ; et peu de choses non occidentales au rez-de-chaussée », confie le conseiller et commissaire Hervé Mikaeloff. Ce dernier a entre autres noté un important Jannis Kounellis des années 1960 chez Karsten Greve ou un beau Thomas Schütte chez Konrad Fischer. « Après des années d’overdose de figuratif », note un visiteur, l’abstraction semble un peu plus présente cette année, que ce soit au rez-de-chaussée ou à l’étage. Peu d’œuvres « engagées » sont visibles sur les stands en général, à l’exception de quelques enseignes comme PPOW de New York qui montre une armada de navires suspendus par l’artiste Hew Locke, qui a bénéficié d’une commande monumentale de la Tate Britain en 2022. Une allusion subtile au colonialisme, aux pillages et aux migrations à travers les océans et l’Histoire, les bateaux étant affichés à partir de 17 000 dollars. Un musée est intéressé par le tout. Au mur, derrière, ne ratez pas les petites peintures féministes, coquines et pleines d’humour de Dotty Attie, à 50 000 dollars les 29 panneaux.

Stand de la galerie Gagosian. Photo A.C.
Si certains collectionneurs français n’ont pas fait le déplacement de France, préférant attendre Art Basel Paris en octobre, les visiteurs ont semblé plus nombreux que l’an dernier. Les musées américains ont répondu présents et les collectionneurs Américains, beaucoup moins et souvent représentés par des advisors. Les Asiatiques du Sud-Est, notamment Coréens, étaient quant à eux un peu plus visibles dans les allées, souvent venus en groupes. Le contraste entre le rez-de-chaussée pris d’assaut malgré ses prix très élevés et le premier étage davantage contemporain et plus calme était criant, une situation qui reste défavorable aux exposants de ce dernier niveau.

Installation vidéo et florale de Naraphat Sakarthornsap, galerie Subhashok Art Center, Basel Socical Club. Photo D.R.
D’autant que la situation des jeunes et moyennes galeries n’est pas florissante en ce moment : d’après nos informations, un nombre non négligeable d’entre elles ont décliné leur participation à Art Basel cette année, et ont été remplacées par des enseignes mises en attente… Pour les jeunes galeries et les talents émergents venus de loin, participer aux grandes foires représente un effort financier parfois dissuasif. Certains ont jeté leur dévolu sur le Salon Basel Social Club près du Kunstmuseum, très bonne alternative à Liste et qui propose un foisonnement d’œuvres à découvrir au gré des salles et des couloirs. Telle, au rez-de-chaussée, une installation vidéo en duplex de l’artiste thaïlandais Naraphat Sakarthornsap entourée de végétaux. Avec 200 francs suisses, son budget comparatif, celui-ci n’a pu acheter que 17 fleurs, contre dix fois plus en Thaïlande, pour réaliser son installation. Présentée par la SAC (Subhashok Art Center, Bangkok), l’œuvre pointe avec humour et poésie la différence de coût de la vie et de la création entre l’Asie et l’Occident, frein pour y exposer… D’autres enseignes ont préféré des solutions moins onéreuses qu’un stand et faire maison à part, à l’instar de CLEARING qui réunit jusqu’au 21 juin dans une villa bâloise proche de la Messeplatz une pléiade d’œuvres, de Jean-Marie Appriou à Robert Zehnder.
Les acheteurs d’Art Basel, eux, ne manquent pas de moyens. Selon une étude publiée ce printemps par Capgemini, le nombre de personnes dont la fortune hors résidence principale dépasse le million de dollars, a augmenté sur un an de 2,6 %, à 23,4 millions de personnes en 2024, celles disposant de 30 millions de dollars et plus ayant bondi de 6,2 % sur un an. L’affluence globale est-elle due au marketing d’Art Basel, à l’arrivée de nouveaux acheteurs sur le marché ? Ou a un effet d’aubaine auprès de collectionneurs refroidis ces dernières années par les prix parfois délirants et la ruée vers les jeunes artistes ? « Les prix sont plutôt raisonnables, avec plus de temps, moins de pression. C’est le moment d’acheter ! », observe Hervé Mikaeloff.

Stand de la galerie Templon. © Sebastiano Pellion di Persano
Certains ne s’y sont pas trompés et ont craqué pour une sculpture de Ruth Asawa à 9,5 millions de dollars chez Zwirner (qui a cédé 68 œuvres au total !) ou une peinture de Miriam Cahn à 300 000 euros chez Jocelyn Wolff. Sur le stand de la galerie Perrotin, les artistes Mr., Genesis Belanger et Izumi Kato ont fait sold out, à des prix allant jusqu’à 250 000 dollars, l’enseigne se délestant entre autres d’une œuvre de Takashi Murakami à 550 000 dollars. Sur le stand de la galerie Templon, dès l’ouverture, le 17 juin, ils ont craqué pour une œuvre de François Rouan de 1972, un Anthony Caro à 200 000 euros et plusieurs dessins de Chiharu Shiota. Soit au total 7 œuvres en une heure ! La galerie, qui montre des œuvres importantes d’Omar Ba ou un portrait par Kehinde Wiley à un demi-million de dollars, a vu passer des Indiens, des Turcs, des Suisses, des Américains… « C’est un bon signe pour la suite quand la foire démarre comme ça, et ça montre que l’impact de la Foire de Bâle est intact pour vendre à des prix élevés », note Daniel Templon. Dans l’ensemble plus centrés sur des œuvres à quelques centaines de milliers d’euros, avec davantage de négociations, les achats importants se poursuivaient toutefois aussi au dernier étage dans les showrooms privés d’une partie des exposants, plus que jamais attractifs dans cette période où vendre en toute discrétion présente bien des avantages…
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Art Basel, jusqu’au 22 juin 2025, Messeplatz, Bâle, Suisse.