Quelques heures avant le coup d’envoi des ventes de printemps de Christie’s à New York, l’annonce d’une détente temporaire entre la Chine et les États-Unis — qui prévoit une réduction des droits de douane entre les deux pays pour les 90 prochains jours — est tombée. « J’ai ressenti un certain soulagement », a déclaré Bonnie Brennan, nouvelle directrice générale de Christie’s, à propos de cette dernière évolution du contexte politique et économique mondial.
Sans surprise, dans un climat aussi incertain, Christie’s a choisi de limiter les risques pour elle-même et ses consignateurs en renforçant le double programme de ventes présenté hier soir par d’importantes garanties de tiers, couvrant plus de la moitié des lots proposés.
La soirée a commencé par la vente de 38 œuvres de la collection du fondateur de la chaîne américaine de librairies Barnes & Noble, Leonard Riggio, et de son épouse Louise, suivie d’une vente dédiée au XXe siècle, avec 37 lots, dont une dizaine provenait de la collection de feue Anne Bass.

Lucio Fontana, Concetto spaziale, In piazza San Marco di notte con Teresita, vendu 7,5 millions de dollars avec les frais. Courtesy Christie's
En apparence, les résultats se sont révélés solides, les deux ventes s’inscrivant dans les fourchettes d’estimation — lesquelles sont indiquées hors frais acheteur. Toutefois, une fois ces frais pris en compte, les ventes restent légèrement en deçà des attentes. La collection Riggio a totalisé 272 millions de dollars frais inclus, contre une estimation comprise entre 252 et 326 millions de dollars. Quant à la vente du soir consacrée au XXe siècle, elle a atteint 216 millions de dollars avec les frais, pour une estimation de 194 à 260 millions. Au total, Christie’s a engrangé 489 millions de dollars (soit 438,35 millions d’euros).
Ces offres irrévocables — proposées cette saison, selon plusieurs experts, avec une flexibilité accrue et dans le cadre d’accords groupés — ont permis d’atteindre un taux de vente élevé de 94 %, avec une seule œuvre invendue et trois retirées.

Piet Mondrian, Composition with Large Red Plane, Bluish Gray, Yellow, Black and Blue, 1922. Courtesy Christie's
La tension qui règne parmi ceux qui avaient consigné des œuvres de grande valeur était perceptible lors du retrait de dernière minute de la Big Electric Chair (1967-68) d’Andy Warhol, dont l’estimation « sur demande » s’élevait à environ 30 millions de dollars. Le conseiller Philip Hoffman explique à The Art Newspaper que l’offre proposée en coulisses était « inférieure d’environ 10 millions de dollars à ce que le consignateur aurait accepté », ce qui témoigne d’un « écart considérable entre les exigences des vendeurs et ce que les acheteurs sont actuellement prêts à payer ».

Dorothea Tanning, Endgame, 1944, vendu 2,3 millions de dollars. Courtesy Christie's
Christie’s s’est battue pour obtenir la collection Riggio, le plus précieux ensemble privé mis sur le marché au cours des douze derniers mois, et a manifestement proposé des estimations élevées pour convaincre les vendeurs. Ce positionnement ambitieux semble toutefois avoir freiné l’intérêt, l’énergie peinant à se faire sentir dans la salle lors de la première vente. Celle-ci était conduite par Adrien Meyer, coprésident de Christie’s pour l’art impressionniste et moderne, dont le charme teinté d’humour n’a pas suffi à stimuler autre chose que des enchères souvent superficielles durant la majeure partie de la soirée.
Tous les regards étaient tournés vers la Composition avec grand plan rouge, gris bleuté, jaune, noir et bleu de Mondrian, peinte à Paris en 1922, au début de sa période De Stijl. On espérait que l’œuvre, estimée à environ 50 millions de dollars, battrait le record de 51 millions de dollars atteint par l’artiste en novembre 2022 chez Sotheby’s New York. Elle a été adjugée 41 millions de dollars (47,6 millions de dollars les frais, soit 42,6 millions d’euros) à un enchérisseur au téléphone avec Alex Rotter.
Un autre lot très attendu, mais qui n’a pas déclenché d’envolée spectaculaire, était une peinture de la très convoitée série L’Empire des Lumières de Magritte. Elle a été adjugée 30 millions de dollars (34,9 millions avec les frais, soit 31,26 millions d’euros), exactement au même prix que lors de sa vente chez Christie’s en 2023.
Un sursaut d’énergie s’est produit au milieu de la deuxième vente, où les Peupliers au bord de l’Epte, crépuscule (1891) de Monet ont suscité la seule véritable bataille d’enchères de la soirée, au cours de laquelle trois spécialistes se sont affrontés pendant près de cinq minutes. L’œuvre a finalement été adjugée 37 millions de dollars (42,9 millions de dollars avec les frais, 38,4 millions d’euros), ce qui correspond à son estimation de 30 à 50 millions de dollars. Cette énergie s’est maintenue lorsque, quelques lots plus tard, deux femmes surréalistes, Dorothea Tanning et Remedios Varo, ont consécutivement battu leurs records aux enchères. Le tableau Endgame de Tanning, datant de 1944, a été adjugé pour 2,3 millions de dollars, tandis que Revelación (également intitulé El relojero) de Varo, datant de 1955, a été vendu pour 6,2 millions de dollars (avec les frais dans les deux cas).
Avec ces résultats, Christie’s est convaincue d’avoir largement satisfait ses clients. « Nous avons débloqué l’offre et apporté de bons résultats à nos consignateurs », déclare Alex Rotter, qui a été nommé président mondial de Christie’s ce mois-ci. Mais cela n’a probablement pas réussi à donner confiance à un marché agité. « C’est un résultat solide, mais bien sûr, nous aurions aimé voir plus d’enchères », ajoute Bonnie.
Après la vente, Philip Hoffman a souligné que « le problème, c’est que les attentes étaient sans doute un peu exagérées. Les marchands présents dans la salle espéraient davantage d’animation. Ils pensaient qu’avec la reprise des marchés boursiers, la situation s’éclaircirait — et que plus d’argent serait mis en jeu. »