Rirkrit Tiravanija : In Aliens We Trust
« In Aliens We Trust » : par ce détournement de la devise états-unienne, Rirkrit Tiravanija fait entendre un message fraternel à l’égard de ceux que l’on expulse et un éloge de la fiction, selon que l’on place sa foi dans l’étranger ou dans l’extraterrestre. La galerie-appartement a été moquettée de blanc et des aspirateurs-robots y circulent. Dans chacune des pièces en enfilade, l’artiste a conçu une suite d’installations comme des sources de réflexion. Deux photographies figurent en ouverture. L’une d’elles est une image de Tiravanija et de sa sœur enfants. L’artiste de 7 ans s’était fabriqué avec de la pâte à modeler des oreilles de Spock, sa première sculpture. L’autre photo est une pancarte dans un golf en Thaïlande qui indique : « Great care of slow play ». Dans une pièce, deux sculptures hyperréalistes représentent Rirkrit Tiravanija et son ami, l’artiste Udomsak Krisanamis, se faisant face dans la position de Spider-Man popularisée par le champion de golf Camilo Villegas. Armés d’une branchette, tous deux sont nus, à l’exception d’une paire d’Adidas, et couverts de poils. L’objet qui les réunit et absorbe leur attention est une réplique du célèbre peigne en acier de Marcel Duchamp sur la tranche duquel est écrit : « 3 ou 4 gouttes de hauteur n’ont rien à faire avec la sauvagerie ». On dirait une scène pour musée d’histoire naturelle où nos deux post-conceptuels figureraient l’Autre. Que l’artiste devienne underground ou sauvage, c’est du pareil au même.
Dans une autre pièce sont exposés de grands panneaux couverts de feuilles d’argent justes collées qui battent légèrement. Quelques lacunes font voir des lignes de texte imprimé. Ce sont des pages du New York Times collées sur des panneaux de bois et qui servent de base. Elles couvrent la semaine du 21 au 28 janvier 2025, celle de l’investiture d’un président qui est aussi golfeur. On connaît le goût de Rirkrit Tiravanija pour les pages de journaux, symboles de l’impermanence. Ce recouvrement précieux et instable ressemble à une façon de dépasser l’événement, de prendre de la hauteur.
Dans la dernière pièce, le go succède au golf. Deux plateaux de jeu montrent la même disposition de pierres, l’une en noir et l’autre en blanc. On ne pense plus à un jeu de stratégie mais au partage d’une même vision sereine.
Du 20 octobre au 22 novembre 2025, Galerie Chantal Crousel, 10 rue Charlot, 75003 Paris

Vue de l’exposition « Pauline Boudry/Renate Lorenz : Right Body, Wrong Time » chez Marcelle Alix. Courtesy des artistes et Marcelle Alix. Photos : Nicolas Lafon
Pauline Boudry/Renate Lorenz : Right Body, Wrong Time
Chez Pauline Boudry/Renate Lorenz, la performance, le film et l’exposition ne sont pas des domaines séparés. « Right Body, Wrong Time », titre de l’exposition, est aussi celui d’une série de nouvelles pièces en chevelures artificielles noires. Ce sont des tentures portées par des lanières de feutre et qui sont marqués d’empreintes triangulaires. Les perruques symbolisent avant tout pour les artistes la possibilité de changer de genre. À côté de ces pièces en perruques, sont montrés des blocs de chaînes d’acier suspendues au mur. Les chaînes comptent également beaucoup dans le répertoire du duo en raison de leur polysémie : instrument d’oppression, symbole d’attachement, accessoire sexuel ou bijou chic. Ces nouvelles sculptures résonnent particulièrement avec l’installation All the things she said, composées de deux films consacrés à Chelsea Manning. Le titre peut être entendu à la fois comme une référence à la gigantesque fuite d’informations classifiées qui l’ont rendue célèbre et de tout ce qu’elle a pu rapporter de ses expériences. Dans leur film I Want (2015), Sharon Hayes récitait notamment des textes de Manning, alors incarcérée, et portait une perruque en hommage à une photo de l’héroïne. Les deux films de 2024 ont été tournés au SchwuZ, le plus ancien club queer et trans berlinois. Dans l’un des films, Chelsea Manning raconte comment la musique fut sa planche de salut alors qu’elle se trouvait à l’isolement. L’autre film nous fait assister à une de ses performances de Djaying sur la scène du club déserté. La caméra est fixée sur la musicienne puis se déplace et le son avec elle, pour trouver un équivalent filmique à l’expérience du concert. C’est la célébration d’une figure héroïque et du pouvoir de la musique, un écho au go-go danseur de Felix Gonzalez-Torres. Boudry et Lorenz en appellent à la complicité des visiteurs auxquels elles s’adressent directement par une lettre collée au mur.
Du 18 octobre 2025 au 10 janvier 2026, Marcelle Alix, 4 rue Jouye-Rouve, 75020 Paris

Vue de l’exposition « Daniel Dewar & Grégory Gicquel : La Sève et la Vase » à la Galerie Loevenbruck. Courtesy des artistes et Galerie Loevenbruck. Photo : Lola Pertsowsky
Daniel Dewar & Grégory Gicquel : La Sève et la Vase
Avec « La Sève et la Vase », Daniel Dewar et Grégory Gicquel s’offrent une exposition en deux volets très nettement différenciés. La vase pourrait se référer à la présentation au n° 6 de la rue Jacques Callot d’un très long rideau de soie qui serpente à travers la galerie et la divise en deux. Sur lui est peint une gigantesque carpe dans des tons de jaune, brun et terre cuite, et des plantes majoritairement aquatiques. L’installation tient l’équilibre entre un décoratif précieux de vague inspiration asiatique, et une expérience immersive sous des nymphéas. Dans cet espace transformé est posée une sculpture en marbre qui mêle des escargots et des fragments de corps humains.
Au n° 12 de la rue, on découvre un intérieur bien pourvu en meubles-sculptures et en œuvres murales. Sur des bancs de bois clairs sont fixés quelques escargots sculptés en dialogue avec des papillons brodés sur les coussins. Les reliefs en bois qui sont aux murs montrent, eux, un pull à grosse maille, une flûte à bec et une tarte aux pommes en rosace. À travers ces motifs d’une banalité choisie, c’est la sculpture qui rend hommage aux activités créatives de tout un chacun. Elle leur donne aussi une dignité comparable à ces corselets d’armures, ces violons ou ces fruits qui ornent les demeures seigneuriales. On trouve aussi un buffet de bois clair, meuble fétiche des deux artistes, sur lequel est couché un grand lapin, et dont la façade et les côtés sont ornés de pointes de pieds en relief. Cette façon d’employer des morceaux de corps comme motifs décoratifs sur un meuble d’une ligne traditionnelle redouble l’effet de bizarrerie. Comme si pour vous ressembler votre intérieur devait aussi porter en évidence vos obsessions.
Enfin, un grand kilt brodé réunit une bonne quarantaine d’arthropodes, insectes, coléoptères, abeilles et plantes, nuisibles ou non. C’est un véritable répertoire et la vision d’un art décoratif renouvelé, et d’un jardin sans exclusive.
Du 18 octobre au 22 novembre 2025, Galerie Loevenbruck, 6 & 12 rue Jacques Callot, 75006 Paris

Vue de l’exposition « Óscar Muñoz : Indicios » chez mor charpentier. Courtesy of the Artist and mor charpentier. Photo : Nicolas Brasseur
Óscar Muñoz : Indicios
« Indicios » réunit en trois chapitres des œuvres d’Óscar Muñoz s’étendant sur près de trois décennies. Elles traitent de la mémoire collective, de la mémoire personnelle et de l’oubli, au moyen de la photographie et du film.
Sur une console est disposé un ensemble de six photos de familles dans de petits cadres décoratifs. Les photos s’avèrent être les plans filmés de ces photographies vus à travers une vitre. On entend des sons ambiants et des bribes de récits, télescopage de deux façons d’entretenir le souvenir. En face de cette installation est diffusé sur un écran un film-portrait de quelques minutes. C’est le père de l’artiste, filmé en plan serré, auquel il n’a rien été demandé d’autre que de fixer la caméra. Derrière lui, on remarque la photo encadrée d’un visage de femme qu’anime le reflet mouvant d’un fin rideau de voile blanc. À la fin, sans que l’on sache comment, ledit rideau vient couvrir la surface de l’écran, réunissant les deux êtres séparés.
Dans la grande salle obscurcie est projeté au sol, sur un rectangle de sable, un film en partie animée. On y voit le contour d’un personnage qui rampe vers le haut du cadre et qui, au moment où il s’en rapproche, est rattrapé par la vague. C’est le bruit, mieux encore que l’image, qui traduit l’inexorable. Dans la même salle, on voit des visages de disparus en négatif projetés sur une surface instable d’eau et de bouts de papier. On voit aussi sur des smartphones défiler des bribes de textes à demi lisibles.
Complémentaire de ce versant Méliès digital de Muñoz, sont présentées deux œuvres qui explorent la mémoire et l’effacement sur support argentique. Archivo por contacto est une planche contact composée de plus de 1 500 portraits de passants faits par des photographes ambulants à Cali [Colombie], des années 1940 aux années 1970. Présentées chronologiquement, elles écrivent, pour qui peut les lire, une histoire de la ville et de ses transformations.
Lo demás es historia comprend quatre tables sur lesquelles sont posées des impressions sérigraphiques obtenues à l’aide de poudre de charbon et d’argile, et une installation murale faites d’un millier d’impressions du même type. On ne voit d’abord que des variantes de gris avant d’y découvrir des images en train d’apparaître ou de disparaître. L’archive photo acquiert de la sorte une véritable plasticité.
Du 9 octobre au 15 novembre 2025, mor charpentier, 18 rue des Quatre-Fils, 75003 Paris
