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Critique

Luc Delahaye : le XXIe siècle au scalpel

Pour sa première grande monographie parisienne depuis 2005, le photoreporter déploie ses tableaux photographiques au Jeu de Paume, à Paris, livrant un regard acéré sur les événements qui ont marqué le premier quart de ce siècle.

Zoé Isle de Beauchaine
27 novembre 2025
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Luc Delahaye, Taxi, 2016, impression chromogénique. © Luc Delahaye

Luc Delahaye, Taxi, 2016, impression chromogénique. © Luc Delahaye

Né à Tours en 1962, ancien reporter pour l’agence Magnum et le magazine Newsweek, lauréat des plus grands prix du photojournalisme, Luc Delahaye décide, au début des années 2000, de rompre avec la presse pour s’orienter vers une approche plus formelle de l’image d’actualité. Depuis, en vingt-cinq ans, il n’a réalisé que soixante-quatorze œuvres. Une parcimonie qui dit la rigueur de son regard et la lenteur assumée d’une production photographique méticuleusement pensée.

Ce corpus est réuni pour la première fois au Jeu de Paume, à Paris, dans une exposition à l’image du photographe, où rien n’est laissé au hasard, comme le souligne son directeur Quentin Bajac : « Luc Delahaye est, je crois, le premier artiste avec lequel je travaille qui a construit sa propre maquette du Jeu de Paume, dans laquelle il a scrupuleusement testé de nombreux accrochages. »

Un ancrage documentaire

Intitulée « Le Bruit du monde », l’exposition s’ouvre sur l’Afghanistan, en 2001. C’est un tournant dans la carrière de Luc Delahaye, moment où il quitte la presse afin d’explorer de nouvelles formes, moins illustratives. Il adopte un appareil panoramique, dont la précision lui permet des impressions grand format, révélant une scène dans ses moindres détails tout en offrant une mise à distance du réel. Il alterne alors entre des prises de vue réalisées sur le vif, dans des conditions qui restent proches de celles du photoreportage, et des moments de concertation ou de discours : un conseil de sécurité des Nations unies, la déclaration du président américain George Bush sur l’Alliance transatlantique à Bruxelles en février 2005, un enterrement au Rwanda de quatre victimes tutsies du génocide de 1994, le procès de l’ancien président de la République fédérale de Yougoslavie, Slobodan Milošević, en 2002, ou une messe au Vatican après un consistoire...

Ces œuvres répondent au « bruit du monde » par un cri silencieux, ouaté, qui s’exprime notamment dans les couleurs sourdes choisies par le photographe. En mettant l’actualité en suspens, elles interpellent notre responsabilité en tant qu’observateur et nous incitent à ralentir, pour devenir lecteur autant que spectateur.

Bientôt, le panoramique ne suffit plus à retranscrire la complexité d’une situation. Luc Delahaye recourt aux outils numériques pour pousser la narration visuelle à son paroxysme. En 2004, lors d’un congrès au siège de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, à Vienne, en Autriche, aucune de ses photographies ne réussit à traduire le tumulte qu’il y a ressenti. Ce sont finalement dix-neuf clichés, réunis en une seule image, qui permettront d’atteindre l’authenticité recherchée. Car, bien qu’elles jouent avec le réel, ces images recomposées ont un ancrage documentaire : « Mes photographies “construites” reposent toujours sur le reportage. Elles sont constituées de fragments de réel, de moments d’expérience, qui ont pour moi la valeur de documents photographiques. » Dans ce qu’il appelle ses « tableaux photographiques », son art de manier le symbole et le détail est digne des grands maîtres de la peinture historique.

Dès lors, Luc Delahaye continue d’explorer les possibles de l’image, usant, par exemple, de la mise en scène pour témoigner, avec une certaine poésie, du quotidien des Palestiniens en Cisjordanie. Il va jusqu’à hybrider deux œuvres, deux allégories de la violence : celle du système capitaliste, lorsqu’il photographie la bourse des métaux de Londres, et celle de la guerre, lorsqu’il montre un groupe de soldats traversant les rues d’Alep, en Syrie, dans une marche proche d’un pas de danse. Il extrait de la première le visage d’un trader, qu’il utilise pour remplacer celui d’un des soldats syriens – le geste est discutable et discuté, mais l’œuvre de Luc Delahaye dépasse le débat sur la prétendue vérité photographique, c’est de la subjectivité d’un auteur dont il est ici question. Et quand, en 2010, le reporter se rend à Haïti, dans les Antilles, après le tremblement de terre, il revient à des images brutes, sans composition ni retouches, des « images cadrées », ainsi qu’il les décrit.

Luc Delahaye, Traiding Floor, 2012, impression chromogénique.

© Luc Delahaye

La nécessité de témoigner

Luc Delahaye explore cette question du cadrage et de son influence sur le réel à travers la sérialité, avec des visages d’Ukrainiens fuyant l’armée russe à Irpin ou avec un polyptyque qui n’est pas sans évoquer le carnet de croquis : dans Les Témoins (2016), il relate l’assassinat de jeunes Palestiniens en s’attardant sur les mains qui réalisent leur toilette mortuaire. Le photographe varie les stratégies formelles avec la plus grande liberté, lesquelles répondent toutes cependant à une même ambition, celle d’atteindre l’« image juste », représentative de la complexité d’un événement et de son propre ressenti.

Clé de voûte de l’exposition, l’installation immersive What’s Going On ?(2025) ouvre une nouvelle perspective, dans laquelle le réel échappe à la subjectivité de l’auteur. Entre 2006 et 2012, Luc Delahaye a collecté des centaines d’images dans les journaux, composant autant une « archive de l’histoire immédiate » qu’un hommage à ses inspirations : la photographie de presse, qui est toujours le point de départ de ses projets, mais également l’histoire de l’art, le cinéma... Présenté pour la première fois au Jeu de Paume, ce dédale visuel fait aussi écho au flux vertigineux d’images qui nous est imposé quotidiennement.

Dans la vidéo Rapport Syrie (2025), il poursuit cette idée d’archive contemporaine à travers le registre de l’insoutenable. Pendant les premiers mois de la guerre en Syrie, le photographe a compilé des vidéos postées en ligne par les civils, rendant compte des exactions commises par les troupes syriennes. À leur sujet, il précise : « Leur force ne venait pas de ce qu’elles étaient cruelles, mais de leur évidence : elles ne procédaient que de la seule nécessité de témoigner et de ce que cette nécessité contenait d’impuissance, quand il ne reste plus rien d’autre à faire que cela, des images. »

L’image comme arme ultime, la nécessité de témoigner : c’est à cette essence que nous ramène l’œuvre de Luc Delahaye. À l’heure où les images d’actualité générées par l’intelligence artificielle se multiplient et brouillent la frontière du réel, son travail d’orfèvre photographique réaffirme la valeur de la subjectivité humaine et la puissance de la photographie comme manière d’habiter le monde en le regardant.

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« Luc Delahaye. Le Bruit du monde », du 10 octobre 2025 au 4 janvier 2026, Jeu de Paume, 1, place de la Concorde, jardin des Tuileries, 75001 Paris

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