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Critique

À Venise, l'« écho-système » de Tatiana Trouvé

Dans la Sérénissime, l’artiste dévoile de nouvelles pièces qui revisitent son répertoire singulier. Une constellation en mouvement dans ce qui constitue sa plus importante exposition en Italie.

Stéphane Renault
5 juin 2025
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Tatiana Trouvé, Hors-sol, 2025 (collection de l’artiste), dans l’exposition « La Vie étrange des choses », Palazzo Grassi, Venise, 2025. © Tatiana Trouvé, par SIAE 2025. Courtesy de la Pinault Collection. Photo Marco Cappelletti et Giuseppe Miotto/Marco Cappelletti Studio

Tatiana Trouvé, Hors-sol, 2025 (collection de l’artiste), dans l’exposition « La Vie étrange des choses », Palazzo Grassi, Venise, 2025. © Tatiana Trouvé, par SIAE 2025. Courtesy de la Pinault Collection. Photo Marco Cappelletti et Giuseppe Miotto/Marco Cappelletti Studio

Dès l’atrium du Palazzo Grassi, le ton est donné. D’emblée, l’alchimiste de la sculpture transforme le plomb en or. L’installation Hors-sol (2025) occupe la totalité de l’espace entouré d’une colonnade, au pied du vaste escalier du palais vénitien. Pour gravir ce dernier et accéder à l’exposition, il faut marcher sur l’asphalte incrusté de bandes pour passages piétons, de plaques d’égout, et d’autres en pierre et en métal destinées à l’aménagement de travaux sur la chaussée. Parvenus au balcon du premier étage nous apparaît une véritable constellation, une cartographie ; le cosmos.

Il s’ensuit, au fil des salles, une démonstration magistrale de ce qui relève de l’évidence pour qui s’intéresse de longue date au travail de Tatiana Trouvé : son talent singulier pour faire émerger des univers poétiques, créer des mondes imaginaires, des formes puissantes à partir d’objets simples du quotidien, en les assemblant, les détournant, les transformant dans une osmose tantôt surréaliste, tantôt architecturale. En ce sens, ses compositions et son travail avec l’espace, sur papier comme dans ses sculptures, ainsi que la manière dont elle s’est emparée du Palazzo Grassi en transgressant les volumes historiques du bâtiment – sol de chanvre, voiles sur les fenêtres et les murs, illusions d’optique et jeux de miroirs, portes de verre, trappes ouvertes à travers des murs – devraient réjouir les visiteurs de la 19e Biennale d’architecture de Venise (10 mai-23 septembre 2025), avec laquelle l’exposition coïncide fort à propos.

Tatiana Trouvé​, L’appuntamento, 2025 (collection de l’artiste), dans l’exposition « La Vie étrange des choses », Palazzo Grassi, Venise, 2025. © Tatiana Trouvé, par SIAE 2025. Courtesy de la Pinault Collection. Photo Marco Cappelletti et Giuseppe Miotto/Marco Cappelletti Studio

MODUS OPERANDI

Qu’il s’agisse de nouvelles productions de sa célèbre série The Guardians ou d’une sélection de dessins de grand format tirés de celle intitulée Les Dessouvenus, l’œil est en terrain connu. Pour autant, l’ensemble réserve moult surprises, à l’image des soixante-dix œuvres sur papier exposées pour la première fois. Les dessins piranésiens de cette fille d’architecte saisissent avec maestria l’espace en trois dimensions et l’emplissent d’une aura mystérieuse.

Pour cette présentation de l’œuvre de l’artiste franco-italienne, qui a caractère de rétrospective, la plus importante à ce jour en Italie – sa terre natale –, pas moins de vingt pièces proviennent de la Pinault Collection. « L’œuvre de Tatiana Trouvé me fascine depuis la première visite que j’ai faite de son atelier, à Pantin, en 2010, écrit François Pinault dans l’introduction au catalogue. J’ai alors pu découvrir ses dessins d’une immense poésie et ses sculptures si singulières. J’ai aussitôt été touché par la personnalité sensible de l’artiste. J’ai aimé sa liberté et compris qu’elle avait des choses fortes à dire. C’est ce qu’elle démontre, avec beaucoup d’ambition, dans l’exposition “The Strange Life of Things”. »

Tatiana Trouvé​, Studies, 2012-2023 (collection de l’artiste), dans l’exposition « La Vie étrange des choses », Palazzo Grassi, Venise, 2025. © Tatiana Trouvé, par SIAE 2025. Courtesy de la Pinault Collection. Photo Marco Cappelletti et Giuseppe Miotto/Marco Cappelletti Studio

« Je ramasse sans arrêt des choses qui m’intéressent, confiait Tatiana Trouvé lors de l’ouverture. Ce sont des objets que j’ai soit trouvés, soit chinés, ou qui, à un certain moment, ont arrêté mon regard. Ensuite, je les reproduis en bronze, en pierre. Parfois, cela devient des colliers, parfois autre chose, ou rien. Ces objets sont la plupart du temps amenés à disparaître dans le temps. J’ai voulu, d’une certaine façon, les fossiliser pour les garder pérennes. Ils naviguent dans ma pratique, dans mes sculptures. Lorsque je voyage et que je trouve certains objets, je les moule et j’en fais huit exemplaires. Plus tard, on les retrouve dans un collier, dans un Gardien ou autre chose. C’est une constellation sans cesse en mouvement. »

Cette dynamique, ce modus operandi sont mis en scène à la manière d’un cabinet de curiosités dans une salle où l’artiste collectionneuse et glaneuse aligne des successions de sculptures d’objets dans un minutieux inventaire. De la même façon, un accrochage d’une série de colliers évoque autant de gris-gris composés de petits objets récupérés ici et là, tous associés à une histoire. « J’ai développé avec le temps une pratique de la collecte d’objets, de rebuts et de fragments de choses qui portent des traces du temps liées à des accidents, des altérations ou des usages témoignant de leurs modes d’existence, explique l’artiste dans un entretien avec Caroline Bourgeois et James Lingwood, commissaires de l’exposition, dans le catalogue. J’ai constitué une sorte d’atlas de ces objets que je réalise en différents matériaux – en bronze, en métal, en pierre, en ciment, en plâtre ou en mousse – et avec lesquels je navigue depuis des années. Ces objets peuvent changer d’identité dès lors qu’ils sont reproduits dans des matériaux qui les transforment et leur permettent de rejoindre l’écosystème de mon travail, d’alimenter de nouvelles narrations où ils s’ajustent les uns aux autres. On les retrouve dans des sculptures ou des installations, mais ils peuvent aussi rester sur les étagères de mon atelier pendant des années jusqu’à leur appartenir. Comme si les choses avaient une sorte de vie propre. »

DE LA COHÉRENCE DANS LA « DÉSORIENTATION »

Fidèle à ses débuts dans son approche formelle, Tatiana Trouvé construit une œuvre d’une indéniable cohérence, tout en sachant – ce dont elle fait la preuve ici – se renouveler. « Je revisite sans cesse mon œuvre. C’est ce que j’appelle la “désorientation”. Quand on sait où on veut aller, on voit les choses différemment. C’est en regardant les choses avec d’autres yeux que je me sens poussée à modifier les pièces que j’ai déjà réalisées. Mes idées se traduisent en créant. Je doute énormément. Lorsque je vois les choses d’une façon différente, je peux les transformer. »

Pour ce faire, elle puise dans cette accumulation d’éléments qui font partie intégrante de son vocabulaire, un « répertoire » utilisé pour créer un univers sans figure humaine où, cependant, partout transparaît l’humain. La présence humaine s’invite dans ses œuvres, sous forme de traces, à l’instar de ce briquet discrètement laissé sous un banc. Les références y sont aussi nombreuses. « Lorsque je place des livres dans mes œuvres, comme les Gardiens, c’est une manière d’inviter d’autres voix dans mon exposition, dans mon travail, dit-elle. Ce sont des livres que j’ai lus, mais également, pour certains, qui sont dans ma liste d’ouvrages à lire ! Ce sont aussi d’autres façons de penser le monde. Si l’on part du principe qu’un gardien veille sur le monde, c’est une manière de faire entrer d’autres artistes et écrivains qui m’ont inspirée dans ma pratique. Je suis la somme de ma propre expérience, des lieux où j’ai vécu, de mes rencontres et de tous ces apports. Je me découvre moi-même avec le temps. »

Quel regard porte la plasticienne, née en 1968, sur l’évolution de son œuvre ? « Chaque nouvelle installation est une porte qui s’ouvre. Je ne regarde jamais mon travail de façon évolutive, je navigue sans arrêt, je circule, en passant de l’abstrait au figuratif. Pour moi, ça n’est pas séparé, c’est la même façon de faire. Mon travail est reconnaissable et s’inscrit dans un espace. Chaque exposition, quel que soit l’espace, est toujours un peu un prolongement de mon atelier. Dans un autre espace, cela serait certainement différent, car j’ai fini certaines pièces sur place, mais la manière dont je travaille reste la même. » L’artiste cite Gilles Deleuze : « Ce sont les organismes qui meurent, pas la vie. » (in « Sur la philosophie », dans Pourparlers, Paris, Les Éditions de Minuit, 1990, page 196)

Avant de poursuivre : « Toute mon exposition est liée à cette dynamique, à cette régénération, à des déplacements et des transformations qui permettent à ce qui apparaît de réapparaître ailleurs, autrement, dans un cycle qui s’apparente au vivant. [...] La circulation entre les éléments qui composent mon travail est très dense. Les choses que je réalise sont toutes reliées les unes aux autres à différents degrés. Je n’établis pas de séparation entre mes sculptures et mes dessins, et j’ai toujours veillé à ce que les unes puissent échanger leurs qualités avec les autres. Les sculptures peuvent dessiner les espaces où elles prennent place, et les dessins peuvent sculpter les espaces au sein desquels ils s’exposent. Mais des éléments peuvent aussi circuler entre les unes et les autres : des matériaux, des formes... L’ensemble qu’ils forment constitue une sorte d’écosystème. J’ai inventé le terme d’“écho-système” pour le décrire, car mes sculptures, mes installations et mes dessins sont toujours pris dans des échos, des relations en échos. »

Selon ses propres dires, Espèces d’espaces (1974) de Georges Perec est un livre qui l’a marquée, étudiante. Le titre de son exposition vénitienne, où se mêle matériel et conceptuel, entrecroise, du même écrivain, La Vie mode d’emploi (1978) et Les Choses (1965). Étrange ? Plutôt bien Trouvé...

« Tatiana Trouvé. La Vie étrange des choses/The Strange Life of Things », 6 avril 2025-4 janvier 2026, Palazzo Grassi, Campo San Samuele 3231, Venise, Italie.

Catalogue : Caroline Bourgeois et James Lingwood (dir.), Tatiana Trouvé. The Strange Life of Things, 2025, Venise, Marsilio Arte.

ExpositionsTatiana TrouvéPinault CollectionFrançois PinaultPunta della Dogana - Palazzo GrassiVeniseArt Contemporain
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