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Critique

Retour en grâce de Georges de La Tour

La rétrospective dédiée au peintre lorrain au musée Jacquemart-André, à Paris, réunit quelque trente chefs-d’œuvre du maître français du clair-obscur.

Amandine Rabier
28 octobre 2025
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Georges de La Tour, Le Nouveau-Né, vers 1645, huile sur toile, musée des Beaux-Arts de Rennes. © Rennes, musée des Beaux-Arts

Georges de La Tour, Le Nouveau-Né, vers 1645, huile sur toile, musée des Beaux-Arts de Rennes. © Rennes, musée des Beaux-Arts

L’histoire de l’art tarde parfois à accorder la place qu’ils méritent aux artistes. Georges de La Tour en est un exemple frappant. Célèbre de son vivant, le maître lorrain sombre dans l’oubli à sa mort en 1652... durant près de trois siècles ! Qu’est-ce qui a rendu possible le retour en grâce d’un peintre si longtemps délaissé, mais qui fait aujourd’hui l’unanimité ?

Plusieurs facteurs entrent en jeu. Il faut d’abord qu’un regard neuf et affûté – souvent guidé par un heureux hasard – se penche sur le cas d’une œuvre mal identifiée. Il faut ensuite que cette rencontre se fasse à un moment propice, en résonance avec les attentes d’une époque capable d’en saisir la portée. Le succès d’une telle alchimie demeure mystérieux. Pour Georges de La Tour, comme pour Caravage ou Vermeer, la redécouverte a bien eu lieu. Celle du peintre lorrain, digne d’un roman à suspense, s’est faite en plusieurs étapes.

Une redécouverte progressive

Au XIXe siècle, dom Augustin Calmet, moine bénédictin et historien lorrain, rassemble les premiers indices sur la vie du peintre, avec toutefois quelques approximations. Il passe le relais à un compatriote, Alexandre Joly, architecte du château de Lunéville, en lui signalant l’existence d’archives prometteuses. Ce n’est qu’en 1915 que l’historien d’art allemand Hermann Voss pose un regard décisif sur l’œuvre de Georges de La Tour. À partir de rapprochements visuels, il identifie une unité de style entre Le Reniement de saint Pierre (daté de 1650 et signé ; musée d’Arts de Nantes), L’Ange apparaissant à saint Joseph (de la même collection) et Le Nouveau-Né (alors attribué aux frères Le Nain ; musée des Beaux-Arts de Rennes).

Cette intuition fondatrice ouvre la voie à des recherches qui progressent au fil du temps. Elles culminent à Paris avec deux monographies, l’une en 1972 au musée de l’Orangerie, organisée par Jacques Thuillier et Pierre Rosenberg, l’autre en 1997 au Grand Palais, dirigée par Pierre Rosenberg et Jean-Pierre Cuzin. La présente exposition conçue par Gail Feigenbaum pour le musée Jacquemart-André s’inscrit dans le prolongement de ce patient travail de redécouverte.

Malgré toutes ces contributions, notre connaissance de Georges de La Tour demeure fragmentaire. Né dans le duché de Lorraine en 1593, à Vic-sur-Seille, une ville prospère située près de Nancy, il est le fils d’un propriétaire terrien. En 1621, il s’installe à Lunéville (actuelle Meurthe-et-Moselle), où il passera toute sa carrière. Il fut père de dix enfants, mais seuls trois arrivèrent à l’âge adulte. En plus de son activité de peintre, Georges de La Tour gère les terres familiales à la mort de son père. Ses récoltes jouent un rôle important dans l’approvisionnement des armées pendant la guerre de Trente Ans qui déchire la Lorraine dans les années 1630. En 1636, lors du pillage de Lunéville, Georges de La Tour perd une grande partie de ses œuvres et se réfugie à Nancy puis à Paris. Ici, le roi lui accorde le privilège de loger au palais du Louvre ; il y restera jusqu’en 1641.

Aucune trace de lui n’apparaît dans les archives avant 1617, année de son mariage avec Diane Le Nerf, issue de la petite noblesse fortunée de Lunéville. Cette union marque le début de son ascension sociale. Il sera nommé « peintre du roi » sans toutefois obtenir le titre de noblesse auquel il aspirait. Pourtant, c’est l’un de ses tableaux, un « saint Sébastien dans une nuit » que Louis XIII choisit de conserver dans sa chambre à coucher. Le roi est tellement séduit par la simplicité si parfaite de cette scène nocturne qu’il ordonne de retirer toutes les autres peintures de la pièce. Le passage incessant de l’entourage royal dans la chambre contribue à la renommée de cette œuvre. Si l’original a disparu, sa composition est connue grâce à des dizaines de copies, témoignant de l’écho considérable qu’elle suscite alors.

Georges de La Tour, La Madeleine pénitente, vers 1635-1640, huile sur toile, National Gallery of Art, Washington.

Courtesy National Gallery of Art, Washington

Une simplicité méditative

Sur la quarantaine d’œuvres de l’exposition, vingt-trois tableaux de Georges de La Tour ont pu être rassemblés – une véritable prouesse, quand on sait que, malgré l’abondance supposée de sa production, à peine quarante peintures dans le monde lui sont attribuées avec certitude. Quelques chefs-d’œuvre manquent toutefois à l’appel : La Diseuse de bonne aventure et la version la plus célèbre de La Madeleine pénitente, toutes deux conservées au Metropolitan Museum of Art, à New York, Saint Sébastien soigné par Irène pro- venant du musée du Louvre, à Paris, ainsi que le Saint Jérôme du Museo Nacional del Prado, à Madrid.

On concédera cependant qu’à l’impossible, nul n’est tenu. Des saints Jérôme, Georges de La Tour en a peint d’autres : deux monumentales versions grandeur nature – l’une conservée au musée de Grenoble, l’autre au Nationalmuseum, à Stockholm – présentent le moine, dans un paysage minéral, en plein exercice de pénitence. Le corps presque nu, figé dans une posture raide et instable, les pieds noueux, la peau distendue et rugueuse rendent compte de la cruauté de la mortification. Dans sa main, une corde ensanglantée, instrument d’autoflagellation, symbolise la discipline imposée au corps pour élever l’âme. À ses pieds, le livre rappelle que saint Jérôme est l’auteur de la Vulgate, version latine de la Bible adoptée comme texte officiel par l’Église catholique dès le concile de Trente (1545-1563). La toile de Stockholm se distingue par un détail : la présence d’un chapeau cardinalice en référence à son commanditaire, le cardinal de Richelieu.

En confrontant différentes versions sur un même thème, cette section de l’exposition souligne la demande croissante des collectionneurs – et, en creux, l’existence d’un atelier dont on ne sait, hélas, pas grand-chose. Ce modèle de production, courant à l’époque, fonctionnait à plein régime chez des peintres comme Simon Vouet, Guido Reni ou Pierre Paul Rubens. L’atelier de Georges de La Tour tournait sur une échelle – semble-t-il – plus modeste.

L’accrochage inscrit Georges de La Tour parmi ses contemporains en mettant en regard certaines de ses toiles avec celles de Gerrit van Honthorst, Godfried Schalcken ou Trophime Bigot, avec lesquels il fut maintes fois comparé, sinon confondu. Les célèbres scènes à la chandelle du maître de Lunéville sont restées cachées pendant des siècles sous des désignations erronées, parfois hollandaises, souvent espagnoles en raison du réalisme de ses compositions. Le Vielleur au chien (musée du Mont-de-piété, Bergues), par exemple, fut successivement attribué à Francisco de Zurbarán ou Jusepe de Ribera.

À peine quarante peintures sont aujourd’hui attribuées avec certitude à Georges de La Tour.

Dans le sillage de Caravage, l’exposition montre aussi comment Georges de La Tour se distingue du style de son aîné. D’abord par un décalage chronologique : alors que la vogue du caravagisme décline dès les années 1620, l’artiste lorrain peint ses chefs-d’œuvre dans les années 1640. Si certaines œuvres révèlent formellement l’héritage caravagesque – éclairages nocturnes, clair-obscur, choix de figures humbles ou religieuses, marquées par la pauvreté –, Georges de La Tour substitue à l’outrance de Caravage, une sobriété méditative, une intensité calme, presque silencieuse. Dans Le Nouveau-Né, une simple scène domestique prend une dimension quasi religieuse soutenue par la seule puissance de la lumière. Autour des années 1640, la source lumineuse (souvent une bougie) se cache derrière les corps qu’elle modèle. Elle semble émaner des sujets eux-mêmes, comme si ces figures ordinaires portaient en elles une forme de sacré. Dans la sublime version prêtée par la National Gallery of Art, à Washington, La Madeleine pénitente effleure un crâne sur lequel elle fixe son regard. En s’approchant, on perçoit le reflet trouble de ce crâne dans un miroir à l’effet presque hypnotique.

L’exposition s’achève sur un émouvant saint Jean-Baptiste adolescent (Saint Jean-Baptiste dans le désert, musée départemental Georges-de-La-Tour, Vic-sur-Seille) – thème cher au Caravage –, ici perdu dans l’ombre et le silence d’une méditation profonde. De quoi élever le cœur autant que l’esprit.

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« Georges de La Tour. Entre ombre et lumière », du 11 septembre 2025 au 25 janvier 2026, musée Jacquemart-André, 158, boulevard Haussmann, 75008 Paris, musee-jacquemart-andre.com

ExpositionsGeorges de La TourMusée Jacquemart-AndréLe CaravagePeinture
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